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ESI

"Notre seule priorité, nous étudiants en soins infirmiers, reste le patient et notre travail auprès de lui"

Publié le 08/04/2020

Margaux est étudiante en soins infirmiers à l'IFSI de Troyes. En troisième année de formation, elle partage avec la communauté d’Infirmiers.com son témoignage dans un seul but : rappeler à l’ensemble des soignants et des étudiants en santé qui livrent bataille contre le COVID19 qu'ils ne sont pas seuls… Elle interpelle ses formateurs en leur rappelant la priorité du moment pour les étudiants : participer activement à la bataille, être au front, en service de soin, concentrés à 100 % sur leurs missions, ici et maintenant.

"L'évolution de l'état de santé des patients, de leurs angoisses, des craintes de leur famille", voilà le plus important pour Margaux, étudiante en soins infirmiers de 3e année, engagée comme ses pairs dans la bataille contre le coronavirus.

C'est en ce temps de crise sanitaire que je vous écris avec le cœur lourd. Pour mon stage de S6-1 j'ai été affectée en service de soins palliatifs. J'ai pu y passer seulement trois jours avant d'être "réquisitionnée" en médecine interne et maladies infectieuses au centre hospitalier de Troyes en tant qu'aide-soignante. Ce service accueillait dans un premier temps les cas de Covid19 positifs et les suspicions. De nouveaux services ouvrent à présent pour accueillir les suspicions tant le nombre de patients augmente de façon exponentielle. L’état de santé des patients s’aggrave pour certains (finissant en réanimation dans le meilleur des cas) et se stabilise pour d'autres. Parfois, des malades de réanimation reviennent dans notre service pour y finir leurs jours, seuls. Leur tranche d'âge se situe entre 25 et 90 ans avec une majorité de patients aux alentours de 60 ans. Je côtoie aussi de jeunes patients et l’un de mes camarades de l'IFSI est hospitalisé. Quelle brutalité que de voir son entourage décompenser de la sorte, nous rappelant chaque jour que personne n'est intouchable. Qu'en quelques jours seulement pour les personnes touchées, l'idée de se déplacer du lit à la salle de bain est insupportable jusqu'à devenir impossible, broyé par la sensation d’étouffement.

Je garde en tête que le risque zéro n'existe pas et que malgré toutes les précautions dont je fais preuve, le risque d'être contaminée à mon tour reste possible. Je parle aussi pour tous mes pairs qui sont dans le stress permanent en ce qui concerne le manque de matériel, les conditions de travail difficiles et l'inquiétude de contaminer les personnes de leur entourage.

Je côtoie aussi de jeunes patients et l’un de mes camarades de l'IFSI est hospitalisé. Quelle brutalité que de voir son entourage décompenser de la sorte, nous rappelant chaque jour que personne n'est intouchable

L'équipe est motivée, soudée, investie, et je trouve ma place de soignante, mettant en avant mon statut de professionnel et plus seulement d'étudiante. La solidarité déployée entre tous me permet de garder force et courage chaque jour, malgré la lourdeur et la tension palpable dans le service. Le rythme est soutenu. Je travaille en 12 heures avec heures supplémentaires. Il m'arrive de faire des semaines de plus de 48 heures. Je rentre chez moi, épuisée de ma journée, pour reprendre le lendemain avec, à chaque fois, le même entrain et la même conviction de contribuer à la guérison des personnes malades du coronavirus. Mes jours de repos me permettent de récupérer de ma fatigue mais aussi de certaines insomnies répétitives. Je peux aussi communiquer avec ma famille et mes proches, loin de chez moi. Je vais faire mes courses, j’oublie les néons de l'hôpital et je profite de la lumière naturelle du soleil qui me permet de garder le moral en dehors de mes 20m2.

Malgré mon engagement et ma motivation, réinvestis chaque jour, comment rester stable psychologiquement ? Comment être à son maximum auprès des patients malades, quand notre propre famille est elle-même meurtrie par la maladie et doit y faire face seule ? Comment faire face également aux décès de nos patients quand un de nos proches se trouve lui même face à une mort imminente ? Il n'y a pas un jour où je ne pense pas à eux, à mes amis contaminés, à mon père infirmier en psychiatrie, le parent pauvre de l'hôpital, et qui, malgré les cas positifs et les suspicions chez les patients et les soignants, n'a pas de masque pour se protéger.

