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AU COEUR DU METIER

Point de vue - Et si l’on remplaçait « prendre en charge » par « prendre soin » ?

Publié le 29/08/2012

La lecture en mai dernier du poème d'une étudiante en soins infirmiers intitulé « Humanitude » a rappelé à ma mémoire un texte que j’avais écrit en 2005 sur la notion de « prendre en charge ». Je l'ai revu et corrigé, maintenant que j'ai quitté la blouse blanche, et je le partage avec vous bien volontiers.

Et si l’on remplaçait « prendre en charge » par « prendre soin » ? Par ce titre un peu provocateur, je vous invite à revisiter notre langage quotidien, nous, professionnels de santé. En effet, quand j’étais infirmière, l’expression « prise en charge » a toujours un peu heurté mes oreilles. N’est-elle pas lourde à entendre, lourde de sens ? Il s’agit de prendre quoi, qui, et comment en charge ? La charge, d’ailleurs, quelle est son poids ? Et puis, une charge, c’est quoi ? Un objet ou un sujet de droits et de désirs ? Notre objet de soin, à nous soignants « de bonne volonté » est le sujet. Un sujet qui est un corps, un esprit, une âme, fait de sentiments, de sensations, de pensées et d’intuition. C’est un être global, entier dans toute sa complexité. Ne le réduisons pas à un objet et encore moins à une charge. C’est ce qu’il redoute le plus et nous le savons bien au fond de nous. Qui n’a pas entendu ses parents ou ses grands-parents leur dire un jour « je ne veux pas être une charge pour toi ». N’oublions pas la parole de nos anciens, riche d’enseignements.

Le sens du mot « commerce »

Les soignants et futurs soignants souffrent moralement et parfois physiquement. Les ex-soignants comme moi ont quitté un jour leur blouse pour prendre soin de l’autre d’une façon différente, pour transmettre leur métier ; un métier qu’ils aiment malgré tout. Aujourd’hui, formatrice et psychothérapeute, j’aide des professionnels de santé à mieux prendre soin d’eux-mêmes. Ils peuvent ainsi déposer leurs charges morales, surtout celles qui ne leur appartiennent pas. Que peut-on par exemple proposer aux soignants pour avoir moins mal au dos ? Des séances d’ergonomie, de gymnastique posturale, de relaxation... des groupes de paroles. Ces initiatives sont bénéfiques mais encore trop peu usitées.

Les soignants et les aidants professionnels ont pourtant besoin d’un espace et d’un temps pour vider leur « coupe intérieure » et éviter que leur vase ne déborde de manière trop fracassante. Notre corps véhicule notre langage et en inventer un autre, plus près de nos besoins, de nos sentiments, de notre pulsation de vie et de notre motivation de soin allégerait la charge.

Dans les revues professionnelles, j’ai parfois lu l’expression « offre de soins » à la place de celle de « prise en charge ». Les mots « offre » et « client » choquent aussi certains de mes collègues et ex-collègues et je peux les comprendre. Cela renvoie en effet au commerce et donc à l’argent. Mais si la santé a un coût, la maladie aussi. Laquelle coûte la plus chère ? Pas besoin de calcul, nous connaissons tous la réponse.

Cependant, prenons le temps de nous pencher sur le sens du mot « commerce ». Nous lisons, dans le Petit Robert, qu’au XVe siècle, il voulait dire « les relations que l’on entretient dans la société ». Ce vieil usage nous rappelle notre mission première, à savoir être en lien les uns avec les autres. Soit-dit en passant, l’argent sert à cela et le but du commerce est donc bien un échange entre les individus : un
échange de biens, de valeurs, de paroles et de bien d’autres choses encore, invisibles aux yeux mais essentielles au cœur.

« Les mots sont les petits moteurs de la vie. Nous devons en prendre soin. » Eric Orsenna

La relation d’abord, la technique après !

