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AU COEUR DU METIER

Une "vieille aigrie" répond au "tendre étudiant"

Publié le 21/04/2014
patient hôpital alité

patient hôpital alité

Infirmière diplômée depuis cinq ans, je fais partie des "vieilles carnes" auxquelles vous avez affaire, vous l’étudiant infirmier. J’ai malgré tout réussi à garder une certaine empathie pour les étudiants, et pour mes collègues (mes études de sociologie ont certainement aidé). Célia Parisot, infirmière, répond à Molom, étudiant en soins infirmiers... et le ping-pong continue entre Infirmiers.com et Rue89 !

Avant-propos - Le contexte, selon Blandine Grosjean, rédactrice en chef du site Rue89 

Rue89 a repris le 15 avril 2014 le témoignage de Molom, un étudiant infirmier, publié sur Infirmiers.com le 14 avril , attaquant l’inhumanité des infirmières le formant. Il promet de ne pas devenir comme elles. Une riveraine, diplômée depuis cinq ans, lui répond dans ce texte qui veut dépasser le conflit des statuts et des générations. En cause, selon elle : la réforme des études et du statut de leur métier.

Aller un peu plus loin que de déplorer l’inhumanité des services portés par des « vieilles agressives »...

« De mon temps », les étudiantes et étudiants que je côtoyais discutaient souvent des conditions de stage entre eux, et notamment des aigries rencontrées dans les services hospitaliers. Je dis bien « notamment » : on tombait aussi sur des modèles qui donnaient envie de continuer. Car vieilles aigries et modèles à suivre se mélangent et se transforment. Leur nature n’est pas immuable, elle change au gré des situations et du contexte dans lesquels on les rencontre.

Un match déséquilibré et manichéen

J’imagine aisément que ceux et celles qui jadis s’écriaient Je sais bien quel genre d’infirmier je ne serai pas ! sont devenus - au moins pour quelques-uns - de vieilles aigries (car ce sont, bien entendu, toujours des femmes...). Mais qu’en est-il de celles qui restent humaines ? Vous dites dans votre texte que ce sont souvent des aides-soignantes qui n'ont pas oublié d’où elles venaient . Permettez-moi de tenter de rééquilibrer cette vision manichéenne d’un match - arbitré par les étudiants infirmiers - entre vaillants soignants qui ont gardé leur âme et "connasses" maltraitant les patients et les stagiaires.

Je ne vais pas vous faire un laïus sur le caractère sacré du don de soi, garant de la qualité des soins, ni sur la dureté du métier qui pousse certain(e)s à devenir infect(s) avec leurs collègues et stagiaires. Je n’en ferai pas non plus sur l’idée que vous développez aussi, selon laquelle toutes les infirmières diplômées ont cessé de prendre véritablement soin des patients.

Il est intéressant d’essayer de démêler ce qui se passe sur le terrain, mais c’est surtout en le mettant en perspective avec les évolutions récentes du métier qu’on comprend les enjeux actuels de la profession. Il s’agit donc d’aller un peu plus loin que de déplorer l’inhumanité des services portés par des « vieilles agressives ».

Une réforme qui repose sur les infirmières

La formation au métier d’infirmière a été réformée en 2009, donnant accès aux étudiants à un niveau licence dans le cadre du modèle Licence-Master -Doctorat (LMD). Si la profession est en général peu mobilisée - car il s’agit d’abord de conscience professionnelle : il faut maintenir les soins en période de revendications - cette réforme a été vue comme une avancée en direction d’une meilleure reconnaissance. Mais à l’usage, outre les critiques récurrentes sur la mauvaise formation des nouveaux étudiants, elle donne surtout matière à penser sur la soi-disant meilleure reconnaissance du métier. Les étudiants infirmiers sont désormais majoritairement formés par les infirmières de terrain : il est nécessaire que ce soit elles, rencontrées sur les lieux de stage, qui valident les compétences pratiques des étudiants.

Il existe dorénavant très peu de liens entre les instituts de formation et les services. Si des formatrices rendaient visite aux étudiants sur les lieux de stage dans l’ancienne formation, à travers un moment formel (et angoissant) de mise en situation professionnelle, les services sont désormais désertés ou presque par les formatrices. Elles laissent la responsabilité de l’enseignement pratique aux infirmières qui sont en poste dans les services. Je ne vous parle pas du temps nécessaire à la formation d’un étudiant (que les infirmières n’ont pas toujours) ni de la dilution des responsabilités engendrée par un tel dispositif.

Il existe dorénavant très peu de liens entre les instituts de formation et les services...

L’absence de reconnaissance fabrique les vieilles aigries

Parlons en revanche de la portée de cette réforme . Un niveau licence est accordé aux nouvelles infirmières, mais les spécialités (bloc opératoire, anesthésiste, puériculture et cadre) ne sont pas toujours alignées sur le modèle LMD. Des masters de clinique infirmière, calqués sur les modèles anglo-saxons, commencent à voir le jour ; toutefois la place de tels diplômés me semble pour l’instant incertaine (c’est un appel, si vous en connaissez). Même hors du cursus universitaire, la question de la carrière chez les infirmières est quasi inexistante, si on laisse de côté les carrières de cadres - qui sont souvent, d’ailleurs, vues comme déconnectées du terrain. Pourtant, les infirmières de terrain acquièrent bien souvent des expertises particulières au regard des soins aux patients. En dehors d’une structure stimulante, l’expérience et l’initiative infirmière ne sont pas prises en compte.

Ça contribue à forger ces « mauvaises » infirmières, qui n’ont pas tout le temps une marge de manœuvre nécessaire dans leur trajectoire professionnelle pour pouvoir rebondir, et qui sont de surcroît exposées - parfois malgré elles - à la formation des étudiants ; formation pour laquelle elles n’ont pas d’aménagements ni de consignes et indications spécifiques.

Même hors du cursus universitaire, la question de la carrière chez les infirmières est quasi inexistante...

Votre futur métier a des ressources encore cachées, et il vous appartient, à vous, futurs professionnels, de les définir et de vous en saisir, au lieu de contribuer à diviser une profession déjà hétérogène. La position des étudiants infirmiers en stage ne pourra qu’en être revalorisée.

Célia PARISOT Infirmière

• Ce texte "La réponse d'une "vieille aigrie" au tendre étudiant infirmier" a été publié le 18 avril 2014 sur le site Rue89 que l'on remercie pour ce nouveau partage.


Source : infirmiers.com