Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

Merci d'avoir répondu !

HUMOUR

Amour, gloire et bétadine - «Accroche-toi Bill !»

Publié le 08/03/2012
accroche toi bill

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Vous avez adoré son abécédaire « caustique », vous adorez désormais ses chroniques « déglinguées ». L'infirmier Didier Morisot s'invite sur nos pages et, sans nul doute, nous sommes nombreux à partager le menu... Bon appétit avec aujourd'hui une nouvelle chronique : « Accroche-toi Bill ! »

J’ai toujours aimé le Far West, l’Amérique, l’aventure en fait… même que cela doit être pour ça que j’ai choisi de « faire infirmier ». Bref, quand j’étais jeune je rêvais d’aller aux États-Unis. Je voulais trop voir le Grand Canyon, les Twin-Towers (!), « l’Empailleur state building »… des trucs de naze, quoi…

Mais à l’époque, un billet d’avion coûtait plus cher qu’un ticket de métro et j’essayais donc de gratter un peu d’argent à droite et à gauche. Des séquelles de mon éducation judéo-chrétienne m’empêchant en effet d’arracher le sac des vieilles dames ou de braquer les buralistes, je décidais plutôt de vendre mon corps à une agence d’intérim... Étant encore en apprentissage, je n’imaginais pas travailler autrement que comme aide-soignant. Du moins, c’est ce que je pensais en venant proposer mes (nouvelles) compétences au trafiquant de chair humaine…

Je suis brutalement confronté à un choix existentiel, soit je me jette à l’eau avec l'aide-soignante, soit j’investis dans un commerce de marrons glacés à la Foire du Trône

Je « suis » l'infirmière !

Mais voilà, les principes sont comme les canapés en peau de castor ou les promesses électorales, ils sont faits pour s’asseoir dessus... car si l’hôpital public tente de mettre de vraies infirmières (diplômées) dans ses services de soins, certaines structures privées ne s’embarrassent pas de ces détails, fortement influencées par l’exemple chinois en matière de législation du travail. Et oui, les petits ruisseaux font souvent les grands actionnaires !

Je me revois donc, pucelage professionnel en bandoulière, débarquer dans une clinique parisienne, après un an d’études seulement. A ce stade de ma scolarité, je maîtrisais parfaitement le gant de toilette et la serviette-éponge, mais la technique des intraveineuses et du sondage vésical relevait encore du mystère « insondable ». Vaguement inquiet, je m’entends dire que l’on m’attend aux soins intensifs, au deuxième étage. Go...

A 6 h pétantes, rejouant la scène de « Doctor Livingstone, I presume ? », je me présente dans la cage aux lions.

«  - Bonjour, je suis envoyé par l’agence d’intérim. Vous êtes l’infirmière, j’imagine ?
- Ah, pas vraiment, moi, je m’occupe du ménage, mais je connais bien la boutique, depuis le temps…
- Enchanté. L’infirmière est dans le coin ?
- Mais c’est vous l’infirmière ! Vous n’êtes pas au courant ? »

Horreur ! Soudain, je ressens la même impression qu’une éléphante du Kenya venant demander la pilule à son vétérinaire et qui se ramasse une ligature de trompe… Sentant monter une bouffée d’angoisse incoercible, je questionne ma collègue qui se fait un plaisir de me décrire le désastre. Les soins intensifs concernent donc une demi-douzaine de touristes en pyjamas se faisant bronzer sous les néons. Certains vacanciers, d’ailleurs, attendant patiemment leur transfert vers un centre de loisirs définitif ; un Club-med en « phase terminale », en quelque sorte. Devant mon air désespéré, la gentille organisatrice essaye de me consoler. Des fois que je partirai en courant…

- « Allez ; ce n’est pas si compliqué… vous verrez, je vais vous aider… »

Comme on explique à un petit garçon la manière de se brosser les dents, elle me montre en souriant la marche à suivre : les prescriptions de médicaments, les solutés à changer, les tensions à vérifier… Je suis brutalement confronté à un choix existentiel, soit je me jette à l’eau avec elle, soit j’investis dans un commerce de marrons glacés à la Foire du Trône.

