Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

Merci d'avoir répondu !

INFOS ET ACTUALITES

Boire pour être seul ou être seul pour boire

Publié le 25/05/2011

Pour certains, l’alcool est une façon de composer avec la solitude, inhérente à l’homme, mais aggravée aujourd’hui par l’individualisme et les outils technologiques pourtant supposés nous faire « communiquer ».

Une solitude très contemporaine

Voici une assertion qui peut paraître d’emblée une véritable provocation, mais qui reste néanmoins une réalité : l'homme est un animal social dont le besoin de communiquer reste fondamental et nécessaire à son équilibre et sa construction.

Cependant, notre société telle que nous la vivons aujourd’hui montre que si nous sommes en permanence reliés, dans un tourbillon incessant, les uns aux autres : petit écran, Internet, téléphone portable... avoir du temps à soi, relève d’une gageure, tant se retrouver face à soi-même s’avère de plus en plus difficile.

Curieux paradoxe : alors que tous ces moyens de haute technologie tendent à s’unir dans les prochaines années pour révolutionner et améliorer notre communication, à la recherche de réseaux et de liens en tout genre, jamais l’homme ne se sera senti aussi seul.

Submergé de toutes parts par cette technologie, il semble ne plus avoir de temps libre à lui. Explosion du téléphone mobile, ordinateurs, lecteurs mp3, consoles de jeux, vente en ligne, réseaux sociaux, application du numérique… ; de façon étrange, plus l’homme est connecté aux autres, agressé d’images, de sons, hautement sollicité, et plus il se retrouve seul avec lui-même. Ses amis deviennent virtuels, ses dialogues aussi, et au final, sa vie finit par l’être également…

Il est vrai que la montée de l’individualisme aura probablement accentué cette perception de l’être. Si certains ont su apprivoiser cette solitude, d’autres, au vu des connotations et séquelles que cette situation engendre, la subissent.

C’est ainsi que certains se tournent vers des palliatifs, l’alcool…

De la solitude à la bouteille

Aborder la question de la solitude, cela inspire souvent de la honte, de la pitié, voire un sentiment d’exclusion, comme si le poids de la pression sociale lui donnait un caractère d’anormalité. Il est mal vu de dire qu’on est seul, qu’on apprécie ce choix, qu’on s’en plaint, ou bien encore qu’on subit cette souffrance, qualifiée par certains de muette.

Si on se réfère au dictionnaire, trois définitions se dégagent : « personne qui est seule, momentanément ou durablement ; personne qui a peu de contacts avec autrui ; état d’abandon dans lequel se sent l’être humain face à la société ».

Notre mode de vie ne nous laisse guère de place pour l’ennui, le vide. Tout semble organisé autour de l’activité. Occuper son temps, avoir la sensation de toujours être débordé, de toujours voir son temps absorbé, submergé… Dans le cas contraire, c’est le vide abyssal, la panique !!!

Soit on arrive à accepter cette nouvelle situation, voire on fait tout pour la choisir, auquel cas on se sentira bien avec soi-même. Soit on ne la supporte plus, auquel cas on se sent dévasté du fait d’être privé des autres.

Si souffrance il y a, on a tendance à vouloir s’étourdir via la télé, internet…, ou encore en buvant, afin d’échapper à nous même, à l’ennui, à l’incomplétude, voire à la « mort ». Peu à peu, on organise sa vie autour de ce nouveau palliatif.

Dans un premier temps, la personne qui boit ne se pose pas de question quant à sa consommation.

Toutes les occasions sont bonnes pour boire et faire boire ses relations, dès lors qu’on peut fuir ce désert intérieur en soi, où on ne retrouve personne avec qui communiquer… On va partout où des gens sont rassemblés pour quêter un peu de chaleur humaine. On cherche la présence des autres et quand c’est trop douloureux, on fuit les autres de toutes les manières possibles.

Petit à petit, par effet d’accoutumance, la personne qui boit se sent contrainte d’augmenter les doses pour atteindre les effets escomptés. La dépendance physiologique est alors belle et bien installée !!!

De la bouteille à l’isolement

Peu à peu, s’alcooliser devient le seul remède, le seul soutien pour pallier aux malaises physiques et psychologiques. Si auparavant, l’alcool était un véritable personnage, décoré des attributs les plus doux, par la suite, l’alcool devient le seul compagnon du jour et de la nuit, exclusif et solitaire, capable de dénier tout autre investissement. Quand les questions liées à sa consommation commencent à se poser, la personne se sent prisonnière d’une double problématique, arrêter ou continuer l’amenant incontestablement au déni.

La bouteille prend toute l’énergie et phagocyte son temps. Petit à petit, de manière sournoise, la personne s’enfonce dans l’alcool. De la solitude, situation inhérente à la condition humaine, on passe à l’isolement, véritable démarcation et souffrance psychologique du fait de n’être relié à personne. Boire devient le seul but de la journée, rythmée dans un présent immédiat, sans référence au passé, et sans représentation de l’avenir.

Le temps biologique (cycle veille/sommeil…), le temps social (fêtes civiles, religieuses, familiales…) et surtout, le temps psychologique sont perturbés.
La temporalité se réduit à un télescopage. Le buveur devient comme « une horloge à alcool » qui lorsqu’elle est vide, doit se remplir de nouveau ; le malaise augmentant à mesure qu’elle se vide. Le vécu " minute par minute " évite l'angoisse de ne pouvoir se représenter de succession temporelle.

On boit pour se retrouver en tête à tête avec la bouteille et ne plus avoir mal.

Dès lors, ce qui ne peut se dire, ne peut se laisser voir, laisse place à la pudeur. Sous le registre de la honte non symbolisée, le secret et la solitude finissent par s’imposer.

Au cours de cet isolement, les rares liens qui restaient sont en passe de disparaître : travail (faute d’absentéisme récurrents, d’arrêts de travail répétés..), amis (lassés et impuissants face à cette maladie), famille (épuisée de souffrir de voir boire)…, voire même ceux qui partageaient un temps ces instants de boisson.

Conclusion

Au moment où notre société prône l’ère de l’ « hyper-communication » pour ne pas dire de « la télé-communication », jamais l’homme n’aura autant été plongé dans les affres des paradoxes et des confusions. En effet, vanter les mérites des technologies de communication comme on le fait aujourd’hui ne fait que mettre en exergue des outils d’information. L’information va à sens unique d’un sujet vers un autre sujet. Mais rien n’est dit du sujet, ni de celui avec qui il communique.

C’est face à cette ambiguïté, dans laquelle certains deviennent addicts aux nouveautés technologiques, que d’autres s’affairent à certaines dépendances, parmi lesquelles l’alcool.

Roland NARFIN
Psychologue clinicien


Source : infirmiers.com