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HUMOUR

Amour, gloire et bétadine - Delon patauge dans le 12° !

Publié le 21/05/2012

Vous avez adoré ses abécédaires « caustiques », vous adorez désormais ses chroniques « déglinguées » que vous attendez avec impatience. L'infirmier Didier Morisot s'invite sur nos pages et, sans nul doute, nous sommes nombreux à partager le menu... Bon appétit avec aujourd'hui une nouvelle chronique : « Delon patauge dans le 12° ! », fort à propos !

Calme plat aux urgences, pas de vent, une mer d’huile, on entendrait une mouche se gratter la peau du ventre si François (le collègue ambulancier en équilibre sur un brancard) ne ronflait pas comme un groupe électrogène… Ceci dit, le repos du travailleur est aussi fragile que la coquille d’un œuf dur sur le coin du zinc, il finit donc par se briser vers 2 heures du mat’, fracassé par la hotline du SMUR, lorsque la sonnerie (stridente) du téléphone déchire la nuit. En attendant qu’on la raccommode, la mouche arrête de se gratter le nombril et je vais aux nouvelles.

« Allo… bonjour, c’est le Centre 15 ; la police vous attend au domicile de Mr Grodoudou, sur la commune de Mézidon-les-deux-douas… le voisin aurait entendu un coup de feu et il y a du sang un peu partout, paraît-il… » Ben voyons. C’est vrai que ça manquait d’animation. Une petite fusillade, ça ne se refuse pas ! Le temps de déplisser mes yeux en capote de fiacre et je me retrouve dans la chariote avec Isabelle (le médecin de garde) et le camarade François, tombé de sa couchette. Je suis en effet de sortie car Brigitte (l’infirmière-anesthésiste préposée au ramassage) est pour sa part « tombée enceinte ». Si c’est moins brutal qu’une chute de brancard, cela impose cependant la prudence en termes de situations rock’n roll. Brigitte a donc un mot d’excuse et je la remplace au SMUR. Trop content. Didier Morisot : le plan B qu’il vous faut ! Mort de rire…

Des traces de sang sont visibles par terre et sur la porte d’entrée.
La scène du crime se précise.

En route vers Fort Alamo

Ambiance des grands soirs sur la route des vacances. Un coup de feu : c’est quoi ce plan pourri, encore ? Je nous vois bien partis pour écrire une nouvelle page (glorieuse) du service public hospitalier… Afin de détendre l’atmosphère, nous passons (bêtement) en revue les derniers coups de sulfateuse enregistrés dans le diocèse : exercice finalement idiot, car peu rassurant. Bientôt, comme le ministre de l’Éducation en visite dans un collège de banlieue, nous jouons à nous faire peur. Nous pensons ainsi, émus, au gars un peu nerveux qui avait arrosé sa copine à la 22 long rifle. « Un acte d’amour, qu’il lui avait dit. Je t’aime trop, Lulu, je peux pas vivre sans toi ! » Euh, merci, mais j’aurais préféré avec des fleurs… Bref, pendant qu’elle se traînait sur le carrelage, il avait attendu que l’on frappe à la porte pour se faire sauter la tête. bbrrr… Nous évoquons aussi ce policier qui, récemment, s’est fait plomber le fémur gauche avec un fusil de chasse. Pourtant, impossible de le confondre avec un sanglier. Il faut vraiment être miro. Ppfff…

Durant le trajet, l’ombre de l’angoisse déploie donc lentement ses ailes et tandis que Brigitte attend, sereine, son heureux événement, de notre côté nous appréhendons un machin bien plus foireux... Juste avant d’arriver à Fort Alamo, je contrôle le matériel une dernière fois : défibrillateur, nécessaire pour intuber, gilets pare-balles… on n’est jamais trop prudent. Ce zèle en matière de vérification souligne en fait l’état de mon système hormonal... Gouverné en temps normal par un flux harmonieux de testostérone, il est à présent submergé par un flot sournois d’adrénaline…

Sur place, nos appréhensions se renforcent : des traces de sang sont visibles par terre et sur la porte d’entrée. La scène du crime se précise. Les salutations aux camarades policiers sont donc cordiales mais rapides.

Après un court briefing, la stratégie s’organise. Tandis que les forces de l’ordre repèrent les différents accès à la forteresse, François vérifie soigneusement la liaison radio avec l’hôpital. Pendant ce temps, Isabelle se concentre et réfléchit aux différents scénarios possibles en matière de blessures par armes à feu. Pour ma part, j’étudie méthodiquement les raisons idiotes qui m’ont empêché de prendre une RTT initialement prévue aujourd’hui. Dommage !

Malgré cette réflexion intense, j’aperçois le GIGN local rentrer dans l’édifice, sans même avoir à forcer la serrure. Bizarrement, je ne suis pas hyper pressé de le rejoindre. Respectant ses prérogatives, je le laisse agir en savourant la douceur de la nuit. Toujours prendre du recul sur les choses qui troublent notre sérénité et puis, que sommes-nous face à l’immensité de l’univers ? Aucun nuage, il y a des milliers d’étoiles... Je montre à François comment distinguer la constellation de la Grande Ourse parmi tous les jolis reflets du ciel… « Sais-tu, mon ami, que cette lumière met des années à nous parvenir ? Certains corps célestes ont d’ailleurs cessé d’exister, alors que l’on perçoit encore leur image ; ne vivons-nous pas dans l’illusion, quelque part ? ».
Mon camarade m’écoute, d’un air surpris et, de son côté, Isabelle m’observe, un peu inquiète. Heureusement, leur regard compatissant me fait bientôt réagir et je reviens doucement à la réalité. Le cri d’un policier m’arrache définitivement au monde de l’astronomie.
« …Et m…., venez donc voir, mais c’est pas très beau, en fait… »

La frontière entre le coma et le sommeil profond étant parfois difficile à discerner,
nous lui demandons son passeport.

