Dans le cadre de l'épidémie de coronavirus, les recommandations préconisent un isolement des patients. Cet isolement peut favoriser l'apparition d'un syndrôme anxio-dépressif chez les personnes hospitalisées. L'accompagnement de ces derniers, dans leurs stratégies d'adaptations, par les professionnels paramédicaux, pourrait permettre une prévention de ce risque. Dans une démarche d'amélioration de nos pratiques professionnelles, je propose au travers de ce travail un modèle de cet accompagnement en m'appuyant sur les travaux de Callista Roy et des besoins exprimés par les patients en isolement.
Depuis le mois de février 2020, le système sanitaire français est victime d’une épidémie de coronavirus1 Cette dernière entraîne une organisation spécifique des soins avec notamment l’isolement du patient pour des mesures d’hygiène, ainsi que l’absence de visites de l’entourage. Cet isolement, peut avoir de nombreuses répercussions psychologiques. A l’hôpital Paul Brousse, dans l’unité des maladies infectieuses, une étude à été menée sur les répercussions psychologiques de l’isolement médical sur les patients (2009)2. Après l’analyse de 51 entretiens semi-directifs réalisés par une psychologue, l'équipe de recherche en conclut que "L’isolement médical réactive des problématiques à l’origine d’une souffrance psychique et demande un accompagnement adapté2". De plus, une équipe de Bourges, a réalisé une étude comparative au travers d’actions de soins paramédicales dans le but d’améliorer le vécu psychologique du patient en isolement septique. Par l’évaluation de trente deux patients, ils ont obtenus des résultats significatifs leur permettant d’affirmer "que le renforcement de la relation patient-soignant joue positivement sur le taux d'anxiété des patients3".
Dans un contexte d’épidémie de coronavirus, l’utilisation, dans la relation de soin des ressources personnelles du patient dans les stratégies d’adaptation au travers des sciences infirmières, pourrait permettre la prévention des conséquences psychologiques liées à l’isolement médical.
Au travers d'une analyse de l'impact psychologique de l'isolement sur les personnes malades, un modèle d'accompagnement des patient dans leurs stratégies d'adaptations face au stress, en appuie sur les travaux de Callista Roy et les besoins exprimés par les patients isolés est réalisable.
Les conséquences de l'isolement médical lors d'une épidémie
La maladie à SARS-Cov2 est une maladie infectieuse de contamination interhumaine et dont le tableau clinique des personnes atteintes est variable4,5. Afin d’identifier les personnes représentant un risque infectieux, le guide de préparation au risque épidémique covid-19 définit différents profils patients4. Les sujets contacts ou confirmés, doivent bénéficier d’un isolement à domicile de 7 jours4. La prévention intra-hospitalière repose sur des précautions d’hygiène type “air” et “contact”4. Selon les recommandations, il est nécessaire d’isoler au plus vite le patient, en chambre individuelle, dans une zone spécifiquement dédiée, en limitant le nombre de personnel intervenant, afin d’éviter la propagation du virus6,7,8.
Le service de maladie infectieuse de l’université de médecine du Wisconsin, a réalisé en 2009, une revue systématique de la littérature sur l’isolement des patients et a relevé les effets néfastes sur leur état émotionnel. L’anxiété et la dépression augmentaient en fonction la durée de l’isolement11. Ils ont également retrouvé un sentiment de colère, de peur, de solitude et d’ennui plus fréquent qu'à l'ordinaire11. S’ajoute à cela que l’isolement d’un patient induit une diminution du temps dédié aux soins par les professionnels et donc à la relation de soin, reduisant ainsi la possibilité de dépistage d'une détresse psychologique11. Une étude qualitative cas-contrôle, réalisée à Séville, de 2011 à 2012 conclut "que l'isolement était un indicatuer significatif de dépression12". Cependant, la prise en soin des patients par des infirmiers spécifiquement formés et source d'information pour le patient et ses proches, a permis de réduire l’anxiété12. L’étude espagnole comme l’étude de Bourges permettent donc une association entre les actions de soins paramédicales et la prévention du syndrôme anxio-dépressif du patient hospitalisé avec des mesures d’isolements12,13.
