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COURS IFSI

La relation soignant-soigné : les affects dans la culture soignante

Publié le 15/08/2023
Cours : Le poids des affects dans la culture soignante

Cours : Le poids des affects dans la culture soignante

Christine Paillard, documentaliste et lexicographe en sciences infirmières, propose d'analyser un concept et son application dans le champ infirmier, à partir de son Dictionnaire des concepts en soins infirmiers, utile pour les Analyses de pratiques professionnelles et pour le Mémoire de fin d’études et l’exercice de la profession soignante.

Les affects interviennent dans la relation soignant/soigné dans une perspective interpersonnelle. Christine Paillard, démontre l’intérêt de la gestion des affects pour un soignant. S’il doit pouvoir les maitriser ou au mieux les gérer, il est également préférable pour lui de distinguer ceux du patient.

Lors d’une prise en charge, ce qui relève de la perception sensorielle, les émotions passagères, les sentiments durables et le cheminement cognitif sont si étroitement mêlés que le soignant a parfois du mal à les identifier distinctement.

 

L’affect se définit chez l’homme comme une disposition affective primaire plus ou moins contrôlée par des charges émotionnelles. Emprunté au latin "affectus" qui signifie depuis Cicéron un état, disposition de l'âme, il est aussi emprunté à l'allemand "Affekt" se traduisant par un mouvement ou état affectif impétueux 1.

Ce terme s’est ensuite spécialisé en psychanalyse, surtout à partir des premiers travaux en psychologie de Breuer et Freud2. L’affect se définit comme la subjectivité d’un état psychique élémentaire, inanalysable, vague ou qualifié, pénible ou agréable qui peut s’exprimer massivement ou sous la forme d’une nuance, d’une tonalité. A la différence du sentiment qui est dirigé vers son objet, l’affect est centré sur ce qui est primairement ressenti (A. Ruffiot et A. Ciavaldini3). D’après S. Freud4 l'affect est l'expression qualitative de la quantité d'énergie pulsionnelle et de ses variations.  Freud distingue l'aspect subjectif de l'affect et les processus énergétiques qui le conditionnent. Il refuse d'établir un parallèle entre l'affect dit inconscient (sentiment de culpabilité inconscient par exemple) et les représentations inconscientes. Dans l’ouvrage L’affect5, il s’agira plutôt de reprendre la question sous l’angle du lien à la représentation, qu’il soit difficile ou fragile. En effet, si les affects peuvent nous surprendre dans leur brutalité, sans que nulle représentation ne semble les sous-tendre, ils ne sont peut-être partageables analytiquement que dans leur intime association aux représentations de mots et de choses…. Pour aller plus loin dans la perspective psychanalytique, E. Vion, B. Golse6 décrivent les affects dépressifs comme étant générés par le processus de changement d'objet d'amour ou par le désinvestissement des représentations des objets parentaux primaires. Ce processus est associé souvent à un sentiment de perte jusqu'à ce que les objets substitutifs stables soient trouvés 7. André Green8 donne aussi une définition de l’affect : terme catégoriel groupant tous les aspects subjectifs qualificatifs de la vie émotionnelle au sens large, comprenant toutes les nuances que la langue allemande (Empfindung, Gefühl) ou la langue française (émotion, sentiment, passion...) rencontrent sous ce chef 9, 10.

Les affects interrogent le champ de la psychanalyse dans l’objectif de faire émerger des états inconscients. Si les affects sont construits à partir d'états émotionnels conduisant à une possible interprétation des faits, nous sommes aussi dans le registre des représentations sociales produisant alors des altérations, des quiproquos, des relations éprouvées, bouleversées. L’état affectif fait sens avec l’affection, pour autant, les affects ne relèvent pas toujours de bons sentiments. L’impétuosité des passions se caractérise aussi par la haine, la violence et relève donc des affects. Ce qui signifie qu’un soignant devrait supposer, voire distinguer l’état affectif d’une simple émotion qui peut être plus ou moins impulsive selon les situations. Excès de sensibilité ou état ancré dans une mesure affective marquée, visible ou non, les affects peuvent se rapprocher des sentiments qui génèrent des émotions d’une façon plus ou moins raisonnée, sur le long terme.

La gestion des affects est nécessaire pour les soignants

Lors d’un soin, comme par exemple, lors d’un changement de pansement, "de multiples perceptions arrivent à la conscience de l’infirmière". Dans un contexte hospitalier (urgences…), les affects interviennent aussi dans le champ cognitif. D’après Jacky Merkling11, "les affects, qu'ils soient pulsionnels ou stimulés par l'environnement, produisent une tension à l'intérieur du sujet à la fois d'ordre psychique et somatique. En effet, lorsque l'on est énervé, par exemple, par le comportement de quelqu'un, on le ressent psychiquement, ce qui se manifeste par une pensée accélérée, tunnellisée, ruminante (aspects cognitifs), et l'émergence de sentiments de colère ou d'anxiété (aspects affectifs). Mais ce comportement de l'autre a aussi une résonance somatique, le rythme cardiaque et la respiration s'accélèrent, les muscles se crispent… Cette tension s'apaise dès lors que l'on peut nommer intérieurement l'affect qui la provoque : ce type m'énerve. Les modifications internes dont on est l'objet prennent ainsi une signification qui va permettre à la tension de s'évacuer progressivement. Si l'on peut, dans un second temps, nommer verbalement notre état, on va encore évacuer un peu plus la tension. Cette évacuation se fait de manière progressive, au rythme de la pensée, à la vitesse de la mise en sens. Le symbole (le mot) vient donner sens au vécu et permet d'en gérer graduellement l'impact".

