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HUMOUR

Amour gloire et bétadine : l'empereur, sa femme et le petit prince

Publié le 10/01/2014

Attention, en ce début d'année, l'infirmier Didier Morisot reprend ses chroniques « déglinguées ». Il nous entraîne aux urgences, un lendemain de fêtes, et on peut dire que la communication soignants/soignés n'est pas au top...

Quelquefois les mauvais rouages de la communication entre soignants et soignés compliquent les choses...

2 janvier, lendemain de séisme. Le jour d’après, comme on dit au cinéma : rescapé du réveillon, je marche - hagard - vers l’endroit qui me permet de payer mes factures et de nourrir mes enfants...

9 h 52, j’arrive à l’hôpital. Le pic-vert qui tambourine dans mon crâne épargne toutefois mon cervelet, cette partie du sous-cortex qui assure un minimum de vigilance et permet à tout un chacun de suivre la Star Academy et même les débats politiques pré-électoraux. Bref, je ne suis pas complètement dans le coma et j’éteins machinalement les 43 lampes du vestiaire qui éclairent les mouches depuis près de trois heures. Après avoir fait ce geste pour la planète, je rentre aux urgences.

Un cascadeur et un explorateur aux urgences

Echange de vœux, bisous, sourires : si ça fait pas de bien, ça fait pas de mal. Je soigne ensuite les séquelles de la fin du monde, ou plutôt de la fin de l’année, en buvant un café tellement noir que la cuillère tient debout toute seule. J’écoute les consignes tout en remuant le marc au fond de la tasse. Ce matin, nous faisons dans le viscéral, ma collègue Sandrine s’occupe d’un jeune descendu de moto alors que son engin avait décidé de continuer sans lui. En fait, tout cela s’est fini en vol plané contre un poteau EDF, un objet - dur - qui permet d’éclairer les hommes et d’allumer, hélas, certains motards. La rencontre avec ce symbole du service public n’a donc pas été anodine : la douleur et l’agitation qui en résultent évoquent une rupture d’organe creux, l’échographie en cours devant confirmer le diagnostic.

Petit rappel anatomique pour ceux qui - durant leurs études - vivaient une grande histoire d’amour avec le poêle, au fond de la classe : un organe est dit « creux » lorsqu’il contient de l’air, comme par exemple le gros intestin, l’estomac, le cerveau d’un énarque…  Bref, le cascadeur est à la photo et nous devons nous occuper également d’un autre gaillard qui vient d’arriver. De retour d’Egypte, celui-ci a en effet ramené plusieurs souvenirs : une statue d’Osiris fabriquée en Chine, une autre du Sphinx fabriquée en plâtre et - bingo - une turista pharaonique. Odeur comprise. Fait exprès, la ventilation est en panne - c’est pas drôle, sinon -  et Sandrine me conseille de travailler en apnée si je dois m’occuper de lui. L’appel des profondeurs, le grand bleu, tout ça tout ça…  

Mais avant de jouer avec les dauphins, je vais prendre des nouvelles du jeune accidenté. Corinne, l’assistante, revient de l’échographie et il s’agit bien d’une rupture de l’intestin grêle. Notre motard a gagné un passage au bloc opératoire afin de réparer sa canalisation défaillante. Pendant que Corinne boucle le dossier médical, elle m’interroge à propos de la famille. « Au fait, ses parents sont arrivés ?... »

La question est pertinente. Je file inspecter la salle d’attente qui présente beaucoup de similitudes avec le cerveau d’un major de promo à l’ENA : elle est parfaitement vide. Par contre, il y a encore du gaspillage.. J’éteins donc le néon des sanitaires qui éclaire les mouches ayant migré depuis le vestiaire. La planète me remercie, puis je retourne faire mon rapport aux autorités médicales, assez philosophes. «Tant pis, j’aurais bien aimé leur parler avant d’aller voir au bloc… »

Sur ce, Viviane (l’aide-soignante) se manifeste.  « Des gens viennent d’arriver à l’accueil… c’est la famille du jeune qui a mal au ventre… » « OK, installe-les en salle d’attente et dis-leur que je viens leur parler… »

De retour d’Egypte, il a ramené plusieurs souvenirs : une statue d’Osiris fabriquée en Chine, une autre du Sphinx fabriquée en plâtre et - bingo - une turista pharaonique.