Le commerce est régit par la loi de l’offre et la demande. Le patient, nous demande quoi au juste ? De l’aide, d’une parole, d’un regard humanisant plus que d’un soin technique. C’est à nous, par notre attitude de les lui donner. La relation d’abord, la technique après !
La relation d’abord et le diagnostic après ! Tout un changement de mentalité, une éducation à revoir, la nôtre. En effet, demander quelque chose à l’autre est encore mal entendu pour la plupart d’entre nous. Pour ceux qui ont baigné dans une éducation judéo-chrétienne intégriste, demander, cela ne se fait pas, c’est impoli et souvent perçu comme un signe de faiblesse et d’infériorité.
De fait, demander quelque chose à quelqu’un nécessite une certaine connaissance de soi et aussi un sentiment de sécurité intérieure suffisant face à l’autre pour entendre un refus qui pourrait advenir. Pour demander, il faut être deux et il doit y avoir un temps pour instaurer une relation.
Demander, c’est accepter ses limites, ses fragilités, ses vulnérabilités et donc que l’on a besoin des autres pour avancer.
Or, ce n’est pas ce que l’on nous a appris dans une société dont les valeurs majoritaires sont la performance, la réussite et l’individualisme, l’autonomie à tous prix. Mais, à quel prix ? Le plus souvent celui de l’isolement et de la coupure avec
soi-même. Notre société nous envoie donc un double message paradoxal ! Elle nous demande d’accompagner tous les soignés vers l’autonomie et, dans le même temps, nous érige des programmes de formation continue avec l’expression « prise en charge » à toutes la pages !

Revenons au langage. J’ai été formée à une pratique, celle de la « Communication non Violente » (CNV) et cela m’a beaucoup aidé, tant dans ma vie professionnelle d’infirmière, que personnelle. Je dirais même que cette pratique à changé ma vie. Ce processus mise en mots par un psychologue américain, Marshall Rosenberg, se base sur les Évangiles, la philosophie et les actions de Gandhi et Martin Luther King ainsi que
sur le concept dʼempathie de Carl Rogers. Les idées véhiculés par ces hommes ne sont pas nouvelles. Si cette technique de communication n’a donc rien d’extraordinaire en soi, elle propose comme alternative à la violence l’expression des sentiments et des besoins.

C’est simple, évident et basique me direz-vous, mais justement, nous ne savons pas l’utiliser. C’est une façon de changer notre langage, à partir de l’intérieur et non de l’extérieur pour plus d’authenticité et de vérité entre nous. C’est une proposition qui nous conduit à réfléchir sur nos vieilles habitudes de pensées et de langage. C’est l’occasion de lâcher les « il faut que , « y qu’à », normatifs et culpabilisants, à mettre de côté les diagnostics du DSM IV et/ou certaines interprétations psychanalytiques qui, envoyées maladroitement à la figure de l’autre, sont souvent vécus comme des jugements violents, des barrières qui, la plupart du temps, nous empêche d’entrer véritablement en relation avec l’autre.
Désidentifié de toutes ses théories, le soignant pourrait se sentir en insécurité, c’est pourtant l’occasion pour lui de changer, d’ajuster ses valeurs a sa nature profonde.

Il y a quelques années, j’ai prodigué quelques séances de danse-thérapie à une psychologue qui souffrait moralement, suite à une grave agression. Elle a interrompu sa thérapie car elle préférait garder son ancien modèle de pensée. Cependant, d’autres événements l’ont aidé à s’humaniser et à reprendre sa place de citoyenne et de femme. Soignants et psychothérapeutes, nous devons nous octroyer du temps pour prendre conscience de nos besoins, de nos sentiments et de nos désirs si nous ne voulons pas nous écrouler sous notre propre charge et entraîner le patient avec nous sous les décombres.

Accompagner dans la dignité...

Il faut aider les soignants à mieux identifier leurs besoins et leurs désirs. Quels soignants veulent-ils être ? Quelles valeurs veulent-ils défendre ? Comment veulent-ils se réaliser professionnellement ? Autant de questions qui ont une incidence directe sur la façon de soigner et permettre aux patients de trouver également leur propre voie vers la guérison. Ainsi, soignants et soignés sont reconnus pleinement en tant qu’êtres humains uniques, acteurs coopérant sur un chemin de santé. Dans les cas extrêmes, dans les services de psychiatrie par exemple, les patients sont coupés de leurs besoins fondamentaux et de leur corps. Ils ont souvent grandi dans une famille qui ne les reconnaissait pas comme sujet à part entière mais comme des objets, des charges, et sont donc souvent dans l’incapacité d’accorder de la valeur à ce qu’ils sentent, perçoivent et pensent. Leur estime d’eux-mêmes est quasiment nulle.

