Conformément à la réforme LMD, les infirmiers avaient jusqu’au 31 mars 2011 pour signifier à leur direction leur choix catégoriel, A ou B. À la lecture des résultats, le droit d’option s’est transformé en un véritable référendum sur la pénibilité du métier d’infirmier. Seulement 42% ont choisi la catégorie A. Un sacré retour de manivelle quand on pense que le gouvernement avait lancé un pronostic de 70% de passage en A pour amortir le coût de la réforme ! Un article de synthèse publié le 5 janvier dernier par la Coordination nationale infirmière (CNI) que nous remercions de cet échange productif.
Fin mai 2011, les premiers bulletins de paie avec « les nouveaux bons points » catégorie A ou B-NES (Nouvel Espace Statutaire) ont été distribués dans les hôpitaux publics. Alors que l’appât du gain en fin de carrière aurait dû convaincre les professionnels d’adopter très majoritairement la catégorie A, ces derniers ont préféré faire le choix de la raison. Les chiffres sont effectivement très évocateurs du mal-être de toute une profession qui ne se voit pas au chevet du patient au-delà de 57 ans.
Les infirmiers concernés par le droit d’option
(D’après le données recensées sur la plate-forme Hosp-eRh proposée par le MIPIH)
Les chiffres à retenir :
- 199.564 infirmiers concernés par le droit d’option ont été recensés ;
- 150.907, seulement, se sont prononcés (A et B) soit 75,62% des agents ;
- 82.499 ont opté pour la catégorie A, soit 54,67% ;
- 68.408 ont opté pour la catégorie B, soit 45,33%.
- 48.657 situations individuelles pour lesquelles aucun choix n’est enregistré correspondent à des agents qui n’ont pas opté (choix de la catégorie B par défaut) mais aussi à des agents dont le choix (pour la catégorie A comme pour la catégorie B) est en cours d’enregistrement par les DRH des établissements.
Dès lors, si les données non encore enregistrées correspondent exclusivement à des agents ayant opté (soit de façon explicite, soit par défaut) pour la catégorie B, ce serait au minimum 41,3% des IDE qui auraient opté pour la catégorie A et au maximum 58,65% qui auraient souhaité être reclassées dans la catégorie B (NES). Pour connaître les chiffres définitifs, il faut donc encore attendre que le ministère communique sur la question.
Un effet de bascule plus précoce que prévu
La répartition par tranche d’âge est cohérente avec les enjeux du reclassement : les jeunes infirmiers optent davantage pour la catégorie A que les plus âgés, compte-tenu de leurs perspectives de carrière. La tranche d’âge médiane est celle des 40-44 ans, les infirmiers de moins de 40 ans optent très majoritairement pour la catégorie A. Pour la dernière tranche d’âge 60-64 ans, on note un infléchissement positif en faveur de la catégorie A par rapport à l’ensemble des infirmières ayant plus de 40 ans. Cette tendance peut s’expliquer par le fait que ces professionnels (ayant déjà dépassé l’âge minimum de départ à la retraite), n’ont plus d’intérêt à faire valoir le bénéfice de la catégorie active et donc à opter pour la catégorie B.
Une répartition géographique inégale
Comme le montre le tableau de répartition géographique, il existe une grande disparité sur le territoire entre les choix A et B. Certaines régions basculent très en faveur de la catégorie A (Corse, Franche-Comté, Haute-Normandie, Ile-de-France, Lorraine et Limousin) tandis que d’autres choisissent clairement la B (Bourgogne, PACA, Midi-Pyrénées, Poitou-Charentes). Indépendamment des spécificités régionales (attractivité et moyenne d’âge des professionnels), la CNI a relevé et dénoncé à plusieurs reprises l’inégalité d’information entre les différents centres hospitaliers et surtout beaucoup de désinformations. D’autre part, le laps de temps pour prendre sa décision a été tronqué car le simulateur de retraite n’a été mis à jour que très tardivement. Les agents les plus chanceux avaient moins d’un mois pour opter, simulations retraite fiables à l’appui. Dans certaines structures, aucun syndicat ne proposait d’accompagner les infirmiers en réalisant des simulations retraite personnalisées. De nombreux agents ont donc pris leur décision de manière « intuitive » car les directions n’ont pas pu répondre positivement à chacun d’entre eux. Le comble, dans certains établissements, les directions débordées aiguillaient les infirmières vers la CNI tandis que les autres sensibilités syndicales boudaient l’exercice jugé trop complexe et fastidieux.
