Grève des urgences, Ségur de la Santé et bien sûr, coronavirus : l'année s'achève sur une note plus que contrastée. "J'ai hâte d'en finir avec 2020", écrivait, amusée, une infirmière libérale sur notre site ces derniers jours, résumant la pensée de nombre de soignants, à n'en pas douter. Ses collègues hospitaliers sont ainsi allés de crises des urgences en déferlantes épidémiques et les professionnels de santé, que ce soit à l'hôpital ou en ville, ne cachent pas leur épuisement tandis qu'une troisième vague se profile, au sortir de la table des fêtes. Alors à ce tableau peu reluisant, nous sommes tentés de tourner le dos pour repartir du bon pied. En croisant les doigts pour que 2021 nous réserve des jours meilleurs.
Dans l'ordre des apparitions, il y a d'abord eu la crise des urgences, qui aura duré 11 mois. Au 6 septembre 2019, soit près d'un an avant l'annus horribilis, 249 services sont en grève selon le Collectif Inter-Urgences, propulsé sur le devant de la scène à l'occasion de ce long bras de fer avec le gouvernement. En réalité, le malaise couve depuis bien plus longtemps et implique l'ensemble du système de soin, comme le rappelle la FHF : "la problématique de l'accueil des urgences ne peut se réduire au seul manque de moyens. Elle doit être comprise comme le résultat d'un double phénomène qui touche l'amont et l'aval des urgences : insuffisances dans la permanence des soins dans le secteur de la médecine de ville et capacités d'accueil saturées dans les filières d'aval aussi bien à l'hôpital que dans les maisons de retraites, par ailleurs insuffisamment médicalisées". La crise des urgences est donc bien celle de notre système de santé.
Masques et plexiglas
Un contexte pas favorable, qui n'a pourtant pas ému le coronavirus. Tapageuse entrée en scène. Nous sommes au tout début de l'année 2020. Les médias évoquent depuis le mois de mars 2019 un nouveau virus, venu de Chine. Le 9 janvier, le couperet officiel tombe : les autorités sanitaires chinoises et l’Organisation mondiale de la santé confirment la découverte d’un nouveau coronavirus (d’abord appelé 2019-nCoV puis SARS-CoV-2), agent responsable de cette maladie infectieuse respiratoire appelée Covid-19 (pour CoronaVIrus Disease). Coronavirus, Covid-19, le Covid, la Covid, en France, on apprend avec stupeur que trois premiers malades ont été admis à l'hôpital le 24 janvier, deux à Paris et un à Bordeaux, trois patients chinois. Le pays hésite encore, mais face à la menace de saturation des hôpitaux, la décision est prise : pendant 55 jours, du 17 mars au 11 mai, l'hexagone, mal préparé et pris de vitesse par le virus, se fige sur décision de l'exécutif. Rideau sur les écoles, les cafés, les commerces, les salles de sport, les musées et cinémas, télétravail généralisé et rues désertes, avec un horizon limité au kilomètre. Le 8 avril, en France, les services de réanimation comptent près de 7 200 patients atteints du Covid-19 tandis que dans le même temps, 3,9 milliards de personnes, soit la moitié de l'humanité, vivent une forme ou une autre de confinement. De Paris à New York, de Delhi à Lagos et de Londres à Buenos Aires, le silence irréel des rues désertées n'est troublé que par les sirènes des ambulances. Exit les embrassades, étreintes et même poignées de mains, qui ne sont plus que de lointains souvenirs. Les échanges se font désormais à travers les masques et des parois de plexiglas...
La crise sanitaire comme un révélateur
La crise sanitaire révèle au grand jour les zones d'ombre de notre société que nous ne voulions pas voir. Les caissiers, les agents d'entretien, mal payés, mal considérés, sont en réalité la clé de voûte d'une société qui les a traités jusque-là comme des travailleurs sans importance. Les revendications de longue date des soignants (plus de moyens, plus de lits, plus de personnels..) trouvent également - d'un coup - un écho indiscutable dans l'opinion publique et dans l'esprit du gouvernement, poussé de fait à se montrer à la hauteur de la situation. Pour faire pression, le 14 février, l'hôpital public est de retour dans la rue, "le coeur brisé" comme le proclament les pancartes des manifestants. Ce qui n'empêche pas Agnès Buzyn, deux jours plus tard, de plaquer le ministère de la Santé et de provoquer la consternation. Envoyée sur le front de la conquête de la Mairie de Paris, elle passe la main à Olivier Véran , nouveau ministre propulsé en pleine crise. La colère gronde parmi les soignants, qui font face comme ils le peuvent à la première vague du virus. Tous les soirs à 20h, ils sont applaudis par une population admirative et reconnaissante, mais "les héros" veulent des actes. Au mois de mai, Edouard Philippe promet des "investissements massifs" et annonce un "Ségur de la Santé", tandis que le mois qui suit, des manifestations rassemblent de nouveau des dizaines de milliers de professionnels de santé fatigués et insatisfaits. Et pourtant ils tiennent. Et pourtant ils soignent, comme ils le peuvent, les cohortes de malades qui leur arrivent. Les négociations s'accélèrent et après sept semaines de discussions, le gouvernement met 8 milliards d'euros sur la table ; un accord salué comme "historique" par Jean Castex.
