Depuis de nombreuses années, j’ai eu l’occasion de vous côtoyer, de vous recruter pour certains, de cadrer vos missions, de vous encadrer, et parfois de vous recadrer. En tant que cadre de proximité, et manager d’équipe, (on ne dit pas encore N + 1 ! chez les soignants), c’était aussi mon job... Tous ces encadrements, ça peut donner l’impression d’être un peu à l’étroit, mais ne dit-on pas aussi "un cadre rassurant, voire contenant" ? Ça pose les limites, ça met des garde-fous, en quelque sorte. En parallèle, depuis 10 ans, je vous croise en formation continue… Voilà ce que je souhaite vous dire...
Laissez-moi vous le dire, et vous le répéter... lors des réunions de transmissions, puis plus tard, des formations, rencontres de réflexion sur vos pratiques soignantes, je vous ai poussés dans vos retranchements parfois, (vous aussi d’ailleurs), c’était utile, nécessaire, ça l’est toujours et ça le restera, heureusement pour les personnes qui nous sont confiées. J’ai beaucoup appris de ce "matériau" humain fait d’expériences multiples et je vous en remercie. Oui les temps sont difficiles, et le contexte de 2020 ne les a pas rendus plus faciles, loin de là. Il est nécessaire de "Prendre soin de -soi- pour prendre soin de l’autre." A de nombreuses reprises, vous avez évoqué le fait que vous n’êtes pas écoutés, reconnus, valorisés, que parfois même, à domicile notamment, ON ne vous voit pas, ON ne lit pas vos transmissions, ON ne tient pas compte de vos suggestions, de vos demandes :
- les patients ne sont pas correctement soulagés de leur douleur physique ;
- le matériel n’est plus ou pas adapté pour des soins de bonne qualité et le confort des patients (et le vôtre aussi) (en aparté : il est écrit nulle part qu’il faut rester debout pour faire un bain de pieds, ou pour raser un patient au fauteuil, qui, si vous êtes assis face à lui, pourra vous regarder, sourire, répondre à votre sourire, avoir moins mal à la nuque, vous sera au final très reconnaissant de ce moment privilégié d’intimité … ce n’est pas interdit, c’est juste du bon sens, et même plutôt recommandé pour vous et la personne qui requiert que vous soyez centré sur elle) ;
- la famille ne vous procure pas le minimum pour faire en sorte que les personnes puissent "être propres avec des téguments soignés" : vous vous sentez de moins en moins considérés, on ne vous remercie pas ou plus…
A de nombreuses reprises, vous avez évoqué le fait que vous n’êtes pas écoutés, reconnus, valorisés, que parfois même, à domicile notamment...
La liste pourrait être longue et vous pourrez la compléter à l’envi. Quand vous parlez de vous, et cela arrive souvent, vous dites :
- Oui,
mais ON n’est QUE aide-soignant, ON ne nous écoute pas
; - Oui,
mais "les gens" nous traitent de laveuses, de toiletteuses
, voire pire ; - Oui,
mais vous, vous êtes infirmière
… les gens ne sont pas pareils avec vous (c’est vrai, mais c’est aussi le cadre de proximité qui ouvre grand son parapluie pour vous éviter l’averse quand elle survient, à condition qu’il assume ses responsabilité et s’engage aux côtés de son équipe) ; rassurez-vous chers aides-soignants, beaucoup d’infirmiers entretiennent encore ce système pyramidal (et n’ont pas connaissance de leur code de déontologie de 2016), disent :je ne suis qu’une petite infirmière
et se voient encore commedes exécutants
.
Or, vous êtes des professionnels de santé, exerçant certes par délégation (on dit maintenant, en collaboration, pour être plus politiquement correct peut-être) et sous l’autorité des IDE, mais il est important que vous puissiez vous affirmer dans cette "chaîne" d’organisation des soins auprès des patients, résidents, usagers…
Vous êtes pourtant indispensables et précieux...
Demandez-vous qui détient une excellence, voire une expertise en soins de nursing, en mobilisation douce, en utilisation des lève-personnes, en enfilage de bas de contention (pff…), en shampoing au lit (sans qu’une goutte d’eau ne tombe au sol, bien souvent), en rasage mécanique sans coupure avec l’après-rasage et la crème de soins en supplément gratuit, en écoute attentive quotidienne, en repérage des signes douloureux, en "diversion" pour que ce résident dément s’apaise et accepte de prendre son traitement… C’est l’infirmier ? C’est le kiné ? C’est le médecin ?
Chers aides-soignants, n’acceptez plus de vous laisser traiter "d’aides-soins", pourquoi ce diminutif est-il encore si souvent employé ? Chers collègues infirmiers, chers étudiants en soins infirmiers, faites, s’il vous plaît, l’effort d’une syllabe en plus pour nommer justement les soignants qui travaillent avec vous. Il me semble que ce vocable est suffisamment beau pour mériter de ne pas être tronqué.