Pour la catégorie A... quoi de neuf ?
2.000 €, A comme affabulation
Deux mois après cette date butoir, certains agents de la fonction publique hospitalière sont fixés. Ils constatent de visu que la revalorisation de 2.000 € par an de Mme Bachelot était un énorme mensonge. Le passage en catégorie A avec la prétendue augmentation substantielle n’est que de la poudre aux yeux car elle ne concerne que les deux extrêmes de l’âge, les jeunes diplômés et les agents en fin de carrière. Cette revalorisation a été finement étudiée puisqu’elle est autofinancée par les agents qui se situent entre ces deux extrêmes. La revalorisation est si minime (23,1€ E pour un passage de B en A au 9ème échelon du deuxième grade) que le gain passe inaperçu... pour peu que l’agent ait un dimanche en moins sur sa fiche de paie « revalorisée ».
7 ans de malheur... comme prévu !
La réforme des retraites a donc mis un terme à la notion de pénibilité et repoussé l’âge de départ de 55 à 62 ans pour les prochains diplômés. La profession infirmière, avec sept ans de service supplémentaire bénéficie donc d’un régime spécial… à l’envers. Les jeunes infirmiers ont choisi la catégorie A par dépit, ne pensant surtout pas finir leur carrière au sein de la Fonction Publique Hospitalière et ne se projetant pas dans 30 ou 40 ans… Alors, certes notre pension de retraite sera un peu plus importante mais au prix de cinq années de labeur supplémentaire ! Les infirmiers payent le prix fort !
Et pour la catégorie B... quel bilan ?
Il s’agit bien d’un choix par dépit… Pour les infirmiers ayant choisi la catégorie B-NES pas de surprise. Ils peuvent prétendre à une petite revalorisation et gardent la possibilité de partir à 57 ans. La notion de pénibilité s’inscrit dans la durée d’exercice et pas dans la rémunération. Des professionnels de chacune des catégories vont donc travailler côte à côte, avec un salaire différent et pour une durée très variable. Comment cette « cohabitation » sera-t-elle vécue au quotidien dans les services ?
A ou B quelles conséquences en terme de cotisation retraite ?
Comme le prévoit la réforme, les cotisations retraites vont donc augmenter progressivement pour atteindre un seuil de 10,55 en 2020, soit une augmentation de 2,7%... un petit détail dans une histoire déjà burlesque car 2,7%, c’est bien plus que la revalorisation salariale obtenue pour bon nombre d’infirmières…
Droit d’option : une situation burlesque
Prenons l’exemple d’une future diplômée en promotion professionnelle, aide-soignante (donc droit option à partir de l'obtention du DE avec 8 ans et 6 mois d'ancienneté en tant que AS (indice majoré 308) qui doit choisir entre A ou B : 146 € de différence. Pour la catégorie A les règles de reprise d’ancienneté ne sont pas les mêmes que pour B. La nomination en A se fait au 1er échelon indice 335 avec 6 mois d’ancienneté. En catégorie B, nomination au 4ème échelon indice 370, sachant que les règles d’ancienneté pour la catégorie B s’appliquent, soit 2/3 de son ancienneté d’AS reprise (5 ans et 8 mois), plus les 12 mois de bonifications à sa nomination, soit 6 ans et 8 mois d'ancienneté d'où sa nomination au 4ème échelon. Le dilemme pour cette future infirmière est de faire le choix entre un salaire de 1406 € en catégorie A contre un salaire 1552 € en B… Bien évidemment, le déroulé de carrière montre une bascule en faveur de la catégorie A d'ici 10 ans. Souhaitons de tout cœur que cet agent ne soit pas à 10 ans de son départ en retraite car dans ce cas précis, elle aura perdu un sacré pécule.
