Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

Merci d'avoir répondu !

ESI

Les infirmiers, réfractaires au changement ?

Publié le 25/02/2014
infirmière patient chambre d

infirmière patient chambre d

Depuis l'instauration du nouveau référentiel de formation en 2009 , les infirmier(e)s ont dû modifier leurs pratiques d'encadrement. Mais face à tous ces changements, la résistance s'est parfois installée... et quand les incompréhensions perdurent, ce sont les étudiants qui en pâtissent...

D'un constat hâtif...

Des infirmiers mal informés et qui résistent, des étudiants mal compris et qui souffrent...

Dernière semaine de stage, l'étudiant infirmier, tout tendu de ces dix longues semaines dignes d'un parcours du combattant, se rapproche, hésitant, de l'infirmière. Aujourd'hui, il va lui demander de remplir son portfolio . Il s'y prend à l'avance, pas le dernier jour, parce qu'il sait que ça prend du temps et que les infirmier(e)s rechignent souvent à exécuter cette tâche ingrate. Alors, il prend son courage à deux mains et tente de glisser tant bien que mal sa demande entre les transmissions, la préparation des premiers traitements et les multiples ragots que cette chère Martine bouillonnait de raconter à sa collègue depuis la veille :

  • Tu sais pas quoi ? Emilie, la jeune infirmière arrivée en août dernier, et bien hier, elle a oublié de cocher une case sur la feuille de commande d'économat !
  • Sérieux ! De toute façon, ils ne savent rien faire avec ce nouveau programme, ils ne passent même plus de MSP (mise en situation professionnelle), c'est n'importe quoi !

L'étudiant recule d'un pas, il réessayera plus tard. En attendant, il s'affaire, histoire de ne pas passer pour un fainéant.

Qui n'a jamais, depuis 2009, en tant qu'étudiant en soins infirmiers, entendu ce genre de réplique décourageante ? J'en mets ma main à couper, aucun. Depuis la réforme des études qui s'intègrent dans le programme universitaire LMD , ces situations sont devenues monnaies courantes. Tous les étudiants que j'ai pu croiser, dans différents instituts de formation en soins infirmiers, différentes structures (in)hospitalières, quelle que soit leur ville d'origine, pour peu qu'ils soient sur le territoire français, m'ont tous rapportés le même genre d'histoire.

Par ici, on dit que le nouveau programme c'est n'importe quoi, [qu'il n']y a même plus de modules. Par là on entend que les jeunes, ils ont la licence, ils veulent faire des études mais ils savent même plus s'occuper des patients. Combien de fois ai-je ramené, tout fier de moi, ma dernière démarche de soins, fruit d'un travail fastidieux et complexe (il faut voir l'état des dossiers de soins dans certains établissements), pour m'entendre dire par l'infirmier(e) : Ah ! mais vous savez encore faire des démarches avec votre nouveau programme ? Et que n'ai-je eu envie de lui répondre sans jamais le faire : Oui, nous savons, nous sommes formés pour être infirmiers, pas pour être la nouvelle coiffeuse du quartier. Cela dit, un stage ici ça serait formateur, vu le temps que vous perdez à vous casser du sucre sur le dos.

Par là on entend que "les jeunes, ils ont la licence, ils veulent faire des études mais ils savent même plus s'occuper des patients."

...à une interrogation légitime

Face à tout cela, je m'interroge. Sommes-nous mal formés ? Serons-nous de mauvais infirmier(e)s ? Qu'a-t-il de si mauvais ce programme ? Etait-ce si bien que cela du temps des MSP et des modules ?

Sans vouloir à tout prix opposer l'ancien programme et le nouveau pour sortir un vainqueur du "bain de sang" qui se profile à l'horizon, je souhaiterais expliquer pourquoi, d'après moi, nous sommes parfois si mal reçus dans nos stages à l'hôpital ou ailleurs.

Ne pas changer, résister ?

La résistance au changement semble l'explication qui s'impose de prime abord. Les infirmier(e)s lors de mes différents stages ont démontrés, le plus souvent, avoir un sérieux problème avec la nouveauté. Deux exemples en attestent : le nouveau matériel est moins bien que l'ancien, ou encore le nouveau protocole est moins bien que l'ancien.