Je pense à ma mère qui vit avec mon père et qui redouble de vigilance pour ne pas tomber malade. Je pense à mon grand-père, hémiplégique, qui doit rester au fond de son lit en Ehpad et qui ne voit personne. Je pense à mon frère infirmier et à son amie aide-soignante qui travaillent sans relâche en réanimation. Je pense à toutes ces personnes qui se voient et se sentent en train de mourir. Je pense à tous ces défunts dont je me suis occupée, que j'ai tenté de rassurer, et à qui je rends hommage une dernière fois lors d'une toilette mortuaire respectueuse et forte émotionnellement parlant. Je pense à toutes ces familles blessées et meurtries qui n'ont pas la possibilité de vivre un deuil normal, sans pouvoir rendre un dernier hommage à leur proche défunt. Malgré tous ces drames, toutes ces situations douloureuses, nous continuons à rester debout, la tête en dehors de l'eau. Nous exprimons notre douleur, notre peine, notre peur et l'injustice face à ce qui nous dépasse.

Travailler notre mémoire de fin de formation, dans les conditions actuelles, n’est pas envisageable pour les étudiants en soins infirmiers

Il est évident pour moi d'aborder le sujet du mémoire à rendre dans si peu de temps ; mémoire dont la soutenance, je le rappelle, finalise notre formation initiale. En réalité, il n’est pas au cœur des préoccupations des ESI en ce moment précis. Si nous ne sommes pas tous les jours physiquement présents sur nos lieux de travail, nous le sommes en permanence psychiquement et émotionnellement. Mettre des corps inertes dans des sacs, voilà l’épreuve qui nous oppresse. Être au front, en service, et dans l’écriture de notre mémoire dans le même temps est impossible. Notre esprit est ailleurs ainsi que nos préoccupations. L'évolution de l'état de santé des patients, de leurs angoisses, des craintes de leur famille, voilà le plus important. Je ne compte pas mes heures pour leur donner de mon temps, me dire qu'ils ont pu manger correctement et avec plaisir avant, pour certains, de mourir quelques heures après. De me dire que j'ai pu parler pour eux au téléphone avec leur famille avant qu’ils rendent leur dernier souffle. Et me dire qu'ils ne sont pas partis sans personne à côté d'eux.

Alors à ce jour, je ne me préoccupe ni du mémoire que je devrais finaliser, ni des rattrapages, ni même de la question de savoir si je serai ou non diplômée en juillet. A vrai dire, je n'ai ni le temps, ni la capacité d'y penser. Nous sommes tous dans le même état d'esprit : toute notre énergie se focalise dans le renfort des équipes, le soutien moral des patients, des familles, des soignants, des collègues, et de nos proches. Les services de soin sont à bout de force. Légitimement, j’en appelle aux cadres enseignants de mon IFSI : oubliez la question du mémoire pour l’instant. Notre seule priorité, nous étudiants en soins infirmiers, comme l’ensemble des professionnels de santé aujourd’hui, reste le patient et notre travail auprès de lui mené avec respect et humanité, tout en se protégeant physiquement et moralement...

Nous ne sauverons pas tout le monde parce que nous ne le pouvons pas. Nous ne sommes pas responsables de toute cette cacophonie en période de pandémie mondiale. Le seul sentiment qui prime c’est d'avoir fait tout ce qui nous était permis de faire avec les moyens du moment. Chacun à son niveau peut faire évoluer les choses et apporter sa pierre à l'édifice. Permettez-nous, s'il vous plaît, d'être au plus haut de nos compétences auprès des patients dont nous avons la charge. Le mémoire de fin de formation n'est plus, et je parle pour l'ensemble de notre promotion, une priorité en cette période exceptionnelle de crise sanitaire majeure. Il y a de plus grands enjeux, et en tant qu'étudiants en soins infirmiers, futurs professionnels, nous vous demandons de prendre en considération notre souffrance et appelons à votre compréhension et bienveillance.

Bien à vous.

Margaux, étudiante en soins infirmiers, 3e année, IFSI de Troyes.



Source : infirmiers.com