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ETHIQUE

Réflexions éthiques face au corps d’autrui

Publié le 11/03/2020
handicap plage

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toilette as

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patient trachéotomie

patient trachéotomie

Dans le cadre d’une Unité Optionnelle autour de l’éthique et du corps d’autrui, les étudiants en soins infirmiers de 3e année en formation à l’IFMS d’Albi ont été invités à s’interroger et à écrire un texte "flash" concernant une problématique de soin forte en émotion. Il s’agit d’une sorte de "petite philosophie des grandes émotions soignantes". En voici quatre, que nous vous invitons à découvrir, commenter et enrichir !

Le désir envers le corps d’autrui dans la relation soignant-soigné

La proxémie est inéluctablement présente dans une relation de soins. Nous voulons souligner un de ces aspects relatifs au corps à corps, celui du désir. Le désir a-t-il le droit d’exister dans la relation soignant/soigné ? Le désir est une notion ambigüe et complexe. Il y a dans le désir la marque d’un manque et la dimension d’un projet, d’une quête ou même d’une recherche. Celui-ci ne peut se maintenir seulement s’il procure du plaisir. En effet, nous avons à faire à différents types de désir, que ce soit le désir de non-malfaisance, le désir d’accompagner, mais aussi des désirs amoureux voire plus "terrestres" et donc plus… charnels. Néanmoins ont-ils tous leur place dans le soin ?

En premier lieu, il nous semblait primordial de faire ressortir l’article R 4312-11 du code de déontologie infirmier, relatif à la non-discrimination, qui oblige l’infirmier à prendre en charge avec la même conscience tous les patients. En effet le désir peut amener le soignant à privilégier un patient plus qu’un autre et l’amener à développer une relation exclusive avec celui-ci.  Quand les désirs pulsionnels débordent le cadre professionnel du soignant, ce dernier doit alors exercer une catharsis afin de purger ces désirs inappropriés qui pourraient le faire dériver d’une posture éthique.  Il reste alors le cortège des désirs qui motivent nos actions et la volonté d’exercer la profession de soignant. Ces désirs sont un moteur d’énergie au service de la vulnérabilité d’autrui.

Mathilde Barthe et Lucie Reffle, ESI 3A IFMS Albi.

L’assistance sexuelle, prostitution ou acte de soin ?   

Sujet tabou et polémique, la sexualité des personnes en situation de handicap alimente de nombreux débats au sein de la communauté soignante. Autorisée aux Pays-Bas, en Allemagne, en Belgique ainsi qu’en Suisse romande, l’assistance sexuelle demeure interdite en France. En effet, exercer en tant qu’assistant sexuel au sein du territoire français est illégal, du fait du principe fondamental du non marchandisation du corps humain. Cependant, une décision rendue le 6 mars 2015 par le Tribunal de Grande Instance de Strasbourg en permet la formation : ce paradoxe au sein de la législation française démontre ainsi la complexité du rapport que nous avons vis-à-vis du corps d’autrui.

La thématique de la sexualité mêle à la fois des notions d’érotisme, de plaisir charnel, d’émotions, parfois d’amour, mais induit également la notion d’attirance.
Surexposée dans la sphère médiatique, la sexualité demeure taboue lorsque celle-ci est abordée chez les personnes en situation d’handicap. En partant du postulat que la sexualité est un besoin pour l’Homme, incombe-t-il aux soignants de garantir un accès égal à tous à ce besoin ? L’enjeu réside désormais dans le fait de déterminer si l’accès à la sexualité doit revêtir une dimension en termes de besoin fondamental et/ou en termes juridiques. Il ne nous semble pas que l’assistance sexuelle soit intégrable dans notre référentiel d’actes soignants. Elle doit néanmoins rester un débat de société afin d’assurer un accès pour tous à la sexualité : le « comment » demeure très complexe, mais une société démocratique et éthique se doit de faire vivre ce débat.

Par l’aspect décousu du cadre législatif, les limites entre prostitution et acte thérapeutique sont encore trop floues pour légitimer la profession d’assistant(e) sexuel(le) en France. Comment envisager la mise en place de cette activité dans le milieu du soin ?

Leïa Godard et Hizia Kellil, ESI 3A IFMS Albi.

Tatouages, scarifications, modifications corporelles : quels sont leur message ?