Attention donc, aux répétitions de scénario pour nous soignants et futurs soignants. Osons dire ce que nous pensons au sein des services dans lesquels nous travaillons. N’exécutons pas des prescriptions médicales à contre-coeur. Il en va de notre santé mentale Il nous a été donné à la naissance un corps pour y habiter à plein temps, « chez soi », pour y vivre en tout âme et conscience. Soyons un corps vivant et non un poids lourd transportant la charge de l’autre, notre voisin, notre frère, nos parents, nos amis... Nous ne sommes pas des sauveurs. Restons à notre juste place d’être humain solidaire, de soignants ou de thérapeute de « bonne volonté ». Notre mission s’arrête quand l’autre ne veut plus collaborer avec son désir de vie. On ne peut jamais porter le désir de l’autre, on ne peut que le stimuler à prendre soin de lui, lui apporter du respect, de l’empathie, l’accompagner dans toute sa dignité d’être humain.

En matière d’offre, qu’avons nous à offrir au patient,ou client (chacun choisira le terme qui lui convient), cet individu qui attend au lieu de demander. N’est-il pas lassé d’attendre, « d’être patient » ? Je pense que le soignant peut offrir tout simplement son écoute, sa présence, une certaine façon d’être là avec soi, avec l’autre. Ce n’est pas la quantité qui compte, mais la qualité. Une attention juste serait une présence corporelle et psychique qui se partagerait entre une attention à soi et une attention à l’autre, 50%/50% .
A 51%, nous sommes trop inclinés vers l’autre, à 49%, nous n’y sommes pas assez. C’est assez subtil et donc difficile et c’est un travail quotidien de longue haleine, un savoir être qui s’apprend tout au long de la vie.

Le soignant peut aussi (doit aussi) donner sa confiance au patient. C’est un risque à prendre. Donner sa confiance à un malade, à une personne jugée « folle » peut paraître pure folie ! Mais, je l’ai déjà fait et il ne m’est rien arrivée de grave. Au contraire, j’ai reçu beaucoup en échange de ce quelque chose que l’on pourrait appeler l’attention à l’autre à tout prix, l’empathie. Si le soignant ne portait plus la charge du patient, il deviendrait davantage acteur de santé. Il pourrait alors s’alléger, se redresser et ainsi exercer son métier avec plus de plaisir et donc moins de pénibilité et d’usure.

« Prendre soin »...

Dans ma formation d’infirmière, j’ai baigné dans l’enseignement des 14 besoins fondamentaux décrits par Virginia Henderson , du besoin de respirer à celui de la réalisation de soi. A partir d’un bilan de ces besoins, nous pouvons établir des diagnostics infirmiers qui décrivent une situation spécifique du sujet, à un moment donné et dans un espace déterminé. Ce n’est donc pas des « étiquettes » collées de manière définitive sur le sujet mais des mots précis et chargés de sens posés sur un problème, sur une difficulté de santé ponctuelle. A partir de ces diagnostics, nous pouvons mettre en route des actions de soin ciblées et aidantes puis évaluer notre travail avec la personne, pour ajuster notre action si nécessaire. Ce processus de soin s’appelle une démarche de soins et non une prise en charge. Cette démarche est enseignée aux infirmiers mais aussi aux aides-soignants et à tous les acteurs sociaux (auxiliaires de vie sociale, aide-médico-psychologiques,assistants-sociaux...). Je pense qu’aujourd’hui nous avons donc des outils de pensée pour ne plus « prendre en charge » l’autre mais plutôt pour « prendre soin » de lui, sans oublier de prendre soin de nous... aussi !

A lire, pour continuer la réflexion

  • Les mots sont des fenêtres (ou bien des murs) ; Initiation à la Communication non violente : M. Rosenberg. Ed ; La découverte. 1999.
  • Cessez d’être gentil, soyez vrai ! : T. DʼAnsenbourg. Ed de lʼHomme. 2001.
  • La naissance psychologique de l'Etre humain : M. Mahler., F. Pire. A. Bergman. Ed.Payot. 1980.
  • Répertoire des diagnostics infirmiers selon le modèle conceptuel de V. Henderson. 1986. MC Graw-Hill Éditeurs.
  • Diagnostic infirmier : L.J Carpenito. MEDSI. 1986.
  • Des phrases courtes, ma chérie : P. Fleutieaux. Ed. Jʼai lu. Poche. 2001. (récit)
  • La force dʼaimer : M.L King. ED Casteraman. 1964.
  • Et, si les pauvres nous humanisaient... : C. et M. Collard-Gambiez. Fayard. 2004.
  • Stress, souffrance et violence en milieu hospitalier (manuel à l’usage des soignants ), MNH. Aline Mauranges. 2001.

Claire BAUDIN
Ex-infirmière
Formatrice en Relation dʼAide et Psychothérapeute.
clairessina@wanadoo.fr


Source : infirmiers.com