L’anxiété est un trouble psychique due à l’appréhension de faits13. Pour Hildegarde Peplau, les patients ont besoin d'être aidé dans la compréhension de leur problème afin de pouvoir y faire face13. Avec un coût de 22,6 milliards d’euros en 2011, en France, la dépression représente un problème de santé publique augmentant la durée moyenne de séjour des patients14,15. L'anxiété peut favoriser l’installation de dépression et doit être dépistée précocement afin d’assurer un meilleur pronostic16. L’hospital anxiety and depression scale
, simple d’utilisation, facilite un premier dépistage des troubles anxio-dépressifs par l’évaluation de quatorze Items (sept anxiété, sept dépression) permettant, ensuite, de coordonner des actions de soins auprès d’équipes spécialisées17,18.
On parle de coping pour désigner les réponses, réactions, que l’individu va élaborer pour maîtriser, réduire ou simplement tolérer la situation aversive. Ce terme, d’abord traduit par "stratégie d’ajustement" est admis dans le vocabulaire français depuis 1999.
De l'anxiété au coping
L’anxiété induite par l’isolement peut être analysée comme étant une stratégie d’adaptation inefficace face à une perturbation environnementale. Le patient n’est plus en mesure de mobiliser seul ses ressources afin d’y faire face19,20. L‘infirmier peut intervenir de manière positive sur l’anxiété des patients en l’aidant à comprendre et appréhender son environnement et ainsi adopter des stratégies d'adaptation efficaces appelées aussi coping13,19.
Selon Lazarus & Folkman, le coping représente les stratégies cognitives protectrices déployées pour face et maîtriser une situation pouvant induire une détresse20. Pour eux, il existe des stratégies de coping centrées sur le problème, le coping centré sur les émotions ou une stratégie de recherche de soutien social20. Le moyen utilisé par le patient va dépendre de déterminants cognitifs interpersonnels comme ses croyances, ses motivations20… L’infirmier doit alors adapter ses actions de soins aux besoins spécifiques du patient et le soutenir dans cette démarche d’adaptation, soit par des actions concrètes sur le stimuli, soit par un soutien émotionnel, dans une compréhension globale de ses déterminants.
Pour aider les professionnels de santé dans l’évaluation des stratégies d’adaptation du patient, Cousson réalisé une traduction de "the way coping Checklist" (WWC) de Lazarus20,21. Validée dans sa version française, elle évalue par vingt-sept items le coping centré sur le problème, sur les émotions et la recherche de soutien social20,21.
Le modèle de Callista Roy
Callista Roy, théoricienne en sciences infirmières, à réfléchi à l’adaptation des personnes face aux stimulus environnementaux stressants, leurs mécanismes d'adaptation et leurs influences sur la qualité de vie ainsi que l’impact des interventions infirmières pouvant promouvoir cette adaptation22. Pour elle, il existe plusieurs modes adaptatifs comme :
- le mode physiologique ;
- le concept de soi (estime, les croyances ou représentations) ;
- le rôle auquel la personne doit répondre (primaire ou inné, secondaire ou choisi et tertiaire ou choisi temporairement) ;
- la relation intime avec les proches aussi appelée interdépendance22.
Le stimuli quant à lui peut-être focal, représentant le problème principal et influençant directement le comportement, contextuel étant accessoire au focal ou bien, résiduel dont les effets ne sont pas immédiatement déterminés22. Elle suggère à l’infirmière d'agir sur le niveau d’adaptation du patient en identifiant les modes d’adaptatiifs de la personne et le stimuli environemental afin de promouvoir l’amélioration de son état de santé et sa qualité de vie23. Pour cela, une compréhension des besoins exprimés par les patient au cours de leur isolement est nécessaire.
