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ESI

Le silence, outil de soin

Publié le 23/05/2016

Gwenaëlle, étudiante en soins infirmiers à l'IFSI d'Orsay, nous livre une analyse de situation interpellante vécue lors d'un stage en oncologie. Le silence dans la relation entre patient et soignant l'a particulièrement interrogée durant un moment fort.

Description de la situation interpellante

Une étudiante en soins infirmiers analyse le silence dans la relation soignant-soigné.

Je suis en stage en oncologie. Je m’occupe depuis deux semaines d’un patient ayant un cancer pulmonaire en phase avancée, voire terminale, avec des métastases hépatiques et osseuses synchrones. Le service a demandé une place en soins palliatifs. Son état général est mauvais (alité, cachexie, difficultés respiratoires, encombrement important) mais il a toutes ses capacités cognitives. Nous sommes en fin de journée, vers 16h30, mon service va s'achever. Le patient sonne. Je vais le voir. Une fois dans sa chambre, il me dit qu’il voudrait boire un peu. Le patient, très encombré, porte une importante mucite au niveau de la bouche ce qui modifie ses paroles en une sorte de murmure trouble. Je lui donne un verre d’eau qu’il attrape avec les mains tremblantes. Il prend une gorgée qui passe difficilement à cause de cet encombrement, il tousse. Il regarde dans le vide, face à lui, concentré sur sa respiration. Je me baisse vers lui avec la main sur son épaule. Je lui dis que je reste une minute pour voir si cela passe car je ne voudrais pas qu’il s’étouffe quand je pars.

Quelques secondes s'écoulent. Je lui demande « ça passe ? ». Il tourne la tête vers moi, l’air fébrile et attrape fermement ma main qui était posée sur son épaule : « Est-ce que vous pouvez rester un peu à côté de moi ? » me demande-t-il dans un murmure semblant envahi d’angoisse. Je lui réponds, calmement, d’une voix basse aussi « oui bien sûr, je peux rester une dizaine de minutes si vous voulez ». J’attrape la chaise derrière moi, ce qui me permet d’être assise à sa hauteur, à côté de lui. Il tient ma main avec les siennes et regarde face à lui en baissant la tête. Il murmure :« qu’est-ce que je vais devenir… ». Je ne réponds pas mais je saisis bien la main qu’il m’a prise en regardant moi aussi un peu en face tête baissée. Je laisse un silence qui semble lui donner matière à réfléchir sur ce qu’il m’a dit, comme s’il était soulagé de penser avec moi. Nous sommes donc là, deux personnes pensantes. Il me serre les mains avec encore plus de conviction. Il me dit « j’en ai marre, j’ai du mal à respirer… qu’est-ce que je vais faire… ». Je réponds : « votre état est vraiment difficile… ça vous fait peur c’est ça? ». Il murmure un léger « oui » avec les sourcils qui se resserrent. Un autre silence. Il me resserre la main, comme si c’étaient ses mains qui parlaient « le silence ». Il reprend : « merci pour tout ce que vous faites, merci tellement… ». Je réponds « vous savez c’est normal, on ne va pas vous laisser seul, il faut bien qu’on prenne soin de vous ». Il rétorque « non, tout ça ce n’est pas forcément normal, vous êtes attentionnée, merci, merci… ». Je lui dis « c’est important qu’on vous apporte le plus de confort possible car votre situation n'est pas facile. Je comprends que ça puisse vous faire peur. Vous ne méritez pas ça, personne ne mérite ça… » Silence.

- Il me dit : « Vous savez, le pire c’est la nuit. Quand la nuit tombe c’est terrible »

- Moi : « Pourquoi, c’est le fait d’être seul ? ».

- Il répond « Non, je me sens serré ».

- « Ah vous avez la sensation d’étouffer plus la nuit ? ».« Oui voilà, la nuit c’est terrible »

- « Ça vous réveille ? »

- « Tout le temps »

Actuellement en moitié de 3e année, j’ai eu la sensation d’avoir des outils me permettant d’avoir un statut un minimum adapté à une telle situation. Je ne pense pas que j’aurais réagi de manière adaptée au début de ma formation.

