Thomas, étudiant en soins infirmiers à Saint-Etienne, nous livre une analyse de situation vécue lors de son premier stage. Une situation d'hygiène observée dans un service de chirurgie ambulatoire a soulevé chez lui une très légitime question qu'il nous livre ici. Une chose est sûre : vigilant un jour… vigilant toujours ! La profession infirmière peut d'ores et déjà lui dire merci !
« L'étonnement » ou comment des étudiants en soins infirmiers racontent leurs premiers questionnements en stage
Formatrices dans un institut de formation en soins infirmiers Croix-Rouge à Saint-Etienne, Pascale Brisse et Zohra Messaoudi ont demandé à leurs étudiants de 1ere année, dans le cadre de l'unité d'enseignement « Hygiène et infectiologie », de réaliser une analyse de situation à partir d'un « étonnement » vécu lors de leur premier stage. Dans la continuité des trois premiers textes que nous avons publiés en 2015, textes jugés parmi les plus pertinents par leurs enseignantes , voici une nouvelle série qui sera déployée lors des prochains mois. Après le témoignage d'Emeline , voici celui de Thomas et merci pour ce partage. Il serait en effet dommage que ces riches réflexions de profanes restent anecdotiques. Fin encadré
Etudiant en soins infirmiers, en première année, mon premier stage a eu lieu dans un service de chirurgie ambulatoire organisé sur deux étages : le rez de chaussée pour les opérations en lien avec l’œil et le premier étage pour toutes les autres pathologies. Mon stage s'organisait entre les deux étages. Le service comptait 35 lits avec une moyenne de 50 entrées par jour. J’étais encadré par trois infirmières et une aide-soignante quel que soit le roulement. Deux agents de service hospitalier étaient aussi présents.
La description de la situation...
Dans ce service, les patients ne restent que la journée, voire même que la matinée. Certaines chambres étaient donc nettoyées et désinfectées pour accueillir un nouveau patient pour l’après-midi. Pour chaque patient un dossier de soins était constitué à l’aide d’un classeur. Il rassemblait les feuilles d’anesthésie, la prière de recevoir, les différents consentements (anesthésie, acte chirurgical), le bulletin de sortie, les différents résultats d’examens demandés par le chirurgien. Si le patient était déjà venu à la clinique, étaient inclus également ses anciens dossiers de soins. Chaque classeur était attribué à une chambre pour une meilleure organisation. Lorsque le patient partait au bloc, le classeur l'accompagnait, placé alors à côté de l’ordinateur. Au retour du bloc nous nous servions toujours de ce classeur jusqu’à ce que le patient reparte dans son lieu de vie. Le classeur était ensuite vidé et les feuilles présentes à l’intérieur archivées. Etaient ensuite triés les classeurs par ordre de chambre afin de les réutiliser pour un autre patient.
Le sujet de mon étonnement...
D’après l’article R1112-2 du code de la santé publique, un dossier médical est constitué pour chaque patient hospitalisé dans un établissement de santé public ou privé. Ce dossier a pour but d’assurer la coordination et l’organisation des soins pendant la prise en charge du patient. Il permet la continuité des soins au sein d’une équipe pluridisciplinaire. Sa tenue consciencieuse est garante de la sécurité et de l’efficacité des soins. Dans ce service, les papiers étaient le plus fréquemment donnés par l’anesthésiste lors de la consultation préopératoire et devaient être complétés par le patient à son domicile. Cependant les patients étaient peu nombreux à le faire pour diverses raisons. Le classeur était alors posé sur le lit ou la tablette afin de remplir les dernières formalités administratives. J’ai pu apprendre pendant le cours sur les précautions standards d’hygiène que la tablette et le lit font partie d’un lieu qui doit rester propre pour le patient. Questions :
- ces documents pouvent-ils transmettre des agents infectieux ? ;
- les classeurs non nettoyés entre chaque patient peuvent-ils être aussi vecteurs de contaminations ? ;
- quels agents infectieux peuvent être transmis par cette voie ? ;
- quels sont les risques pour les autres patients ?
Pour répondre à mon questionnement je décide de rechercher :
- les modalités d’une transmission croisée ;
- les modes de prévention ;
- les mesures existantes au sein du service ;
- questionner mon équipe.