Dans ces deux cas, l'infirmier(e) n'a pas le choix, il(elle) se doit de s'adapter, avec plus ou moins d'exactitude au changement. Dans le premier cas, le nouveau matériel a remplacé l'ancien, il n'y a donc pas d'autre choix que de s'adapter à lui. Dans le deuxième cas, le protocole fait office de règlement à suivre car l'infirmier(e) risque d'être rabroué(e) par les instances supérieures, il doit donc "revoir" ses pratiques. Résister au changement, oui, mais finalement l'infirmier(e) dispose de peu d'outils pour lutter contre. Même s'il rechigne, il s'y soumet donc assez facilement !

Prenons maintenant le cas qui nous intéresse : le nouveau programme est moins bien que l'ancien. Face au nouveau programme (2009 quand même et nous sommes en 2014...), l'infirmier(e) peut riposter, résister au changement en continuant à promouvoir sa façon de faire puisqu'il(elle) dispose d'une arme de taille : c'est lui(elle) qui décide ! En effet, dans le nouveau référentiel, l'infirmier(e) est observe, suit, forme et évalue l'étudiant. C'est lui(elle) qui peut donc, par son compte-rendu d'évaluation, conduire les Commissions d'Attributions des Crédits à valider ou ne pas valider les stages. Et c'est bien là que le bas blesse. Je m'explique : nouveau programme + infirmière fidèle à ancien programme et qui n'aime pas le nouveau  =  résistance au changement ? Une équation bien trop simpliste, qu'on se l'accorde.

Face au nouveau programme (2009 quand même et nous sommes en 2014...), l'infirmier(e) peut riposter, résister au changement en continuant à promouvoir sa façon de faire...

La prise du pouvoir

L'infirmier(e), en devenant responsable de l'évaluation, obtient un pouvoir décisionnel. Il(elle) peut, si elle le souhaite, remplir les portfolios et bilans de stage, selon sa propre vision. Rodé(e) à l'ancien programme, il(elle) utilisera la logique qu'il(elle) connaît pour cocher ces cases obscures dont il(elle) ne comprend pas vraiment la fonction. Ainsi, il(elle) reste fidèle à son ancienne formation, tout en remplissant son obligation d'évaluation. Et c'est l'étudiant qui en pâtit...

Mais si certains tuteurs raisonnent ainsi, il est cependant important de ne pas résumer, si succinctement, ce problème complexe. L'infirmier(e) peut donc, en effet, jouer avec les deux référentiels, pour évaluer à sa façon et résister au changement. On pourrait dire qu'il(elle) se faufile dans la brèche du système comme l'eau dans une fissure. Mais, pourquoi en vient-il(elle) là ?

Et si l'infirmier(e) qui résiste au changement n'avait-il(elle) pas pour seul but de faire changer l'ordre nouvellement établi, pour revenir au précédent ? Incapable de le faire aux vues du manque de leadership que lui procure aujourd'hui le monde hospitalier, il(elle) se retrouve frustré(e) et agit par les seuls moyens qu'on lui donne. Comme c'est lui(elle) qui évalue, il(elle) le fait selon son bon vouloir et l'étudiant n'a pas son mot à dire. C'est ainsi. Si la pédagogie n'est pas toujours le point fort de l'infirmier(e), grâce au nouveau programme, il(elle) peut se permettre d'opposer son avis, son expertise dont lui(elle) seul(e) sera détenteur. Et notre jeune étudiant ne pourra que difficilement se défendre puisqu'il ne connaît - et ne connaîtra jamais - cette "ancienne" formation. N'y aurait-il pas dans cette résistance au changement, un soupçon d'angoisse de voir disparaître ce qu'on a connu, au profit d'un avenir incertain qui nous dépasse ? Cela me laisse songeur.

L'infirmier(e) reste fidèle à son ancienne formation, tout en remplissant son obligation d'évaluation. Et c'est l'étudiant qui en pâtit...

La crainte de vieillir ?

D'ailleurs, cette anxiété face à l'inconnu, ne pourrait-elle pas s'expliquer ? Je pense que si l'infirmier(e) de bonne volonté, rodé(e) à la pédagogie est aujourd'hui bien informé(e), la plupart de ses collègues ne savent pas franchement en quoi consiste ce "nouveau" programme  qui, rappelons-le tout de même, accouchera de sa troisième portée au mois de juillet 2014 ! Des centaines d'infirmier(e)s ne se sont-ils (elles) pas exclamé(e)s que ce portfolio ils (elles) n'y comprennent rien, que ses critères ne veulent rien dire ou même qu'on ne peut pas remplir acquis parce qu'on a jamais rien acquis définitivement. L'infirmier(e) aurait-il(elle) en fait peur de valider ces fameux critères ? Car si la carence en formation sur le sujet est souvent évoquée comme une raison de la résistance au nouveau programme, la responsabilisation toute neuve de l'infirmier(e) dans l'évaluation de l'étudiant en stage se pose comme un argument de poids.