Des mauvais rouages de la communication

Tic-tac… nous ne le savons pas encore, mais le drame de la communication est enclenché… cela dit, je me sens en meilleure forme. Mon pic-vert est parti draguer en ville et mes capacités pulmonaires sont au top. Viviane m’arrête, alors que j’entame quelques exercices d’apnée. « Au fait, Sandrine s’occupe du jeune qui a la gastro… c’est son cousin ! Si tu veux plutôt ranger le dossier en salle 1, ça l’arrangerait… »

D’habitude, je ne suis pas un fanatique de la paperasse, mais aujourd’hui, j’avoue que je me fais moins prier. Les dauphins : bof… Avant tout, je ferme le robinet (un peu dur) que Corinne - avec sa petite main pleine de petits doigts gracieux - n’a pas serré assez fort. La planète me remercie chaleureusement et retourne à son agonie. De mon côté, je sors mes prothèses visuelles et je me plonge - avec l’enthousiasme du spéléologue claustrophobe - dans la rédaction du dossier informatique, cet objet sacré qui respecte les saintes consignes de l’accréditation et nous permet de justifier notre salaire en rédigeant de ravissants comptes rendus et de gentils diagnostics infirmiers.  Cela dit, l’hôpital n’est pas qu’un lieu administratif, il nous arrive parfois d’être confrontés à des vrais gens qui n’ont pas toujours le tact de nous laisser écrire tranquillement. Lorsque Viviane rentre dans la pièce, j’entends comme des pleurs au moment où elle ouvre la porte.

« Aïe, c’est la crise. Ils acceptent plutôt mal l’opération de leur fils. Corinne est partie au bloc… tu pourrais aller voir la dame, elle n’est pas très bien… ? » Comme je ne peux rien refuser à une femme, je vais donc aux nouvelles… cela dit,  j’aurais vraiment dû choisir un métier de plein air. Car si l’amour est dans le pré, et l’aventure au coin de la rue, l’angoisse est bien en salle d’attente.

Le talk-show organisé par l’assistante a eu un effet dévastateur. Je découvre une femme en larmes, un homme en colère et un jeune gars qui fait les cent pas. Le 13 juillet 1789, l’ambiance devait être aussi électrique... Lorsque j’entre dans l’arène, l’empereur, sa femme et le petit prince me sautent dessus. Surtout l’empereur, en fait, qui est en mode pitbull.

« Qu’est-ce que ça veut dire… on opère notre fils sans rien nous dire. Je veux bien qu’il soit majeur, mais je suis sûr qu’il aurait voulu nous voir avant d’être opéré ! » J’adore ce genre de situations ! Pour sortir de la mêlée, je prends le ballon et je botte en touche. Le rugby, un sport qui devrait être obligatoire dans les instituts de formation en soins infirmiers...

« Mais que vous a dit le médecin ?... » « Elle nous a dit qu’il était opéré, voilà… Et puis, ça nous a tellement surpris qu’on ne lui a pas posé de questions, on ne s’y attendait vraiment pas. »

« Bien sûr, c’est normal, un accident, c’est toujours imprévisible… » « Vous vous foutez de moi… vous appelez ça un accident, vous ? Vraiment, je ne comprends pas : votre fils a la diarrhée et vous apprenez qu’on lui a coupé un bout d’intestin. On nous cache quelque chose, c’est pas possible ! » 

Car si l’amour est dans le pré, et l’aventure au coin de la rue, l’angoisse est bien en salle d’attente

Enlevez l’intestin, vous enlevez la diarrhée !...

