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LEGISLATION

La responsabilité des étudiants en soins infirmiers

Publié le 07/11/2014
seringue injection

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Guillaume Rousset, Maître de conférences HDR en Droit et responsable du DU Droit, Expertise et Soins, livre quelques réflexions sur la responsabilité des étudiants en soins infirmiers, notamment lors d'une erreur médicamenteuse.

Erreur d'administration de médicament : quid de la responsabilité des étudiants en soins infirmiers

Nous avons tous entendu parler de l’affaire du patient décédé en septembre 2014 à l’Institut Bergonié de Bordeaux du fait, a priori, d’une erreur d’administration de médicament qu’aurait réalisée une étudiante en soins infirmiers de 3e année en stage dans l’établissement (injection de chlorure de potassium non dilué en lieu et place de l'injection de corticoïdes prescrite). Évidemment, le cas est dramatique. En premier lieu pour le patient et sa famille. Mais aussi, dans une autre mesure, pour cette étudiante. Malgré le traitement médiatique donné, beaucoup de questions sont aujourd’hui sans réponse. Nous ne savons pas réellement ce qui s’est passé et dans quelles conditions. De ce fait, plutôt que de se prononcer de manière hâtive sur le fond du dossier, il semble intéressant de se fonder sur cette situation pour mener quelques réflexions sur les cas de responsabilité que l’on peut rencontrer dans le monde du soin.

Malgré le traitement médiatique donné à l'affaire Bergonié, beaucoup de questions sont aujourd’hui sans réponse.

D’abord, cette affaire est emblématique des processus complexes que l’on rencontre quotidiennement dans les établissements de santé, c'est-à-dire ceux qui font intervenir une multiplicité importante de personnes. Le circuit du médicament en établissement implique en effet des acteurs très nombreux et particulièrement divers : le médecin prescripteur, la pharmacie à usage intérieur avec ses pharmaciens et ses préparateurs qui vont dispenser et préparer le traitement jusqu’à sa réception et son stockage dans le service, l’infirmier qui contrôle puis administre le traitement ; tous ces acteurs étant concernés par les exigences de pharmacovigilance. Or, ici comme dans d’autres cas, il est facile de se focaliser sur l’un de ces maillons, oubliant les autres alors qu’ils ont peut-être joué un rôle essentiel. Certes, l’étudiante infirmière a reconnu son erreur et la responsabilité naturellement imaginée est individuelle, mais cela ne signifie pas que les fautes ne peuvent pas être partagées. Le propos ne consiste pas à dire que l’étudiante est exempte de toute faute, mais il faut réaliser que le rôle de chacun des acteurs concernés doit être obligatoirement envisagé, que cela aboutisse à une concentration des fautes sur une seule personne ou sur une responsabilité partagée des différents membres de l’équipe. En quelque sorte, la place que chacun a pu jouer doit être prise en compte poussant à se poser la question de leur rôle sans préjuger de la réponse que l’on y apportera. Dans l’affaire en cause, ce n’est pas parce que, simples exemples, les actes du médecin prescripteur ou du pharmacien hospitalier ne sont pas en cause de prime abord qu’il ne faut pas envisager leur action (par exemple, qu’en est-il de l’étiquetage du produit, tant pour son emballage que pour la seringue ?). Par ailleurs, le comportement de l’infirmière titulaire qui encadrait l’activité de l’étudiante en soins infirmiers devra être sérieusement étudié pour déterminer dans quelle mesure la responsabilité n’est pas partagée (comment cette interversion a-t-elle été possible, interrogeant la qualité de la surveillance ? l’évaluation des capacités et de l’autonomie de l’étudiante a-t-elle été bien réalisée ?…).

Certes, l’étudiante infirmière a reconnu son erreur et la responsabilité naturellement imaginée est individuelle, mais cela ne signifie pas que les fautes ne peuvent pas être partagées.

Ensuite, le traitement d’une faute n’est pas le même selon le type de responsabilité engagée. D’une part, la question de la responsabilité disciplinaire peut se poser. Certes, cette étudiante n’est pas un professionnel diplômé, mais elle exerce comme tel en fonction de l’art. L. 4311-12 2° C. santé publique (Par dérogation […], l'exercice de la profession d'infirmière ou d'infirmier est permis soit en qualité d'auxiliaire polyvalent, soit pour un ou plusieurs établissements ou pour un mode d'activité déterminé […] aux étudiants préparant le diplôme d'Etat pendant la durée de leur scolarité, mais seulement dans les établissements ou services agréés pour l'accomplissement des stages). Un recours devant l’Ordre est donc envisageable. Au-delà, cette responsabilité disciplinaire peut se traduire par l’intervention du conseil de discipline de l’IFSI, lequel émet un avis et peut proposer au directeur de l’institut de prononcer des sanctions (avertissement, blâme, exclusion temporaire d'une durée maximale d'une semaine ou exclusion définitive de l'étudiant de l'institut de formation). D’autre part, une responsabilité pénale peut être engagée puisqu’une personne est décédée. Il faudra identifier précisément quelle infraction a été commise (piste de l’homicide involontaire), le but étant de punir l’auteur par une peine de prison ou une peine d’amende. De troisième part, une responsabilité indemnitaire pourrait être engagée devant les juridictions judiciaires (puisque l’institut est un établissement privé de santé). Ici l’objectif serait, non plus de punir, mais d’indemniser les ayants-droits du patient, c'est-à-dire ses héritiers, du préjudice qu’ils ont subi du fait de cette erreur médicamenteuse. De dernière part, il y a une voie qui fait se rejoindre les responsabilités pénale et indemnitaire. C’est la possibilité pour les ayants-droits de la victime de se constituer partie civile permettant au juge pénal de se prononcer en même temps sur l'action pénale (peine de prison et/ou amende) et sur l'action civile (indemnisation touchée par la partie civile). C’est ce que semble avoir choisi la famille du patient dans notre affaire.

En tout cas, quel que soit le type de responsabilité, il est certain que le fait que l’auteur de l’acte soit étudiante infirmière et non pas infirmière diplômée ne change rien. Par principe, elle est responsable de ces actes et ne peut pas être « couverte » par principe par l’infirmière titulaire.

Guillaume ROUSSET    Maître de conférences HDR en droit (IFROSS - Univ. Lyon 3) Responsable du DU Droit, Expertise et Soins


Source : infirmiers.com