Claire Terrapon en 2010, pour son mémoire de Bachelor de La Haute Ecole de Santé de Fribourg, a abordé le thème de l'accompagnement des patients en isolement contact, porteurs d’un staphylocoque doré résistant à la méthicilline, selon leurs besoins19. Elle identifie un besoin d'information facilitant le développement des stratégies d’adaptation19. Selon elle, l’occupation et le besoin de se réaliser favorisent l'estime de soi19. L’aménagement de la chambre comme sanctuaire et la structuration de la journée permettent d’obtenir une vision plus optimiste de l’événement19. Le besoin d’écoute par le personnel soignant et la relation de confiance seraient inversement proportionnel au niveau de dépression19. Enfin, la maintien du contact avec ses proches représente un ressource dont l’isolement fait obstacle et auquel le soignant va devoir s’adapter19.Au regard de ces données, un modèle de prise en soin, adapté du modèle de Callista Roy et des besoins recensés des patients en isolement lié à l'infection par coronavirus, peut alors être envisagé dans le cadre de la prévention d’un syndrome anxio-dépressif.
Proposition d'un modèle
Tout d'abord, il s’agit de faire l’analyse des stimuli en contexte d'épidémie de coronavirus pouvant influencer le personne (cf. Tableau 1). Au regard des besoins, précédemment relevés, une analogie avec les modes d’adaptatifs peut être réalisée :
- dans le mode physiologique, l'infection à SARS-CoV-2 est le principal stimuli. L'infirmier apporte son aide au travers de son rôle propre ou sur prescription afin de subvenir aux besoins physiologiques du patient, en favorisant son autonomie et les stratégies d’adaptation centrées sur le problème. Elle répond également au besoin d'information du patient lors de cette étape ;
- le concept de soi exprimé au travers des croyances et représentations, peut être valorisé en répondant au besoin d'occupation. Ces dernières, permettront au patient de se réaliser de nouveau et ainsi reprendre confiance en ses capacités. L’aménagement de la chambre et la structuration de la journée pourraient permettre de retrouver ses habitudes et ainsi de se retrouver lui même. C’est le principe d’isolement sanctuaire versus isolement “prison”19 ;
- Le maintien du rôle, difficilement réalisable lors d'un hospitalisation en isolement, peut être accompagné par des action d'écoutes et de soutien par l'infirmier permetant ainsi de travailler sur des stratégies de coping centrées sur l'émotion. De plus, avec les nouvelles technologies et le télé-travail, certaines pistes sont aujourd’hui envisageables en tenant compte des capacités du patient ;
- le mode de l’interdépendance, correspond au besoin de maintenir un lien avec ses proches. L’infirmière devra recueillir les ressources et capacités dont dispose le patient (smartphone, personne de confiance..) afin de maintenir au mieux le lien du patient avec son entourage.
La réalisation d'un reccueil de données peut alors être effectué en s'appuyant sur les modes adaptatifs exposés précedemment ainsi que des besoins généralement exprimés par ces patients et l'évaluation des stratégies de coping utilisées au travers de la traduction française de "The way coping Checklist" (cf. Tableau 2) (Annexe Coping)24.
Ce recueil de données et la mise en relief des besoins du patient dans ce contexte particulier, pourra permettre de guider l'infirmier dans la réalisation d'un projet de soin personnalisé pour la personne soignée.
Pour conclure
Grâce à une analyse plus fine du contexte et d'un accompagnement personnalisé du patient, l'infirmier, au travers de la promotion des stratégies d'adaptation à un événement, pourra favoriser le bien-être du patient. Ce travail pourrait permettre une analyse réfléxive de nos pratiques et l'amélioration de la qualité des soins et de l'accompagnement des patients dans ces situations. Il est contextualisé au coronavirus mais pourrait, tout aussi bien, être tranposable aux autres étiologies nécessitant l'isolement médical du patient.
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Marie-Charlotte Druart
Infirmière étudiante en pratique avancée, Université de Paris, France.
Infirmière service d'endocrinologie, Hôpital Henri Mondor, AP-HP, France.
mariecharlottedr@gmail.com
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