« J’ai du faire péter la porte un peu fort ! »

Prenant mon courage à demain, je laisse rentrer Bernard et je précède Isabelle en bombant le torse... et en serrant les miches ; mettez-moi une noisette entre les fesses, je vous fais de l’huile… Pour l’heure, l’intérieur de Fort Alamo ressemble à ce que l’on voit dans « La maison de Marie-Claire », en moins raffiné. Au milieu du hall, quelqu’un a en effet déposé une gerbe à la mémoire des viticulteurs du Midi. L’odeur est ignoble ; une pizza régurgitée cohabite joyeusement avec un échantillon de la production viticole du Languedoc-Roussillon. Même qu’Alain Delon patauge dans le 12° (précision : les murs sont couverts d’affiches de cinéma). Le reste de la décoration, assez trash, est d’un goût aussi discutable : hémoglobine en pointillé, épluchures diverses, canettes vides… beurk. Au passage, la petite note glamour qui complète le tableau est un matou boiteux qui folâtre gaiement à travers les ruines. En attendant de côtoyer un éventuel cadavre, nous enjambons ceux produits par une marque de bière bien connue (et très prisée dans les soirées à thème du PSG). Au bout du couloir, Jackie Chan patauge aussi dans la vinasse et pète la tronche de la Mafia chinoise. Nous le laissons à cette noble entreprise et rejoignons les policiers dans la chambre du fond.

Après avoir contourné un deuxième échantillon de la production viticole de l’Hérault, nous atteignons notre objectif. Celui-ci, enseveli sous les couvertures, ronfle encore plus fort que François sur son brancard. La frontière entre le coma et le sommeil profond étant parfois difficile à discerner, nous lui demandons son passeport. La réponse à ce contrôle douanier est un cri digne du sanglier dont je parlais tout à l’heure.

« GROUUIIIIK… » Nous retentons notre chance.

- «- Bonjour…  comment vous appelez-vous ?
- Re-GROUUIIIIK…

Un retour sur terre se précise enfin et un humanoïde émerge de sous les draps, le visage en sang.

- « Hein… quoi… qu’est-ce que c’est ?... »

Pleins de tact et de diplomatie, nous nous présentons et lui expliquons notre inquiétude liée au contexte hémorragique.

- « Vraiment, c’est pas la peine de vous en faire, je me suis vautré sur le trottoir devant chez moi. C’est tout… j’ai dû m’éclater le nez… mais c’est vrai que j’ai un peu bu. Bah… j’en ai vu d’autres…
- Vous êtes sûr ? Le voisin a parlé d’un bruit comme un coup de feu…
- Quel abruti celui-là… J’ai dû faire péter la porte un peu fort, c’est tout…  Bon, maintenant, foutez-moi la paix, j’ai envie de dormir…».

L’ombre de l’angoisse replie ses ailes brutalement et nous goûtons alors au sentiment cruel de passer pour des couillons. François me regarde avec ses grands yeux tristes. Nous vivons tous les deux un moment de solitude intense.

En sortant de Fort Chabrol, l’atterrissage brut de décoffrage se confirme.

Sous l’œil des vedettes du 7e Art...

Après avoir vérifié la tension artérielle de notre nouvel ami et fait un bout de ménage autour de ses narines, nous le bordons et l’embrassons sur le front avant de plier les gaules… Dans le couloir, nous apercevons le matou boiteux en train de manger un bout de pizza en phase terminale. La poésie continue…

Chacun son job, en fait. Pendant que Bruce Willis s’élance sur le mur du vestibule et court en zigzag sous le feu des terroristes, nous contournons lourdement les flaques de vin prédigérées, avant de poursuivre la noble mais humble mission qui est la nôtre. La noblesse n’empêche cependant pas un début de lassitude. Certes, on ne fait pas ce métier pour être ovationné par les foules en délire, mais le but n’est pas non plus de passer pour un guignol…

En sortant de Fort Chabrol, l’atterrissage brut de décoffrage se confirme. Même la Petite et la Grande Ourse ont disparu, avalées par un nuage. A la place, un petit et un gros chien jouent au docteur sous un lampadaire… Parfois, nous vivons des moments un peu magiques où l’atmosphère est transcendée par un je ne sais quoi de léger et rafraîchissant. Ce soir, ce n’est pas le cas. Allez, on rentre. Chacun retrouve bientôt son train-train habituel : la Police va se défouler vers la boite de nuit en pêchant à l’alcootest, tandis que nous allons attendre aux urgences la friture passée à travers les mailles de leur filet... Il faut être lucide, nous sauverons l’Humanité en péril un autre jour. Le créneau de l’héroïsme est en effet occupé par plus fort que nous : avec Steven Seagal et Tom Cruise en première ligne, nous ne sommes pas de taille à lutter…Je hais le Festival de Cannes. Dommage, nous y sommes en plein !

Didier MORISOT
Infirmier en Saône-et-Loire
didier.morisot@laposte.net


Source : infirmiers.com