Pour la catégorie A, l’augmentation des cotisations retraite se traduit par la perte sèche mensuelle de 50 à 75 € selon votre échelon et votre grade.
Au total, et vous pourrez le vérifier sur les grilles « Impact des cotisations retraite horizon 2020 », les 2000 € de gain annuel annoncés par Madame Bachelot se transforment en un maximum de 572 € annuel au 10ème échelon du 2ème grade, soit 47 € mensuels brut ! Et pour les plus malchanceux d’entre-vous, le gain (toujours en catégorie A) se transforme en perte pure et simple de 348 € annuel (ou 29 € brut mensuel)… Une réforme autofinancée qui ne coûte pas cher… Un « grand merci » à tous les parlementaires qui ont cautionné cette réforme.
Pour la catégorie B, l’augmentation des cotisations retraite entraîne une perte de salaire pour la quasi totalité des infirmières. Concernant l’échelon 6 de la seconde grille, ce sont 62,25 € brut mensuels qui partent en fumée...
La pénibilité se fera également sentir dans chacun de vos bulletins de salaire... en bas à droite !
Une histoire sans nom
En plus de toutes ces sept années supplémentaires à travailler, d’une maigre augmentation annulée par la hausse des cotisations, l’impossibilité de racheter ses années d’étude et de contractuel, il faut ajouter le gel du point d’indice pour 2011. La baisse du pouvoir d’achat de toute la profession infirmière va donc prendre des proportions démesurées dans les années qui viennent… Le SMIC quand à lui a fait l’objet d’une revalorisation de 2% pour atteindre 1392 E brut, une jeune infirmière commence actuellement à 1514 € (catégorie B)… 122 € de plus que le SMIC pour trois années d’étude et un grade de Licence. Ce qui devait être une avancée extraordinaire en termes de reconnaissance et de revalorisation salariale pour l’ensemble des infirmières se transforme en recul historique. Jamais la profession n'a été autant méprisée.
Un choix à géométrie variable
Enfin, comme si ce retard à l’allumage ne suffisait pas, après le 31 mars 2011, les données ont encore changées... Le gouvernement ne trouve rien de mieux que de modifier le décret sur les primes des infirmiers1. Ainsi, dans les méandres des textes de loi revisités, certaines directions tentent de supprimer la prime Veil de 90 € aux contractuels sous prétexte des avancements perçus ! Comment choisir sereinement quand les données sont partiellement inconnues et en plus changent après la date limite du droit d’option ? Pourquoi le personnel infirmier mérite-t-il si peu de considération ?
Conclusion
Aujourd’hui, plus que jamais, le report de l’âge de départ à la retraite n’est plus concevable au regard des contraintes et des conditions d’exercice actuelles. Le contexte de maîtrise des dépenses a bien dicté sa loi à l’ensemble du personnel des hôpitaux et pour beaucoup, la rentabilité et la course à l’acte ne sont tout simplement pas compatible avec le métier de soignant. Les résultats nationaux concernant le droit d’option se passent de commentaire. La CNI va devoir faire preuve de pugnacité pour rétablir un peu de justice. Dans ce contexte de pénurie, de faible attractivité pour nos professions paramédicales, la notion de pénibilité doit être débattue plus sérieusement et plus spécifiquement que par le biais d’une réforme générale. Le gouvernement pense peut être que nous sommes atteints d’une sorte de paralysie car les infirmières, peu revendicatives, n’ont pas massivement montrer leur désaccord. Soixante ans n’est plus un âge pour travailler dans de telles conditions. La santé des soignés et des soignants en dépend.
Notes
- Décret N° 2011-377 du 6 avril 2011 portant modification de divers décrets relatifs aux primes et indemnités perçues par les personnels infirmiers de la FPH.
Coordination nationale infirmière (CNI)
www.coordination-nationale-infirmiere.org
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