Soudain, le drame de la communication me pète à la figure avec la violence du pétard qui flirte avec un barbecue. Au lieu de gâcher ma belle jeunesse à taper sur un clavier, j’aurais eu meilleur compte à vérifier l’identité. Car nous avons balancé une info pourrie à des gens qui n’avaient rien à voir avec le Schmilblick.  Trop c’est trop, tout mais pas ça… Soudain, l’ombre du découragement vient me caresser de ses ailes lourdes et poisseuses. Plutôt que d’avouer notre méprise et de me ramasser une soufflante propre à réactiver mes céphalées post-festives, je suis brièvement tenté de justifier l’injustifiable. En un éclair, je prépare une réponse logique à une situation qui ne l’est pas : vous comprenez, mon brave monsieur, l’ablation de l’organe malade est certes une solution extrême, mais à l’efficacité garantie. Enlevez l’intestin, vous enlevez la diarrhée ! D’ailleurs, durant la Révolution, un médecin célèbre pratiquait ainsi avec beaucoup de succès : le docteur Guillotin soignait par exemple très bien les méningites et les problèmes ORL. Tous ses patients étaient soulagés ! 

Un éclair de lucidité me retient toutefois aux portes de l’irréparable, et je me contente de taper dans le ballon de rugby en cherchant une nouvelle touche. « Excusez-moi… nous allons tout vous expliquer… en fait, ce n’est pas si grave que ça… »

« Pas si grave », l’expression qui énerve lorsqu’on patauge dans le cambouis. Le chef de famille me regarde soudain avec des yeux de tueurs à gages. Le même regard que Jean Reno dans le film « Léon », juste avant qu’il ne tire au bazooka. N’écoutant que mon courage (parfaitement inaudible), je prends la porte avant de me prendre une tarte. Heureusement, la providence - aidée par l’ascenseur - ramène Corinne dans les parages. Je lui saute dessus avec l’énergie de la sangsue privée d’hémoglobine pendant six mois, et je lui explique le scénario : l’amour dans le pré, l’aventure au carrefour, l’angoisse dans la salle d’attente, tout ça tout ça… son courage est à la hauteur du mien. Elle exprime son désarroi avec un gros mot que mon éducation - excellente, au demeurant - m’interdit de retranscrire, et gagne du temps en essayant de comprendre ce qui s’est passé. En fait, c’est limpide : on s’est pris les pieds dans la moquette. Pour résumer, il est urgent de rétablir une communication adaptée, ce que nous faisons avec une belle tête de vainqueur : vous allez rire, mon brave monsieur, il s’agit d’un malentendu. Non, vous ne riez pas. D’accord. 

Bref, le malentendu est dissipé mais le public également. Le monsieur nous invite à un concert privé et nous chante Ramona avec une voix de ténor. Solitude de l’infirmier perdu en rase campagne. Machinalement, je regarde la belle chevelure blonde de Corinne soulevée par le souffle musical de Pavarotti. De jolies boucles qui ressemblent à celles d’Heidi, la petite bavaroise - libre et heureuse - qui court dans ses montagnes avant de rejoindre la ferme parentale dans le soleil couchant et de traire Choupinette, sa jolie chèvre blanche. Hélas, une vocalise soudaine - plus forte que les autres - fait disparaître Heidi derrière l’horizon, tandis que mon pic-vert revient à son point de départ. Aïe, bobo la tête.  

En fait, c’est limpide : on s’est pris les pieds dans la moquette. Pour résumer, il est urgent de rétablir une communication adaptée

Moralité...

Avec Corinne, nous sommes d’accord sur un point : si l’on veut éviter un casting à Pôle Emploi, nous avons intérêt à mieux choisir nos interlocuteurs… Au lieu de me focaliser sur le dossier infirmier, j’aurais mieux fait de regarder autour de moi. Un jour, je finirai enseveli sous ces foutus papiers et il faudra un chien d’avalanche pour me sortir de là… Moralité, on peut très bien sodomiser les mouches administratives et - juste après - rater un éléphant dans un couloir.

Prépare la moustiquaire, Simone. L'été prochain, on part en mission au Kenya avec le planning familial, pour une campagne de ligatures des trompes. Ça nous apprendra à reconnaître nos amis les pachydermes, des fois qu’ils repasseraient aux urgences. Pour les mouches, aucun problème, y’en a plein sous les néons…

Didier MORISOT Infirmier en Saône-et-Loire didier.morisot@laposte.net


Source : infirmiers.com