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CONCEPTS DE SOINS

Concepts de soin - L’action prudente

Publié le 08/10/2012

Qu’est-ce qu’une action prudente ? Après la « bonne action » de Christine, au sens kantien du terme, et la « mauvaise action » de Philippe, je vous en propose un éclairage toujours très personnel. Histoire à suivre et retour en arrière, en service de néonatologie...

Cet article est extrait de l’ouvrage de Philippe Gaurier intitulé « De l’accompagnement du Soigné au Soignant », paru aux Éditions Losange en novembre 2011.

Cet ouvrage, témoignage et appel à la reconnaissance du métier infirmier dont le geste premier est «â€ˆprendre soin du prochain » est le troisième de l’auteur, cadre supérieur de santé, chercheur mais aussi rédacteur d'Infirmiers.com.

Réanimation néonatale, 1982, prise de poste. Il est 6 heures 30 du matin, une collègue me fait ses transmissions. Elle me parle d’un nouveau-né, une petite fille. Elle est en incubateur, perfusée à la main gauche. Les collègues de nuit ont eu beaucoup de mal à lui poser cette perfusion. Elle est « impiquable ». Pendant que ma collègue parle, quelque chose me gêne dans cette chambre, mais je ne sais pas quoi. L’enfant est agitée, algique. Son scoop n’arrête pas de sonner. « Elle se débat » si j’ose dire, même si sa tête, ses mains et ses pieds sont maintenus. Son visage se contracte, son petit front se plisse, ses paupières sont fermées au maximum. Elle n’émet aucun cri, c’est normal, elle est intubée, ventilée…

Sa main gauche est perfusée, le système de contention est habituel. Sa main est bien à plat, sur une petite « planchette » faite d’un ou deux abaisses langues, protégés de coton, entourés d’élastoplaste. De l’élastoplaste sert aussi à maintenir son avant-bras, les bords de sa main, et ses doigts sur la planchette. Tout ceci est normal puisque l’enfant est perfusée sur le dessus de la main. Des épingles à nourrice fixent la planchette au lange et au drap. Normal. Ce qui m’inquiète et qui ne me semble pas normal, c’est l’angle d’attaque de l’épingle à nourrice qui maintient l’extrémité distale de la planchette au matelas. C’est trop près de ses doigts. Pas les trois premiers, mais le quatrième et le cinquième ? Non, ce n’est pas possible, je me trompe. Mes collègues n’ont pas pu faire cela... J’ai beau réfléchir, à toute vitesse, le doute est là. Il est possible que l’épingle à nourrice « touche » un doigt, je n’ose pas dire traverse. Est-ce que je vérifie seul ou en présence de quelqu’un ? Ai-je la « compétence de le faire seul ? Est-ce dangereux pour l’enfant ? Est-ce que je dois « prioriser » mes collègues ou l’enfant ? C’est la première fois que je me pose cette question. D’habitude, l’intérêt de l’un converge vers l’autre et réciproquement.

Si je demande à quelqu’un de m’aider, je demande à un médecin ou à une collègue infirmière ? Si c’est une infirmière, et qu’il y a un problème, on se retrouvera à deux à se poser la même question et je n’aurai fait que partager ma responsabilité sans faire évoluer la problématique. Si c’est un médecin, il privilégiera l’intérêt de l’enfant et c’est normal, on est tous là pour ça. Moins il y aura de personnes informées et mieux ce sera. Ce qui est fait est fait. Personne n’y peut plus rien et punir quelqu’un serait inutile, d’autant plus que ça peut arriver à tout le monde ou plutôt, d’autant plus que ça n’arrive jamais ! Enfin et surtout, il est urgent de faire quelque chose pour cette enfant...

J’ai beau réfléchir, à toute vitesse, le doute est là...

Ma décision est déjà prise, je demande au réanimateur. Heureusement, c’est Claude.
Bonjour, Claude. J’ai quelque chose de professionnel à te dire, mais c’est particulier. Il y a quelque chose qui me pose problème, ça touche un bébé. J’ai besoin que quelqu’un m’aide à vérifier. Mais si problème il y a, je veux ta parole qu’on ne cherchera pas qui a fait ça… Claude a dit oui. Le déroulement a repris son cours. J’étais de nouveau dans l’action nette, claire, précise, professionnelle, chacun accomplissant sa part de travail. Chacun déployant ses compétences, son raisonnement, sa responsabilité. La radiographie était normale. Les parents ont été prévenus de la nécessité de réaliser un suivi spécifique, au cas où… Tout s’est bien déroulé pour l’enfant et son environnement soignant…

Éclairage par le concept d’« action prudente »

L’analyse est simple. L’extériorité est conforme au devoir. Le soignant a un doute, il s’interroge : l’épingle traverse-t-elle le doigt de l’enfant ? La réponse est : il faut vérifier. Est-ce que la maxime de cette action peut être érigée sans contradiction en loi universelle ? Ma réponse est oui. Mais il y a un « mais » : Bonjour, Claude. J’ai quelque chose de professionnel à te dire, mais c’est difficile. J’ai constaté sur un enfant dont je m’occupe ce que je crois être un problème. J’ai besoin que quelqu’un m’aide à vérifier. Mais si problème il y a, je veux ta parole qu’il n’en sera pas tenu rigueur à ma collègue. L’intériorité est conforme au devoir envers les collègues, mais elle n’est pas conforme au devoir envers l’enfant. Il y a un intérêt repérable dans l’action ou plutôt dans la restriction de l’action. S’il y a erreur, le soignant ne veut pas qu’il en soit tenu rigueur à une de ses collègues. Le soignant a un intérêt à régler la situation ainsi. Nous sommes là devant une action prudente au sens défini par Kant. C’est dire une action conforme au devoir, mais faite - en partie - par intérêt.


Philippe GAURIER
Cadre supérieur de santé,
Chargé de mission « Formation et recherche », hôpitaux universitaires Paris Ile-de-France Ouest
PEPS-Formation - http://pepsoignant.com/
Rédacteur Infirmiers.com
Infirmier.philippe@wanadoo.fr
www.etre-infirmier-aujourdhui.com


Source : infirmiers.com