Je plonge donc. Très vite, je réalise que le plus difficile n’est pas le côté technique de la chose. Car en faisant attention, je réussis à reconnaître les différents modèles de tuyaux sortant de sous les draps. Je m’aperçois ainsi que les sondes urinaires sont plus grosses que les tubulures de perfusion. Elles sont également situées (quand tout va bien) en aval de ces dernières… Non, le plus dur, c’est le côté relationnel, parce qu’il faut bien donner le sentiment de maîtriser le processus. Même si je n’en suis qu’au stade de la découverte… exhumant cette fois un sens du devoir attaché aux séquelles de ma foutue éducation, je relève donc ce nouveau défi. Je me remotive bientôt en pensant aux épreuves déjà surmontées dans ma courte vie : l’impossibilité d’épouser ma maman (j’avais cinq ans), la non-existence du Père Noël (huit ans), le niveau intellectuel de mon caporal-chef (dix neuf ans, soit douze mois de désert culturel)… Cette prise de conscience sur mes capacités à rebondir me redonne du courage. Rapidement, je fais face à l’adversité…

« J’apprends plus en un jour de bizutage qu’en six mois de formation ! »

Je tachycarde toutes les dix minutes !

Dans le but de réconforter mes nouveaux patients, je m’appuie sur mon amour des Westerns et je prends modèle sur Clint Eastwood racontant des salades à son pote afin de lui remonter le moral. Vous savez, le gars qui vient de se faire trouer la peau par les indiens et qui a perdu quinze litres de sang.

« Allez, Bill, accroche-toi ; on va te sortir de là… et fais pas attention aux vautours, ils viennent juste aux nouvelles… »

En m’organisant un peu, je trouve un certain rythme de croisière et même un début d’aisance. Je me surprends à la jouer « fingers in the noze ». « Bonjour, je m’appelle Didier, j’aime les sensations fortes et aujourd’hui je suis vraiment gâté… ». Lorsque le moment des bilans arrive, je commence cependant à m'occuper des malades les plus endormis, ceux qui ont perdu leur triple A depuis quelques années. De cette manière, je peux m’entraîner sans qu’ils se mettent à crier trop fort. A la quatrième prise de sang, je compte deux hématomes, seulement. Mais je suis tout de même plus à l’aise pour servir les petits déjeuners (deux patients étant encore capables de s’alimenter…). Je maîtrise la technique, l’ayant souvent pratiquée les dimanches matin, quand j’étais petit. Papa et maman étaient d’ailleurs ravis…

La phase suivante est toutefois plus délicate. Il me faut en effet préparer les perfusions de la matinée et je dois jongler avec les milligrammes de sodium, les millilitres de potassium et les kilo-gamma-minutes de Lénitral… Mes cours à ce sujet ne sont vieux que de quinze jours et je suis moins au top dans ce domaine que pour la préparation du café au lait. Sans trop y croire, je manipule les denrées prescrites par le médecin et je les branche en guettant les premiers signes de convulsion parmi l’assistance… A ma grande surprise, rien ne se passe, aucun bug. C’est fou le nombre de choses nouvelles que je pratique… j’apprends plus en un jour de bizutage qu’en six mois de formation ! Mais c’est quand même crevant de tachycarder toutes les dix minutes. J’ai beau avoir le caractère mieux fait que la figure, après douze heures de navigation à vue, je quitte le couloir de la mort, épuisé… Devant la porte d’entrée, je contourne la moissonneuse-batteuse du patron de la clinique. Elle bouffe la moitié du parking. Normal, quand on se fait un max de blé sur le dos du personnel… Bientôt, je retrouve avec soulagement mon biotope habituel. La brise du soir parcourt la ville, les odeurs d’essence flottent sur le bitume, un ciné, un bistrot… y’a pas à dire, rien ne vaut la nature…

En remontant la rue de la poupée qui tousse, je regarde les vitrines afin d’oublier cette journée où je viens de perdre mon innocence, mes illusions, bref, tous ces détails incompatibles avec mon statut de jeune professionnel… Soudain, je passe devant une agence de voyages qui me tend les bras : la garce me fait un clin d’œil avec des photos de Manhattan by night… « Viens, mon petit, plus que trois semaines de clinique et tu peux me rejoindre… ».

…et m… ! Tant pis pour mes vacances chez Coca-cola et « MaqueuDonald »… Pas question de refaire le guignol dans cette boutique pour me payer huit jours à New York. J’irai plutôt dans l’ouest armoricain voir le cousin Henri. Les plages du Finistère, Plougastel dans le soleil couchant, la dernière frontière du monde civilisé... Allez, Bill, remonte ton bermuda et accroche-toi à l’épuisette, j’aperçois un crabe qui fait du rodéo sur les algues.

Finalement, on va chercher très loin ce qu’on a à côté de chez nous. Vraiment, pas besoin de traverser « la Tlantique » alors que l’aventure est au coin de la rue, Lulu… Courageux mais pas téméraire !

Didier MORISOT
Infirmier en Saône-et-Loire
didier.morisot@laposte.net


Source : infirmiers.com