Comment les infirmières et les infirmiers peuvent-ils contribuer à réaligner l’offre de soins avec les besoins ? Professeur titulaire à l’Ecole en soins infirmiers de l’Université de Victoria (Colombie-Britanique, Canada), Damien Contandriopoulous a proposé des éléments de réponse à l’occasion du Forum virtuel 2021 L’avenir des soins infirmiers
du Secrétariat International des Infirmières et Infirmiers de l’Espace Francophone (SIDIIEF), qui se tient du 7 au 11 juin.
Quel rôle peuvent jouer les infirmières pour mettre en adéquation la capacité des systèmes de soins avec la réponse aux besoins de la population ? Quelles pistes d’interventions sont les plus susceptibles d’améliorer accessibilité, qualité et efficience et quels leviers peuvent être mobilisés pour influencer ces décisions ? Dans son intervention, le Professeur Damien Contandriopoulous a exposé les défis et les solutions pour améliorer l’offre de soins.
Plus de soignants, mais moins d’agilité ?
En préambule de son intervention, Damien Contandriopoulous a commenté les dépenses de santé de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) sur les quarante dernières années : Aux Etats-Unis, il y a à peu près un dollar sur six de l’activité économique du pays qui est investi pour payer les soins de santé. Globalement, la tendance est à la hausse dans tous les pays riches. Ils ont tous décidé d’investir de façon significative plus d’argent dans le domaine de la santé. Le nombre d’infirmières est lui aussi en augmentation dans presque tous les pays. La Norvège et la Suisse s’illustrent en tête avec un nombre important d’infirmier par habitant.
Selon des prévisions de l’OCDE, les dépenses de santé devraient dépasser la croissance du PIB à l’horizon 2030. Dans un rapport de 2019, l’OCDE indique que les dépenses de santé par habitant augmenteront à un taux annuel moyen de 2,7% et atteindront 10,2% du PIB d’ici 2030, par rapport à 8,8% en 2018. L’investissement ne s’accompagne pas pour autant d’une stabilité dans les systèmes de santé, qui ont du mal à répondre aux besoins. Nous n’avons jamais eu autant d’infirmiers par habitant. Pourtant, les systèmes craquent de partout
, constate Damien Contandriopoulous. Difficultés d’avoir des équipes qui fonctionnent, l’impression que la capacité du système à répondre aux besoins est menacée, sont autant de raisons qui révèlent un système sous pression. La crise du covid en a été un révélateur. La grippe arrive chaque année et les urgences débordent. Quand le covid a fait son entrée, tout à coup, les systèmes hospitaliers se sont retrouvés sous une pression énorme et en grande difficulté pour traiter les gens. Comment peut-on investir toujours plus et en même temps avoir des systèmes qui répondent difficilement à la demande ?
, s’interroge le Professeur. Pour lui, le monde infirmier
doit prendre en compte les facteurs qui expliquent les pressions qui s’exercent dans les systèmes de soins car celles-ci vont devenir insurmontables dans les années à venir. Le premier facteur cité est le vieillissement de la population : La génération du baby-boom va atteindre 80 ans dans les 15 à 20 ans. C’est prévisible et les systèmes de santé doivent s’y préparer
, prévient-il.
L’origine des pressions
La London School of Economics a estimé la part des résidents de maisons de retraite médicalisées dans le total des décès liés au covid. Elle s’élève à 49 % pour la France. Damien Contandriopoulous parle d’une hécatombe institutionnelle
: Dans plusieurs pays riches comme le Canada, la Belgique, la France, environ la moitié des morts du covid étaient en hébergement longue durée. Certes, ce sont des gens plus fragiles et qui ont des problèmes de santé, mais avant la crise du covid, nous savions que dans ce secteur, les ressources étaient limitées, le contrôle des coûts menait à des choix qui étaient à la limite de l’inhumain.
Selon le Professeur Contandriopoulous, l’autre élément fondamental pour comprendre l’origine des pressions que les systèmes subissent est la notion de la pertinence des soins. D’après lui, les systèmes de soins réajustent à la baisse les seuils auxquels on considère quelqu’un d’hypertendu ou de diabétique : Ce réajustement montre que de plus en plus de gens font partie du groupe des malades. Aux Etats-Unis, 97% des adultes américains de plus de cinquante ans sont considérés comme atteint d’une maladie chronique métabolique. Nos sociétés ont adopté des normes cliniques au cours des dernières années qui font en sorte qu’une personne qui a plus de 50 ans est considérée comme malade chronique. Ce qui veut dire qu’elle doit prendre quotidiennement des médicaments, avoir un suivi régulier et mobiliser des ressources médicales, infirmières et pharmaceutiques. A partir du moment où on est dans une société où vieillir est équivalent à être malade, il est certain qu’on va avoir besoin d’investir massivement pour traiter tous les malades en surnombre générés par les normes sur lesquelles on s’appuie
, déplore-t-il.
Améliorer l’efficience du système
Pour améliorer l’efficience du système dans un contexte où de plus en plus de ressources sont investies pour de moins bons résultats, Damien Contandriopoulous recommande de redéfinir comment le système répond aux besoins des populations Pour cela, il faudrait réviser les rôles professionnels. A l’époque victorienne, il y avait le médecin de village qui recevait la maman et son bébé dans son cabinet pour offrir des soins. L’organisation de la médecine primaire reposait presque exclusivement sur les médecins jusqu’à récemment. Or, ce modèle est en train de changer. Les soins primaires sont un travail d’équipe, de plus en plus virtuels et de moins en moins médicaux. C’est un aspect qui a le potentiel de repenser la nature et l’offre du soin.
Damien Contandriopoulous cite en exemple une clinique exclusivement infirmière à Victoria (Colombie-Britannique) dans laquelle infirmières cliniciennes, praticiennes, travailleurs sociaux, pharmaciens prennent en charge collectivement l’ensemble des besoins d’une population. Un modèle impensable il y a encore dix ans, selon lui et qui est en train de se déployer
. Aujourd’hui, il observe une tendance qui entraîne le découpage des besoins des individus en petits morceaux
. Chaque petit morceau étant confié à un professionnel de santé : C’est un modèle dans lequel les différents professionnels sont parfaitement interchangeables. Dans les soins à domicile, une personne vient donner la douche, l’autre le repas et la troisième s’occupe des soins sur la mobilité. Du point de vue administratif, cela peut donner l’illusion d’un gain d’efficacité mais c’est une approche utilisée pour une chaine de montage. Si vous êtes en train de faire construire une voiture par des robots, c’est parfait. En revanche, si vous êtes en train d’essayer d’utiliser au maximum, les capacités d’un humain qu’est le soignant pour répondre aux besoins d’un autre humain qu’est le patient, ce modèle ne donne pas de très bons résultats et est extrêmement nocif pour le soigné et le soignant.
Qui sait ce qui se passe dans les institutions ? Qui sait ce qui se passe en soins à domicile ? Ce sont les infirmiers. Ils connaissent le terrain. Cette connaissance, c’est le levier de pouvoir le plus évident pour la profession
. Pour Damien Contandriopoulous, la vraie force des infirmiers réside dans la proximité avec la population et la connaissance des patients dans leur quotidien. Il suggère à la profession de s’appuyer avant tout sur cette expertise pour répondre au mieux aux préoccupations actuelles et à venir des patients et d’en faire un vecteur de leadership.
Inès KheireddineJournaliste infirmiers.com ines.kheireddine@gpsante.fr
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