En effet, dans le cadre du nouveau référentiel, l'infirmier(e), nous l'avons déjà souligné, est amené(e) à former, évaluer et assurer le suivi de l'étudiant. Rien de nouveau ? Si pourtant ! L'infirmier(e) est juge et pédagogue. Il (elle) prend la place du cadre de santé formateur et évalue l'étudiant de façon continue lors de son stage, attestant notamment, de sa progression - ou stagnation ne l'oublions pas, tous les élèves ne sont pas des cadeaux, mais qui a dit que la pédagogie était toujours simple –  L'infirmier(e) a le pouvoir d'évaluer son étudiant de la manière qui lui convient en remplissant son précieux portfolio avec plus ou moins d'approximation. Cette nouvelle tâche  - ou plutôt "devoir"  - vient s'ajouter à l'activité intense des services qui atteint aujourd'hui les limites d'un toyotisme soignant à flux tendu. Prendre en charge la formation d'un étudiant est déjà chronophage, mais le portfolio se présente comme une corvée supplémentaire "déraisonnable". Il faut parfois plus de deux heures pour le compléter correctement.

Face à cela les infirmier(e)s ont deux choix : bâcler ou... bâcler ! Résultat, l'évaluation est souvent remplie à la va-vite, et les griefs des infirmier(e)s envers le nouveau programme n'aide pas à l'adhésion. Cependant, tout ce pouvoir, mis soudainement entre les mains d'un personnel peu préparé pose question. On pourra comprendre que l'infirmier(e) soit donc réticent(e) à abandonner les repères de son ancien programme qui lui assuraient un meilleur confort dans son travail quotidien d'encadrement.

L'infirmier(e) a le pouvoir d'évaluer son étudiant de la manière qui lui convient en remplissant son précieux portfolio avec plus ou moins d'approximation

Intégrer le mouvement

Le temps est donc venu de tirer la sonnette d'alarme. Un problème de compréhension entre "anciens" et "nouveaux" occasionne un clivage néfaste pour la cohésion des équipes. Les étudiants se sentent dévalorisés et sont moins motivés. Ils apprennent donc moins bien et abandonnent plus souvent leur formation. Les infirmier(e)s, quant à eux, sont stressé(e)s et réticent(e)s. Ils(elles) ont l'impression de perdre du temps et de "mal former". Les établissements de santé ne financent pas suffisamment de formations à ce sujet, laissant les infirmier(e)s dans un flou peu agréable.

Notre profession a pourtant intérêt à s'intégrer dans une idée de mouvance, de changement. A nous de décider si nous devons nous emparer du gouvernail, ou si nous devons nous laisser dériver sans garantie, au risque de nous échouer sur une île moins paradisiaque qu'escomptée...

Enfin, n'oublions pas que si mes propos sont volontairement polémiques, afin de faire réagir, ils oublient de signaler qu'il y a bien sûr, et bien heureusement, un grand nombre de professionnels qui continuent à nous apprendre le métier avec conviction et ce, malgré les quelques incompréhensions.

Pour conclure, je passe ce message qui m'est propre mais qui, j'en suis persuadé, sera partagé par au moins une partie des personnes concernées :

  • aux étudiants infirmiers : battez-vous, faites connaître votre programme de formation, portez vos convictions sur les terrains de stages et prouvez sa valeur ajouté ;
  • aux infirmiers : aidez-nous en vous intéressant à notre nouveau programme, défendez-le au quotidien, secouez vos supérieurs pour qu'ils vous forment et ne nous laissez pas patauger seuls dans cette boue pédagogique, parce que souvenez-vous, il n'y pas plus de 22 ans, votre programme aussi était nouveau ;
  • aux établissements de santé et autres institutions : tentez de saisir enfin l'importance essentielle d'une formation de qualité pour les infirmier(e)s et donc les  étudiants en soins infirmiers.

J'accueillerai les commentaires des différentes parties avec plaisir...

Des infirmiers mal informés et qui résistent, des étudiants mal compris et qui souffrent...

Anthony Etudiant en soins infirmiers, 3e année


Source : infirmiers.com