Passer à l'offensive…
Pour mieux comprendre le risque infectieux, je décide d’étudier la transmission croisée et les mesures de base pour prévenir ce risque, à l’aide des cours dispensés en début d’année au sein de l’UE 2.10 : infectiologie et hygiène. La transmission croisée est portée par une chaîne épidémiologique. Cette chaine est constituée de 4 temps :
- le réservoir de microorganismes : peut être humain ou environnemental. Dans le cadre de ma situation d’hygiène le réservoir est environnemental (le classeur) mais ce dernier a pu être contaminé à partir d’un réservoir humain. Au sein du réservoir environnemental un Staphylococcus aureus peut survivre plusieurs semaines si la surface reste sèche tandis que le virus de la grippe peut survivre 1 à 2 jours sur des surfaces comme le plastique. Mais dans certains cas il y avait des patients porteurs d’une BMR et dans ce cas présent les risques étaient augmentés car ils jouent le rôle de réservoir de microorganismes ;
- le mode de transmission : peut se faire par contact, par gouttelettes, ou être aéroporté. Dans le cas présent, le mode de transmission sera par contact direct. Ce mode de contact est responsable de 90% des cas de transmissions. En effet les mains qui ont préalablement été lavées lors de l’entrée dans la chambre du patient peuvent se contaminer en touchant le classeur ;
- la porte d’entrée : peut être une plaie, brûlure, muqueuse. Par exemple lors de l’instillation de collyre dilatateur : suivant l’installation du patient j’ai remarqué qu’il pouvait y avoir une contamination si la désinfection des mains n’était pas réalisée après avoir touché le dossier du patient ;
- l’hôte réceptif : qui peut avoir un risque de transmission plus ou moins important suivant les facteurs de risques présents. Faisant mon stage en chirurgie ambulatoire la plupart des patients venaient pour de petits actes chirurgicaux. Leur état de santé était généralement bon. Certains patients étaient sous chimiothérapie et donc des risques de contaminations plus importants.
Les mesures de base pour prévenir le risque infectieux sont : une bonne hygiène des mains (lavage au savon, solution hydro-alcooliques), un équipement de protection personnel adapté et une éducation des patients et des visiteurs ainsi que du personnel de santé.
D’après cette étude, on peut donc voir qu’un risque de transmission est possible par l’intermédiaire de ces simples classeurs. Après une transmission entre les équipes du matin et du soir, j’ai fait part de mes questions à l’équipe. Le personnel était conscient du risque infectieux que représentaient ces classeurs. Une simple mise en culture d’un échantillon montrait que ces derniers possédaient des germes (Staphylococcus aureus principalement). Ainsi, depuis le début de l’année de nombreux papiers ont pu être enlevés de ce classeur. Ceci a été possible grâce à un nouvel outil qui permet de voir et valider les prescriptions par informatique. Des fiches de liaison en référence à certaines maladies comme Creutzfeldt-Jakob ont pu être enlevées aussi grâce à cette informatisation. Un achat de nouvelle papeterie était aussi envisagé afin que la désinfection puisse se faire et de manière plus aisée car les classeurs existant demandaient bien trop de temps pour une désinfection optimale. En attendant l’équipe m’avait dit de me désinfecter à nouveau les mains après avoir utilisé le dossier de soins à l’aide du SHA lorsque je devais procéder à des actes pouvant contaminer le patient (instillation de collyres, réfection de pansements, pose de cathéters).
En guise de conclusion...
Dans la plupart des établissements de santé, le nombre de papiers dans le dossier de soins du patient est en diminution. De plus en plus de documents sont informatisés pour éviter toutes pertes. Cela apporte aussi une plus grande rapidité pour consulter ces dossiers. Malgré tout, ces dispositifs ne sont pas encore totalement opérationnels car encore très récents. Des entreprises sont en train de concevoir des produits innovants dans la santé comme des tablettes tactiles. Ces dernières peuvent être désinfectées et sont étanches. Dans un futur proche, ces dernières pourraient être utilisées pour constituer le dossier du patient et recueillir des signatures si besoin est.
J’ai choisi cette situation car cela m’a permis de voir qu’un simple élément, en apparence banale, peut se retrouver dans une chaîne infectieuse potentielle. Dans mon futur d’infirmier, je devrais constamment être attentif à tous ces éléments pour protéger les patients. Cette situation m’a aussi montré qu’une réorganisation au sein d'un service est possible grâce à la participation de chacun. Le métier d’infirmier oblige une perpétuelle remise en question du personnel et un apprentissage de chaque instant.
Bibliographie
- Code de la santé publique - Article R1112-2
- Cours d'infectiologie : Infections Associées aux Soins, Dr I. Martin, unité d'Hygiène inter-hospitalière, CHU Saint-Etienne, septembre 2015.
- OMS : Mesures de Base contre l’infection en milieu médical (PDF)
Thomas NOTIN Etudiant infirmier L1 Croix-Rouge Formations – Rhône-Alpes, Saint-Etienne
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