Chers aides-soignants, votre responsabilité est aussi engagée et je vous invite à y réfléchir :
- Ne faites pas des cas particuliers, une généralité (tous vos patients/résidents/familles ne sont pas insupportables avec vous ;
- Utilisez les outils à votre disposition : carte professionnelle (à domicile), livret d’accueil qui décrit vos missions, cahiers de transmissions, transmissions ciblées (non, ça ne prend pas plus de temps que le « blabla » narratif trop souvent constaté) ;
- Pensez à porter toujours des tenues adaptées, ongles courts, sans manucure, cheveux attachés, hygiène irréprochable, pas de bijou, même à domicile… pensez aussi que les odeurs (transpiration, parfum, tabac…) peuvent incommoder les patients dont vous vous occupez : vous êtes des professionnels du soin, et les détails comptent tous les jours ;
- Pensez que tous les vieillards ne sont pas sourds, et que le ton de votre voix est déterminant dans la qualité des soins que vous prodiguez ;
- Veillez à toujours être dans la présence juste, sans tomber dans le "tout émotionnel" qui va au mieux vous faire fuir pour éviter les situations difficiles, au pire vous faire endosser un fardeau de culpabilité : les patients et leurs familles ne sont pas nos parents, nos papis, nos mamies… même si vous les soignez, non seulement avec respect, mais aussi avec amour ;
- Acceptez de « passer la main » quand vous êtes en difficulté avec une personne ou son entourage ;
- Ne vous sentez pas ou plus coupables de n’être pas des "bons soignants" quand vous n’avez pas réussi à "laver entièrement" un patient/résident ;
- Ne vous sentez pas ou plus coupables parce que des patients/résidents, malgré vos demandes réitérées, vos transmissions, vos remontées d’informations, ne sont toujours pas soulagés et confortables ;
- Imposez-vous dans la bonne humeur et avec le sourire, en vous présentant avec votre titre et votre appartenance, si par hasard d’autres intervenants ont tendance à ne pas vous voir au domicile ou ailleurs (vous n’êtes pas QUE…) ; nous avons tous besoin les uns des autres, c’est tellement une évidence et pourtant… il faut le redire souvent ;
- Exprimez-vous à l’oral ;
- Exprimez-vous, transmettez à l’écrit avec des outils adaptés à vos pratiques, en veillant à utiliser un vocabulaire professionnel simple et adopté par tous, même si vous avez peur de vos carences en orthographe ; là n’est pas l’essentiel ;
- Profitez de toutes les opportunités qui vous sont offertes de grandir en compétences, même après 20 ans "de maison" : par définition, jamais une compétence n’a de fin ; et comme il le complète : "agir en situation, agir avec efficacité, agir avec sagesse…" ;
- Vous êtes en mesure de penser, de réfléchir sur vos pratiques et de les améliorer et pas seulement d’exécuter des taches au jour le jour : c’est cela qui donne du sens à ces taches souvent décrites comme ingrates.
Chers aides-soignants, n’acceptez plus de vous laisser traiter "d’aides-soins", pourquoi ce diminutif est-il encore si souvent employé ?
Une aide-soignante me disait avoir été choquée lors d’une réunion de famille par une remarque : mais comment tu fais pour faire ce métier-là ?
Ce genre de phrase est totalement inacceptable : ce métier-là, c’est celui qui consiste à prendre soin, avec ses mains, du plus faible et du plus vulnérable d’entre nous, celui qui ne peut plus le faire, et qui est contraint à se laisser torcher par des mains de femme
comme l’écrivait si bien Claude Pujade-Renaud.4 Enfin, utilisez, sollicitez votre chef, pressez votre cadre, votre N + 1, (il est là pour ça, pas seulement pour se casser la tête avec votre planning), ne restez pas seul dans vos doutes et vos inquiétudes.
Merci à vous, chers aides-soignants !
Anik Hoffmann, cadre supérieur de santé, formatrice et consultante
Notes
Oui les temps sont difficiles, et le contexte de 2020 ne les a pas rendus plus faciles, loin de là. Il est nécessaire de Prendre soin de -soi- pour prendre soin de l’autre.
(1)
1 - Philosophie du coquelicot/R Poletti-B Dobbs/Ed Jouvence/2010)
Veillez à toujours être dans la présence juste, sans tomber dans le « tout émotionnel » qui va au mieux vous faire fuir pour éviter les situations difficiles, au pire vous faire endosser un fardeau de culpabilité : les patients et leurs familles ne sont pas nos parents, nos papis, nos mamies… même si vous les soignez, non seulement avec respect, mais aussi avec amour (2)
2 - Eric Fiat : Petit Traité de Dignité/Babelio/2012)
Profitez de toutes les opportunités qui vous sont offertes de grandir en compétences, même après 20 ans de maison
: par définition, jamais une compétence n’a de fin (3) ; et comme il le complète : agir en situation, agir avec efficacité, agir avec sagesse…
3 - J. Dewey 1935 La compétence : capacité d'agir avec sagesse et efficacité dans une grande variété d'occupations et de situations
4 - Le sas de l’absence/Actes Sud/2000
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