Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

Merci d'avoir répondu !

HUMOUR

Amour, gloire et bétadine - Plus près de toi...

Publié le 08/09/2014
bougie éteinte fumée

bougie éteinte fumée

L'infirmier Morisot, notre San Antonio en blouse blanche, démarre la rentrée en pleine forme si l'on en croit la nouvelle chronique qu'il nous propose aujourd'hui. Cette nouvelle histoire, désopilante malgré le contexte - et néanmoins vraie - aux allures de veille funèbre à la mode Sister's Band Orchestra devrait stimuler vos zygomatiques... et vos abdominaux...  Quoi de mieux pour commencer la semaine !

Entre « Jésus revient » et « Le Seigneur est mon berger », la petite sœur pique hélas du nez pour de bon...

L’obsolescence programmée est un fléau qui ne touche pas seulement le monde fragile de l’électroménager, il nous concerne tous également. Mais contrairement à un bête réfrigérateur, les homo-sapiens ne sont pas égaux devant la mise au rebut ; il y a en effet différentes manières de dégager la piste et certaines sont plus conviviales que d’autres…     

Nous sommes bien d’accord, un couvent n’est pas une école de sumos. Les modes de vie sont d’ailleurs bien différents d’un endroit à l’autre, les habitudes alimentaires monastiques, par exemple, n’incitant pas vraiment à la boulimie. Cela dit, certaines religieuses appliquent parfois les consignes de frugalité avec un zèle un peu excessif. En tout cas, c’est ce que nous constatons aujourd’hui en accueillant une sœur qui débarque aux urgences sans crier gare. La pauvre ne devait en effet pas trop s’exciter sur la fourchette ; grasse comme un vélo, elle paraît minuscule sur le brancard. Mais comme dit le gars qui rentre du boulot (en avance) et découvre son meilleur copain (à poil) dans le placard de la chambre, tout s’explique : avec la sonde de gavage qui dépasse de son nez, elle n’allait sûrement plus au réfectoire depuis belle lurette. Car il y a des lurettes plus ou moins belles, et celle-là est magnifique.   

La pauvre ne devait en effet pas trop s’exciter sur la fourchette ; grasse comme un vélo, elle paraît minuscule sur le brancard

Bref, la pauvre femme (en phase terminale de cancer) est dans un triste état. Petite anecdote recueillie en faisant son entrée, j’apprends qu’elle doit fêter ses 50 ans de vie religieuse à l’automne prochain.  Comme dirait l’autre, c’est pas gagné… Un demi-siècle en CDI, à notre époque où le marché du travail ressemble à un parcours du combattant tracé sur un champ de mines, je m’incline en silence devant tous ces trimestres de cotisation. Mais pas trop longtemps non plus, car la rupture de contrat paraît imminente. Je suis d’ailleurs étonné que cette échéance se passe chez nous et non pas à la maison. D’habitude, dans son cas, les fins de vie professionnelle se passent à domicile, au monastère. Mais la petite sœur est vraiment trop mal, elle gémit et dérouille à chaque inspiration. Nous faisons donc le nécessaire pour la soulager. En comptant ses narines - et en faisant l’inventaire de celles disponibles - j’en trouve une pour y installer une sonde à oxygène. De son côté, Annie pose la perfusion et les cocktails destinés à arroser sa fin de carrière.

Ses copines, serrées dans un coin de la salle, nous regardent en récitant le chapelet. Choc des cultures. D’abord silencieuse, la prière monte d’un cran et vient bientôt s’échouer dans nos conduits auditifs... Moment de flottement, car cette ambiance particulière nous change de notre fond sonore habituel où les cantiques se font entendre aussi fréquemment que le requiem de Mozart dans un salon de massage thaïlandais.  

Un demi-siècle en CDI, à notre époque où le marché du travail ressemble à un parcours du combattant tracé sur un champ de mines, je m’incline en silence devant tous ces trimestres de cotisation

Lorsque nous quittons la pièce, l’assemblée - qui semble gagner en confiance - monte la sono et entonne « Mon âme a soif de toi », titre incontournable lorsqu’on atteint sa date de péremption. Moi qui suis un farouche défenseur d’une laïcité intransigeante, j’esquisse pourtant le début de commencement d’un sourire en me disant que - après tout - ce début de mutation chez Saint-Pierre ressemble finalement à quelque chose.      