D’un simple coup d’œil, l’infirmière évalue l’état d’un patient, sa gravité et, dans le même temps, ce dernier lui inspire sympathie ou aversion

Les affects au cœur de la relation soignant/soigné.

Catherine Mercadier12 cite que, lors d’un soin, notamment au cours d’un pansement, de multiples perceptions arrivent à la conscience de l’infirmière : son regard détecte des grimaces douloureuses, son contact avec la plaie répugne même au travers des gants, et son odorat est irrité par des émanations nauséabondes. Ces perceptions permettent d’apprécier l’état de la plaie et déclenchent de manière concomitante des affects comme la peur de faire mal, le dégoût, la colère (si le malade manifeste de l’impatience…). Perception sensorielle, émotions passagères, sentiments durables et cheminement cognitif sont si étroitement mêlés que le soignant a parfois du mal à les identifier distinctement. Les données issues tant du raisonnement que celles provenant des émotions se combinent pour guider le soin à se réaliser. Certains affects peuvent entraver le travail. D’où la nécessité pour le soignant de s’en protéger.

Pour Carl Rogers13, lors de l’annonce d’une maladie, les affects facilitent une émergence des états émotionnels comme un fort accroissement d’excitation à la vie psychique. Les affects sont au cœur de la relation soignant/soigné. Ils font partie des perceptions sensorielles et constituent un bassin de connaissances théoriques et expérientielles. Du recueil de données à la prise en charge, les soignants mettent en place un dispositif d’observation caractérisé par des savoirs pédagogiques. Comme le souligne Mercadier14d’un simple coup d’œil, l’infirmière évalue l’état d’un patient, sa gravité et, dans le même temps, ce dernier lui inspire sympathie ou aversion. L’évaluation est ici cognitive. Elle est indissociable d’un affect émotionnel chez le soignant qui analyse sa réponse au regard de la qualité d’un soin.

NOTES

  1. HEHLMANN, Wörterbuch der Psychologie, Kröner, Stuttgart, 1968, s.v. Affekt : R. HELLER, Das Wesen der Affekte, 1946,
  2. Studien über Hysterie, 1895 cf. LAPLANCHE et PONTALIS, Vocab. de la psychanal., 1967 s.v. affect
  3. A. Ruffiot et A. Ciavaldini IN Dictionnaire de psychologie. R. Doron et F. Paros (sous la dir.). Paris : PUF/ 3e édition. 2011. page 15.
  4. S. Freud (1915), L’inconscient, in Métapsychologie, Paris, Gallimard, Folio Essais, 1968, p. 82.
  5. Présentation. L’affect, dans L'affect. Paris, Presses Universitaires de France, Monographies de psychanalyse, 2005, p. 7-9
  6. 6. E. Vion, B. Golse. Dépressions de l'enfant. EMC - Savoirs et soins infirmiers 2017 : 1-5 [Article 60-729-D-10].
  7.  Corcos M, Consoli A, Nicolas I, Clervoy P, Bochereau D, Jeammet P. Troubles maniacodépressifs à l'adolescence. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie/Pédopsychiatrie, 37-214-A-50, 2006.
  8. André Green, Les cas limite. De la folie privée aux pulsions de destruction et de mort, Borderline cases. From private madness to the destructive and death drives, Zusammenfassung, Riassunto, Resumen, Revue française de psychanalyse, vol. 75, no 2,‎ 30 mai 2011, p. 375–390
  9. A. Green, La diachronie en psychanalyse, Paris, Éd. de Minuit, 2000, p. 13.] : source: Cupa Dominique, La question de l’affect chez André Green, dans L'affect. Paris, Presses Universitaires de France, Monographies de psychanalyse, 2005, p. 89-116
  10. Green A. Le discours vivant Paris : PUF.1970.
  11. J. Merkling. Accueil du patient en psychiatrie. Aspects techniques et relationnels. EMC - Savoirs et soins infirmiers 2012 ; 7(1) :1-9 [Article 60-725-A-50]
  12. Catherine Mercadier. Le travail émotionnel des soignants, la face cachée du soin. Soins Cadres. Vol 17, N° 65. Février 2008. pp. 19-22
  13. Rogers C. Le développement de la personne.  Paris : Dunod.2005.Mercadier C. Le travail émotionnel des soignants. Le corps au cœur de l’interaction soignant-soigné   Paris : Seli Arslan. 2017.

Christine Paillard
Docteure en sciences du langage, diplômée en ingénierie pédagogique et licenciée en sciences de l’information et de la communication, elle accompagne les étudiant.es infirmier.ières (Ifsi, IPA) à l'acquisition de compétences informationnelles, linguistiques pour remobiliser une démarche documentaire scientifique.


Source : infirmiers.com