Là-dessus, l'été est doux et les Français se prélassent sur les plages avec l'aval des autorités, sans plus se préoccuper de l'ennemi qui rôde. Les soignants, eux, tentent de se reposer, conscients de l'éventuelle survenue d'une 2e vague. Et en effet, le 30 octobre : la France, abattue, se reconfine. Les leçons ont tout de même été tirées du premier épisode : cette fois, les écoles restent ouvertes et les personnes âgées peuvent être visitées par leurs familles. Les commerces "non-essentiels" rouvrent le 28 novembre, mais le niveau de contamination reste élevé et le déconfinement, fixé au 15 décembre, s'accompagne de restrictions plus importantes qu'initialement prévu. Restaurants, musées, cinémas, théâtres désespèrent de pouvoir rouvrir pour les fêtes de fin d'année. Ce sera non. Le Covid-19 a fait plus de 60 000 morts en France à l'approche des fêtes.
2021, l'année du collectif ?
Evidemment, pour ce regard dans le rétroviseur, nous avons fait l'impasse sur le conflit de la réforme des retraites, l'essor du télésoin, l'éradication de la poliomyélite du continent africain, les violences conjugales... qui pourtant, ont marqué l'actualité sanitaire de l'année 2020. En 2021, aurons-nous le droit d'espérer ? Difficile à ce stade d'estimer les traces durables que laissera la pandémie sur nos sociétés. Pour certains experts, il faudra des années avant de parvenir à une immunité de masse quand d'autres parient sur un retour à la normale dès le milieu de l'année 2021 (pourvu qu'ils aient raison). Au delà de cela, qu'en sera-t-il de nos modes de vie, de consommation, de notre rapport à l'Autre, à la planète ? La pandémie est venue nous rappeler (s'il le fallait !) que nous sommes partie prenante d'un écosystème fragile que nous malmenons. L'individualisme, l'égoïsme, le repli sur soi, ont touché du doigt leurs limites. La crise sanitaire est venue nous bousculer dans notre torpeur de consommateurs pressés et jamais rassasiés, en plus de fissurer les certitudes des pays riches, la confiance sereine en leur toute puissance. Eux qui se croyaient protégés de tout se retrouvent étourdis devant un phénomène qu'ils croyaient disparu avec le Moyen-Âge. Tout le monde dans le même bateau, ballottés sur la mer menaçante du coronavirus.
2021 doit être l'année du collectif. Et nous avons bon espoir. La crise a aussi révélé du très bon : nous avons su (pour beaucoup) faire acte de solidarité, nous avons su bouger, changer, fabriquer des masques, aider le voisin âgé à faire ses courses, livrer des repas aux soignants, bref nous adapter. Pour certains, la pandémie pourrait favoriser une approche plus flexible du travail, voire une relocalisation partielle des chaînes de production. Enfermés, cloîtrés, nous avons brutalement pris conscience de ce qu'il y avait d'essentiel à notre équilibre (toujours fragile, toujours provisoire) dans les rapports humains. Pensons demain, activement. La critique facile, la défiance, la méfiance, l'esprit revanchard, ne donneront rien de bon. Et dans ce bouillon tout le monde a un rôle à jouer. Le plus triste serait de retomber dans nos travers, sans se soucier de ce que nous avons vécu. Le plus triste serait de s'abandonner à une méfiance aveugle et dangereuse, de suivre la pente glissante du complotisme et de l'obscurantisme . Rien n'est jamais acquis. Que nous réservera 2021 ? La bonne nouvelle, c'est que la réponse à cette question dépend aussi un peu de nous. Alors rêvons, pensons et agissons. Sur ce, laissons-nous porter, ragaillardis et la mine timidement réjouie, vers 2021.
Susie BOURQUINJournaliste susie.bourquin@infirmiers.com @SusieBourquin
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