Je le regarde en hochant la tête de compréhension. Encore le même silence. « Est-ce que vous avez envie qu’on vous donne quelque chose pour vous aider à dormir ? » Il répond par un soufflement sans conviction. J'ajoute alors : « En tout cas, vous savez la nuit il y a toujours quelqu’un dans le service, si vous vous réveillez, oppressé, n’hésitez pas à sonner, on pourra faire comme pendant la journée et vous donner un peu d’oxygène ». Il soupire, comme gêné de déranger. Je l’informe : « La nuit, n’hésitez pas, ils sont là pour ça. » Et en souriant « Et puis sinon ils vont s’endormir s’ils ne font rien vous savez ! Embêtez-les !». Il sourit. Silence. Il reprend « C’est ça que j’aime, le sourire, vous souriez, vous pouvez me faire un sourire ? ». Je souris. Il insiste « Ah merci, mais ça vaut tout ! Ça vaut tout ça, vous apportez beaucoup » en montrant la poignée de main. Il semble ému. Silence. Il exprime un « merci » dans un souffle. Je lui dis « c’est ce qui compte ! Ça me fait plaisir alors ». Il fait alors un sourire mi ému/mi joyeux en ce moment privilégié. Silence un peu plus long. Je reprends « Je vais vous laisser un peu vous reposer pour aujourd’hui. Je serai là demain, on fera la toilette et tout comme d’habitude ? » Il répond « oui bien sûr, à demain ». Je lui souhaite bon courage et sors de la chambre.

Le patient est décédé quelques jours plus tard dans le service.

On ne peut établir une relation de confiance sans s’engager soi-même un minimum.

Analyse de la situation

Cette situation m’a d'abord interpellée de manière positive. En effet, c’est un moment relationnel fort avec un patient, une sorte d’entretien non formalisé puisqu’il est à la demande du patient. C’est un moment que j’ai trouvé intense émotionnellement. J’ai l’impression que le patient se permettait de ressentir des émotions  car il les partageait avec quelqu’un en qui il avait confiance, comme si c’était trop dur à supporter seul. De ce fait, j’ai eu l’impression d’être aussi comme si je ressentais quelque chose (mais « comme si »). Tout cet échange s’est principalement basé sur du silence, du langage non verbal. Cette situation m’a fait prendre conscience de l’impact du langage non verbal. J’ai senti les bienfaits de ce langage pour le patient. Je me suis sentie utile et j'ai été satisfaite d’établir une relation avec le patient lui permettant de pouvoir exprimer son ressenti. J’ai trouvé que ce moment était plein d’humanité. D’où l’aspect positif. J’ai donc apprécié ce moment privilégié me renvoyant aux raisons qui m’ont donné envie, entre autres, de suivre cette formation.

J’ai également pu constater une certaine évolution de mon statut professionnel. Actuellement en moitié de troisième année de formation, j’ai eu la sensation d’avoir des outils me permettant d’avoir un statut un minimum adapté à une telle situation. Je ne pense pas que j’aurais réagi de manière adaptée au début de ma formation. Enfin, j’ai pu réfléchir à ma distance professionnelle. Elle était bénéfique pour le patient et non délétère pour l’un ou l’autre. Cela me montre aussi qu’on ne peut établir une relation de confiance sans s’engager soi-même un minimum. Pour ce patient, je passais du temps afin de prévenir les risques liés à sa pathologie et favoriser au mieux son confort. C’était une relation d’égal à égal où j’ai eu la sensation d’être moi-même et que cela a été bénéfique.

Il m’a paru intéressant de faire l’analyse de cette situation afin d’y réfléchir à distance. Cela m’a permis de comprendre pourquoi ce moment m’a marquée et de mieux appréhender une future situation qui pourrait être similaire en saisissant mieux ce qui se passe sur le moment.

Gwenaëlle DUMAS-PILHOU  Étudiante en soins infirmiers, 2e annéeIFSI d'Orsay


Source : infirmiers.com