Il n’est plus rare de constater que de nombreuses personnes utilisent leur corps comme outil d’expression identitaire par le biais des modifications corporelles, telles que les tatouages, scarifications, implants…  Pour les soignants, le corps des patients n’est pas considéré comme un objet ou comme un outil de soins. Pourtant, le corps est un vrai support d’expression pour la personne soignée. En effet, la communication non verbale, à travers les modifications corporelles, participe à l’accompagnement.
Par le biais du body-art, certaines personnes s’expriment avec des signifiants plus ou moins positifs. Grâce à ces techniques de modification corporelles les personnes cherchent à exprimer une différence pour forger une identité et tenter ainsi d’exister plus fort. D’autres, hélas, n’ont de cesse que de vouloir cacher des stigmates d’automutilations trahissant leur souffrance. Ils n’en restent pas moins des signifiants que le soignant doit prendre en compte. Que devons-nous faire de ces messages corporels ? 

Sachant que ces modifications ont un impact sur celui qui les perçoit, il est possible que le soignant s’en saisisse comme un moyen d’entrer en communication avec le patient. Ces modifications peuvent aussi induire une incompréhension, voire une mauvaise interprétation du message qu’elles génèrent créant ainsi un déséquilibre entre ce qui est montré et ce qui est vécu. On peut ainsi conclure qu’on ne peut ni donner crédit total au message, ni en faire fi. De ce fait, notre posture doit prendre en compte les deux dimensions psychique et physique sans pour autant interpréter trop vite les signifiants qui nous interpellent.

Malvina Azaïs et Eddy Fraisse, ESI 3A IFMS Albi.

Un patient me dégoûte : que faire ?

Le soignant peut être trahi par ses sens, ce qui peut parasiter la prise en charge du patient. Le dégoût est-il antinomique d’une bonne prise en charge ?  Il est possible de définir le dégoût comme "un sentiment d’aversion, de répulsion, provoqué par quelqu’un ou quelque chose, c’est le fait de ne plus avoir de goût, d’intérêt ou d’estime pour quelqu’un ou quelque chose", selon le Larousse. Il nous semble important d’ajouter qu’il s’agit d’un sentiment subjectif, car on peut le relier à la notion d’esthétisme. Il fait aussi appel à la notion d’effet de surprise puisque nous ne sommes jamais réellement prêts à être dégoûté. En effet, "il est difficile de le définir parce qu’on le ressent sans réflexion, spontanément"1.

La notion de dégoût est très liée aux sens et aux représentations. L’odorat : l’odeur d’une plaie, d’un patient en incurie, le corps d’un patient décédé. La vue : un corps déformé ou abîmé, une plaie infectée, des vomissements, des excréments... Le toucher : la réfection de certains pansements, certaines peaux abîmées, une simple toilette quelquefois. Mais aussi ce que l’on perçoit moralement : le discours d’un patient pédophile, les intentions lubriques de certains patients.

Selon la philosophe Christiane Vollaire2, le dégoût dans le soin est tabou. Cela peut favoriser le sentiment de honte, de culpabilité voire d’être un mauvais soignant ce tabou dont on pourrait penser qu’il permet d’atténuer le choc de l’émotion répulsive contribue en réalité à le renforcer.

Est-ce que ces réflexes émotionnels font de nous de mauvais soignants ?  Le dégoût est une émotion primaire. Notre profession nous demande d’être en capacité de prendre sur soi pour être un meilleur soignant. Cela nous demande un travail de catharsis qui consiste à évacuer et à transformer cette émotion paralysante que représente le dégoût. De là, nous imaginons qu’une intelligence émotionnelle collective puisse participer à cette transformation à partir de l’échange entre collègues autour de l’expression du ressenti. La réflexion collective peut accompagner l’insuffisance individuelle. Bien que nous puissions ressentir du dégoût dans l’exercice de nos fonctions, il peut être compensé par le goût de l’Autre.

Lola Cros et Clémence Bodin, ESI 3A IFMS Albi.

Notes

  1. Phénoménologie du dégoût de Claire Margat. Dans Ethnologie française 2011/1 Vol 41. Pages 17 à 25.
  2. Le tabou du dégoût, l’anesthésie du soignant de Christiane Vollaire. Dans Ethnologie française 2011/1 Vol 41. Pages 89 à 97.

Nous remercions Christophe Pacific, Cadre supérieur de Santé et docteur en philosophie, de nous avoir transmis ces textes qui attestent d'une belle réflexion éthique, déjà très mâture, de la part de ces futurs professionnels de santé. Nous profitons de l'occasion pour féliciter Christophe Pacific qui fait partie des 19 nouveaux qualifiés aux fonctions de Professeur des Universités et de maître de conférences en Sciences Infirmières.


Source : infirmiers.com