Avec près de 9300 suicides1 et environ 200 000 tentatives2 par an, les passages à l'acte suicidaires restent un problème de santé publique en France. On sait également aujourd'hui que faire un geste suicidaire est le premier facteur de risque de récidive. Créé à l'origine dans les Haut-de-France en 2015, le dispositif VigilanS, qui couvre aujourd'hui l'ensemble du territoire national, a justement été pensé pour réduire ce risque. Pendant 6 mois après une tentative de suicide, des «VigilanSeurs», des infirmiers et des psychologues, recontactent les patients passés par les urgences pour un acte suicidaire, afin de faire le point, d'évaluer le risque suicidaire et d'apporter une réponse adaptée à chaque cas. Depuis un peu moins d'un an, le dispositif Paris-Seine-Saint-Denis a intégré dans cette veille les enfants, sans limite d'âge. Le plus jeune patient actuellement intégré au dispositif est âgé de 10 ans.
L'idée, c'est de changer le paradigme : classiquement, quand on ne va pas bien, c'est à nous d'aller à l'hôpital. Cette fois, c'est l'hôpital qui revient vers le patient pour reprendre de ses nouvelles.
«Ce qui a été défini, c'est que l'on rappelle les patients entre 10 et 20 jours après leur tentative de suicide», explique Mehdi Amini, infirmier VigilanSeur pour le dispositif Paris-Seine-Saint-Denis. Dans son bureau, à l'hôpital Sainte-Anne, des box permettent à chaque professionnel de s'isoler pour passer ses appels et ainsi recontacter les patients. «L'idée, c'est de changer le paradigme : classiquement, quand on ne va pas bien, c'est à nous d'aller à l'hôpital. Cette fois, c'est l'hôpital qui revient vers le patient pour reprendre de ses nouvelles. Bien sûr, on va faire une évaluation clinique, mais l'idée c'est de redonner l'espoir que quand on passe par les urgences, ça ne s'arrête pas là et que l'hôpital s'inquiète pour ses patients et revient vers eux», résume-t-il.
Prendre en charge les enfants, une formation spécifique
Prendre en charge un enfant ne suppose pas le même type d'entretien. Les Vigilanseurs, tous dotés d'une expérience en santé mentale, ont donc dû se former spécifiquement à la prise en charge des enfants. «Il s'agit surtout d'avoir en tête les repères qu'il ne faut pas oublier d'aborder pendant l'entretien pour ne pas passer à côté de quelque chose qui n'apparaîtrait pas dont un adulte pourrait se plaindre ou l'évoquer. Ce qui n'est pas toujours le cas des enfants. On a donc une façon de procéder un peu différente».
Lorsqu'il s'agit de mineurs, les parents sont toujours impliqués. «On demande toujours l'autorisation des parents pour faire un entretien avec leur enfant, on ne leur restitue pas l'intégralité de l'entretien parce qu'on ne dit pas tout mais les parents ont quand même besoin de savoir si ça va ou si ça ne va pas et surtout d'avoir les signes qui les autoriseraient à s'inquiéter ou pas». Avec les très jeunes, les problématiques «les plus courantes» sont celles du «harcèlement scolaire, ou d'avoir vécu un épisode un peu compliqué sur les réseaux sociaux, d'avoir été exposé». A cela s'ajoutent «les problèmes intra-familiaux» : des abus, des agressions sexuelles ou encore des conflits.
Avez-vous eu de nouveau des idées suicidaires ? C'est une question qui peut paraître trop frontale mais que l'on doit poser.
«Bon, et sur le plan du moral, comment tu te sens alors ?, s'enquiert Mehdi auprès d'une jeune fille de 14 ans intégrée au dispositif. / Je ne sais pas si votre collègue vous avait dit mais j'étais retournée aux urgences... / D'accord, et tu es repassée aux urgences pourquoi ? Pour qu'ils me fassent des points de sutures... / Pour qu'ils te refassent des points de suture... Bon... Et tu t'es scarifiée c'est ça ? Heu oui / Bon, ça devait être assez important alors, s'il fallait recoudre ? / Oui... un peu comme à chaque fois.../ Et alors qu'est-ce qui s'est passé à ce moment-là alors ? Je ne sais pas trop / Tu te souviens un peu ce que tu as ressenti ou de l'état dans lequel tu étais ? / Non. / Non? Est-ce que tu avais envie de mourir à ce moment-là ?»
«Avez-vous eu de nouveau des idées suicidaires ? C'est une question qui peut paraître trop frontale mais que l'on doit poser», souligne le VigilanSeur. «La crainte que l'on peut avoir, c'est de susciter ainsi des idées suicidaires mais dans la réalité, ça n'a jamais été vérifié et par ailleurs, d'en parler et d'en parler sans pudeur, sans tabou, ça a plutôt la vertu d'aider quelqu'un à formuler ce qu'il est en train de vivre».
Les patients n'ont plus le sentiment d'être "lâchés" après une hospitalisation
Les appels permettent de réaliser un entretien clinique dont l’objectif est avant tout l’évaluation du risque de récidive, des facteurs de vulnérabilité, comme des facteurs protecteurs. Le VigilanSeur cherche également à savoir si des soins ont été mis en place et dans le cas contraire, il peut aider le patient à appeler des professionnels pour prendre des rendez-vous. Enfin, il s'agit plus largement de faire le point sur la situation de la personne (le patient a-t-il des activités, est-il entouré, arrive-t-il à sortir de chez lui...) pour avoir une vision un peu plus globale des choses, indépendamment de la crise.
850 patients sont aujourd'hui intégrés à la veille active de VigilanS Paris-Seine-Saint-Denis, mais depuis 4 ans, plus de 4 200 patients sont rentrés dans le dispositif. Au niveau national, VigilanS peut aujourd'hui se targuer d'être à l'origine d'une baisse de près de 40% des récidives selon la dernière étude de Santé Publique France 3. L'impact est donc très fort. «Sur le terrain, les patients sont à la fois surpris et reconnaissants : ils nous témoignent beaucoup de sentiments positifs par rapport à cette prise en charge», se réjouit Mehdi Amini. «Les patients, une fois passés par les urgences, se sentaient un peu lâchés, avaient du mal à raccrocher un peu les wagons avec les soins». Aujourd'hui ce lien téléphonique permet de leur donner «le sentiment qu'ils ne sont pas lâchés, qu'il y a une équipe quelque part qui peut être joignable - et dans la vie ça aide beaucoup de se sentir en lien avec de l'entourage ou avec une équipe de soin», sourit l'infirmier.
1 Observatoire national du suicide, Suicide : quels liens avec le travail et le chômage ? Penser la prévention et les systèmes d’information, 4e rapport / juin 2020, P.22
2 Instruction n° DGS/SP4/2019/190 du 10 septembre 2019 relative à la stratégie multimodale de prévention du suicide. Rapport. P.4
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