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CONCEPTS DE SOINS

Concepts de soin - Le Kaïros

Publié le 01/10/2012

Qu’est-ce que le Kaïros ? Le Kaïros est le temps de l’occasion opportune. Au travers du témoignage de Lililane, en voici un éclairage très explicite. Histoire à suivre et retour en arrière, en service de gastro-entérologie...

Cet article est extrait de l’ouvrage de Philippe Gaurier intitulé « De l’accompagnement du Soigné au Soignant », paru aux Éditions Losange en novembre 2011.

Cet ouvrage, témoignage et appel à la reconnaissance du métier infirmier dont le geste premier est «â€ˆprendre soin du prochain » est le troisième de l’auteur, cadre supérieur de santé, chercheur mais aussi rédacteur d'Infirmiers.com.

J’ai reçu il y a quelques jours un témoignage qui me fait penser au kaïros. Le kaïros peut se définir ainsi : agir à propos, au juste moment, pratiquer la bonne vertu au moment opportun. Le kaïros est le temps de l’occasion opportune. Il qualifie un moment. Il n’a rien à voir avec le temps linéaire qui s’écoule (chronos). Il donne de l’intensité et de la profondeur au temps. Il est donc en lien avec nos émotions. Or, je m’efforce de montrer le très haut niveau émotionnel porté par le soin. Je profite donc de cette opportunité pour vous livrer le témoignage de Liliane. Voici son histoire de soin.

« Je suis infirmière depuis plus de 30 ans, cadre de santé depuis 2004 et aujourd’hui directrice d’un IFAS (Institut de formation d’aides-soignants). Je voudrais partager avec vous le meilleur souvenir de soin que j’ai vécu il y a une vingtaine d’années dans un service de gastro-entérologie.

C’était un matin très tôt, après la relève, je prenais les « constantes » de l’ensemble des patients. J’entre dans la chambre d’un patient, nous l’appellerons monsieur X. Il est en fin de vie, il est couché sur le dos et je m’aperçois qu’il présente un teint verdâtre, il se tient le ventre avec une expression d’intense souffrance. Son neveu est présent, il a passé la nuit sur un lit « d’accompagnant » et est toujours couché à ses côtés. Je m’adresse à monsieur X et lui demande ce qu’il ressent. Il n’arrive pas à parler, je l’aide à se redresser à sa demande par gestes et, prise d’inspiration, je lui dis : « Ne gardez pas ce que vous avez sur le cœur. » Aussitôt, monsieur X est pris de violents vomissements « en jets » verdâtres et nauséabonds. Je suis recouverte de bile de la tête aux pieds, il y en a sur le mur en face du lit, sur les draps, dans toute la chambre... Interloqués, nous nous dévisageons et pris par le comique de la situation, nous sommes pris, le patient et moi, d’un fou rire incoercible et qui est alimenté par l’air ahuri du neveu qui s’est levé d’un bond et nous regarde d’un air désapprobateur et dégoûté dans le recoin de la chambre épargné par les éclaboussures. Mes collègues, alertées par nos rires et les protestations du neveu, sont venues à la rescousse pour aider monsieur X dans sa toilette et pour remettre la chambre en ordre. Après avoir pris moi-même une douche, je retourne voir le patient. Il dormait, le teint frais, un petit sourire aux lèvres. Je suis intimement persuadée que c’est le moment de ma carrière où intuitivement j’ai proposé le « soin juste », au moment juste à ce monsieur si particulier.

Je raconte cette anecdote aux élèves pour initier une réflexion sur « l’écoute active » que nous abordons dans la relation d’aide. Nous parlons du rapport du « corps à corps » dans le soin, du dégoût que le soignant, le patient ou la famille peuvent ressentir dans certaines situations. Je pense que les soignants développent une écoute de l’autre qui va au-delà des sens et qu’il est parfois difficile de communiquer aux novices car cela fait partie des « savoirs incorporés ». C’est tout cela que cette situation m’a apporté. Voilà quelques réflexions de soignant à soignant. Qu’en pensez-vous ? »

« Ne gardez pas ce que vous avez sur le cœur. » Aussitôt, monsieur X est pris de violents vomissements « en jets » verdâtres et nauséabonds.

Eclairage par le concept de Kaïros

Je pense que vous avez raison, Liliane, le juste soin au bon moment. Je pense que vous avez raison aussi quand vous parlez de « savoirs incorporés ». En effet, comme dans toute profession ou métier, le soignant développe des « savoirs incorporés », des compétences spécifiques et ses savoirs sont particulièrement physiques, corporels, car nous l’avons montré précédemment, le soin se déroule dans une proximité très rapprochée du soigné. Le soin, c’est bien souvent du corps à corps. Et là, on entre dans l’espace le plus tabou qui soit, d’autant que ces soins sont prodigués le plus souvent par des jeunes femmes… Merci, Liliane.

Comme vous l’avez constaté, je n’ai extrait de cette œuvre philosophique, qu’une brindille, celle qui m’intéressait pour faire le lien avec les soins, LE soin, bien sûr. Cette brindille permettra, je l’espère, d’allumer un feu tenu, celui qui offre une meilleure vision sur des situations, des moments clés d’une existence, des moments de choix, de « faire face », de dialogue, de raison. J’ai souhaité par ce travail lier une longue expérience au service du soigné et à l’écoute du soignant, et une assez récente redécouverte de certains concepts, idées, approches philosophes. J’espère bien sûr que le lecteur en soit interrogé et que, comme moi, il poursuive les chemins de la connaissance en compagnie du philosophe cité et d’autres pour aborder, rencontrer ou contester, de nouvelles approches psycho-socio-thérapeutiques. C’est humblement, mais avec ténacité, courage et justice qu’il nous faut continuer d’avancer…


Philippe GAURIER
Cadre supérieur de santé,
Chargé de mission « Formation et recherche », hôpitaux universitaires Paris Ile-de-France Ouest
PEPS-Formation - http://pepsoignant.com/
Rédacteur Infirmiers.com
Infirmier.philippe@wanadoo.fr
www.etre-infirmier-aujourdhui.com


Source : infirmiers.com