En attendant, nous apercevons dans le couloir un de nos collègues, Emmanuel, militant syndical depuis sa première communion, date à laquelle le brave garçon a remanié en profondeur sa vision du monde… Manu qui marche tranquillement croise soudain sœur Marie-Thérèse de l’Incarnation qui trottine pour rattraper son retard au concert. Deux mondes se frôlent, dans un silence assourdissant… Nous rejoignons notre petit camarade à l’office, trop content de bouffer du curé. Il se verse un café en rigolant : on en apprend chaque jour ; je savais pas que Batman avait une frangine... Il a également un frère : je vois un homme, habillé tout en noir, à l’accueil. C’est un prêtre, qui se présente avec un grand sourire et une extrême-onction. Bonjour, je viens pour la sœur qui a été amenée chez vous… on m’a demandé de lui apporter le sacrement des malades…

On en apprend chaque jour ; je savais pas que Batman avait une frangine...

Là, j’ai un problème : j’ai fait le tour ce matin des stocks de solutés et nous sommes un peu juste au niveau de l’eau bénite… Tant pis, je conduis le père vers la plate-forme de lancement, accompagné d’un sentiment légèrement honteux qui me fait caresser l’espoir d’une rapide mise en orbite. Car ça commence à bouchonner sérieux en salle d’attente… En poussant la porte, je réalise que le compte à rebours n’est pas fini, loin de là. En fait, nous tombons en plein best of des petits chanteurs à la croix de bois. Les sœurs tapent du pied et balancent en rythme, l’une d’elles tenant la main de notre invitée. Heureusement, l’absence de public évite qu’une foule manifeste son émotion en brandissant des briquets aussi éclairés que dangereux, l’oxygène qui diffuse à haut débit risquant bien en effet de faire péter la boutique. Cela dit, nous ne sommes pas à l’abri d’un allumage intempestif de cierge, et je vérifie discrètement si aucun ne dépasse d’une manche de soutane. Je m’occupe ensuite de la perfusion, tandis que les sœurs terminent un morceau de choix Tu es la lumière des hommes. Le curé profite alors de l’occasion pour intervenir avant En toi j’ai mis mon espérance, chant magnifique mais très dense, qui présage de longues minutes d’attente si on a le malheur de rater le créneau.

Cela dit, nous ne sommes pas à l’abri d’un allumage intempestif de cierge, et je vérifie discrètement si aucun ne dépasse d’une manche de soutane

Pendant que le brave homme administre son sacrement, je réajuste le débit du sérum salé en essayant d’éviter les coups de goupillon. Par la porte entrouverte, j’aperçois mon camarade syndiqué dans le couloir, inquiet par cette densité exceptionnelle de soutanes dans la boutique. Manu n’est pas habitué à  écouter  Radio Vatican et,  pour  lui, c’est  un  choc musical violent. En fait, il a un peu le même visage (fermé) que le dirigeant nord-coréen entendant la foule reprendre en cœur Non, non, non, Saint-Eloi n’est pas mort, car il b... encore…, en lieu et place de l’Internationale. Ce n’est pourtant pas la première fois que nous assistons à un festival off de veillée funèbre festive. Le mois dernier, des gens du voyage nous ont fait le coup des Gipsy Kings pour accompagner un des leurs en fin de vie. Chants, prières, lecture de la Bible, tout ça tout ça… ils étaient à deux doigts de sortir les guitares et d’allumer un feu de camp dans la salle de soins.   

Cela dit, le répertoire du Sister’s Band Orchestra relève d’un autre registre, moins violent en décibels. Mais il présente toutefois des effets secondaires et semble avoir le même impact qu’un récital de Francis Cabrel ; entre Jésus revient et Le Seigneur est mon berger, la petite sœur pique du nez pour de bon. Je regarde à nouveau par la porte , Manu a détalé depuis longtemps. Il doit être à l’office, en larmes. 

De mon côté, je fais semblant d’assurer la maintenance du matériel et de prendre un pouls inutile, afin de profiter de l’ambiance. Pour une fois que quelqu’un s’en va dans la joie et la bonne humeur, on ne va pas bouder son plaisir. Pour tout dire, ça change de certaines sorties foireuses en SMUR dans le monde de brutes qui nous sert de biotope naturel. Quinze jours plus tôt, une intervention d’enfer… un vieil homme qui explose en vol à cause d’un infarctus.

Score final : humanoïde : 0, la grande faucheuse : 1. En fait, on a juste grillé de l’essence pour inscrire le résultat et installer le corps sur le lit conjugal (sur le carrelage, ça faisait désordre). Après, on est partis en laissant la dame toute seule ; pas d’amis, pas de famille, brouillés avec les voisins… la fête au village, quoi. Bon d’accord, j’exagère un peu car elle n’était pas vraiment toute seule, il y avait un chat, et il avait l’air vachement affectueux. Mais quand même…

Pour une fois que quelqu’un s’en va dans la joie et la bonne humeur, on ne va pas bouder son plaisir

Bref, revenons à nos moutons. En salle 3, donc : le tour de chant tire à sa fin et le Sister’s Band Orchestra entonne la chanson qui a pété l’audimat sur le Titanic : Plus près de toi, mon Dieu… s’élève dans la pièce… Ce tube mortel décide la petite sœur à aller sur Internet. Elle se connecte sur le site de « javalemonbulletindenaissance.com », juste à la fin du dernier couplet. Et toc ! Cette défaillance informatique ravive l’enthousiasme de la chorale qui remet le couvert une dernière fois. Sœur Marie-Thérèse donne le ton et lance Nous nous reverrons dans ton royaume…. Cette fois, j’espère que les hostilités vont s’arrêter là, si on embraye avec Ce n’est qu’un au revoir… en nous tenant par la main, je crains le pire pour Manu,  n’y résisterait pas. Mais en fait il n’y a pas de rappel. La sœur s’en va doucement vers un monde meilleur, ou du moins supposé comme tel car exempts d’impôts, de maladies contagieuses et de rétrospectives Claude François aux heures de grande écoute. Les six reines du porc d’Alexandrie, oh oh oh… Euh… non, ça va pas, j’ai dû me planter au niveau de l’orthographe. Mais bon, vous voyez ce que je veux dire. Le concert est donc terminé et en fait ça nous arrange bien. Ma collègue doit en effet installer quelqu’un d’autre pour le spectacle suivant, un jeune gars qui semble souffrir d’une colique néphrétique. Ça balance d’ailleurs pas mal pour lui, il tape aussi du pied sur le lino, mais pas tout à fait dans le même esprit que le Sister’s Band Orchestra.

Sister’s Band Orchestra entonne la chanson qui a pété l’audimat sur le Titanic : « Plus près de toi, mon Dieu…

Bref, nous congédions gentiment (mais rapidement) la chorale, afin d’assurer la continuité de notre noble mission de service publique. Et en attendant que le corps soit rapatrié au monastère, je demande à Manu de l’emmener à la morgue, la salle d’embarquement pour le pays sans impôts ni rétrospectives années 70. Quelques minutes plus tard, le camarade syndiqué assure donc le service après-vente, troublé par un environnement socio-culturel qu’il appréhende de fait à la façon de la poule croisant un tire-bouchon. Solitude de l’agent de funérarium paumé en rase campagne... Au moment où il doit expliquer à l’assistance la procédure relative aux transports post-mortem, il marque un temps d’arrêt, le regard perdu. Mesdames… euh, mes…sœurs… il faut contacter le croque-mo…euh, je veux dire les pompes funèbres, pour ramener le corps chez vous…. En disant mes sœurs, il fait la même grimace que s’il prononçait les mots « stock-options » ou « bénéfices du CAC 40 ». Une sorte d’allergie, quoi.

Trois heures plus tard, ma journée se termine ; le concert  de negro-spiritual est déjà loin. Je passe les consignes à l’oiseau de nuit qui vient prendre ma suite. Après avoir détaillé le cas des patients en cours de contrôle technique, j’entame le couplet habituel sur le manque de lits disponibles. C’est com d'hab, j’ai négocié une heure au téléphone pour trouver deux places en chirurgie et trois lits en médecine… Heureusement, pour les mutations chez Saint-pierre, c’est plus facile, il suffit de se connecter sur Internet : j’avalmonbulletindenaissance...  C’est beau, la technique !

Didier MORISOT  Infirmier en Saône-et-Loire  didier.morisot@laposte.net


Source : infirmiers.com