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COURS IFSI

La relation soignant-soigné : le vieillissement

Publié le 18/08/2023
Couple de séniors

Couple de séniors

Christine Paillard, documentaliste et lexicographe en sciences infirmières, propose d'analyser un concept et son application dans le champ infirmier, à partir de son Dictionnaire des concepts en soins infirmiers, utile pour les Analyses de pratiques professionnelles et pour le Mémoire de fin d’études et l’exercice de la profession soignante.

Vieillir n’a pas que des aspects négatifs, bien au contraire...


Les étapes de la vie conduisent souvent à l’introspection. Les décennies passées trop vite conduisent à regarder autrement les choix de vie, les  décisions prises parfois à la hâte. Ce bilan préfigure en partie de la qualité de notre vieillesse à venir. Après l’âge de 40 ans, en entreprise, nous obtenons l’honorable statut de senior. 50 ans est l'âge des habitudes (alimentaires, sportives…) et demeure souvent l’âge d’une reconversion professionnelle. 60 ans est une source d’angoisse pour les uns, qui se résignent à cesser leur activité principale avec moins de revenus. C’est aussi une sorte de soulagement pour d’autres qui ont envisagé d’autres projets. Dans notre société, vieillir sous le regard des autres demande du courage, vieillir en regardant nos capacités diminuer est douloureux, vieillir en ayant peur de la maladie est une réalité certaine, vieillir seul peut être aussi un fardeau… Vieillir, tout court, est un processus inhérent qui comporte plusieurs aspects et  concepts, liés à l’économie.

 

Définir l’indéfinissable

Dans le dictionnaire des concepts en soins infirmiers, le vieillissement est un « processus physiologique, psychologique, social, que subit normalement tout organisme vivant dans la dernière période de sa vie. Il se manifeste par une diminution de la fonction de chaque organe et des grandes fonctions corporelles, selon des rythmes propres à chaque personne. C’est un processus dynamique qui intègre les notions de vie et de temporalité, et donc la problématique de la mort et le repli narcissique». L’OMS définit l’âge mûr à partir de 65 ans. Cette période de vie est la résultante des effets intriqués de facteurs génétiques (vieillissement intrinsèque) et de facteurs environnementaux auxquels est soumis l’organisme tout au long de sa vie, les facteurs économiques (catégorie socioprofessionnelle), sociaux (isolement), psychologiques (faire le deuil d’un conjoint), neurologiques (perte de la mémoire). Je vieillis, voilà les dents qui s'en vont, et les cheveux qui bientôt seront en allés. Enfin! pourvu que la cervelle reste, c'est le principal (Flaubert, 1853). Pour Christophe de Jaeger1, le vieillissement - ou sénescence - peut se définir comme une diminution de la réserve physiologique des organes et des systèmes composant  notre  organisme (adulte) qui  possède des réserves fonctionnelles et lui permettent de surmonter des situations  difficiles  (effort,  maladie). L'organisme vieillissant n'a plus à sa disposition ses réserves. Il ne peut donc plus faire face avec succès à certaines situations physiologiques (effort, adaptation climatique)  ou pathologiques (maladies,  accidents). A cette réduction physiologique vont s'ajouter les séquelles des maladies ou accidents qui ont pu émailler la vie du patient (maladies cardiovasculaires, pneumologiques ou neurologiques). Cette réduction progressive conduit tout organisme vivant, après un laps de temps variable, à la mort. L’aspect psychologique comptabilise les pertes (du mari, de la femme, de la maison, du travail, des amis qui partent en premier, de sa condition physique...). En somme, le vieillissement est un processus naturel, physiologique, génétique, environnemental, s'imposant à tous les êtres vivants à distinguer des effets des maladies. Notre société influe sur les caractéristiques physiologiques, voire pathologiques en renvoyant une image repoussante quand il s’agit de transformation corporelle, jusqu’à lutter même contre ce vieillissement. Les représentations liées à la vieillesse relèvent beaucoup de la capacité intellectuelle, de l’autonomie dans les tâches quotidiennes, impliquant alors une vulnérabilité soumise au bon vouloir des individus se croyant plus utile, l’activité économique ou tout simplement la performance est la question éthique liée au vieillissement...

Bien vieillir ou réussir son vieillissement

D’après l’article "Plaisir et vieillissement chez les plus de 65 ans"2, 91 % des plus de 65 ans déclarent bien vivre leur âge… Les concepts de “vieillir en santé”, de “vieillissement réussi”, de vieillissement à “haut niveau de fonction” ou encore de “bien vieillir” sont fréquemment cités. Initialement décrit par JW. Rowe et RL. Kahn3, le modèle du bien vieillir n’a pas de définition consensuelle même si de nombreux auteurs s’accordent sur l’importance du maintien des réserves fonctionnelles, physiques, psycho-cognitives et du lien social4,5.

Pour Martine Boyer-Weinmann6, les recherches actuelles sur le “bien vieillir” font état de stratégies d’adaptation ou de processus psychiques, variables selon les personnes et leurs histoires de vie, dont certaines sont plus que d’autres capables de surmonter l’épreuve de la perte progressive des sens. C’est ainsi que Marie de Hennezel affirme que « vieillir a un sens »7. C’est ainsi encore que diverses études relèvent les modes du coping, le faire-face devant les assauts du temps, dont l’affaiblissement de la sensorialité est la manifestation la plus nettement ressentie. Le courant le plus à la mode en la matière est celui de la résilience, cet ensemble d’aptitudes ou de capacités à surmonter les épreuves. Les personnalités dites “résilientes” seraient les mieux à même de surmonter les affres de la sénescence. On parle alors de vieillesse réussie, de successful aging8. D’après Christian Heslon9, “différentes recherches combattent l’idée du déclin inhérent au vieillissement, en montrant que le déploiement de la vie intérieure, associé à certaines caractéristiques de la personnalité, permet de mieux supporter l’inéluctable déficit sensoriel. Mihalyi Csikszentmihalyi10 parle, dans ce cas, de personnalités “autotéliques”. Pour Freud, le système “perception/ conscience” est au principe de la conscientisation du monde11. La perte progressive de tel ou tel sens avec le vieillissement sera alors différemment vécue et assumée en fonction non seulement de la signification subjectivement accordée au sens défaillant, mais aussi de la qualité singulière des expériences sensorielles dont le sujet se verra privé.

Comme le précise enfin Martine Boyer-Weinmann12, “ le psychanalyste François Villa évoque "la puissance du vieillir" )"13 et, avant lui, la féministe Simone de Beauvoir dans son essai précurseur La Vieillesse  où il existe une plasticité existentielle du sujet âgé, particulièrement attestée chez les femmes, qui se traduit notamment par le maintien ou la réactivation d’activités artistiques ou réflexives comme la pratique de la littérature. Il y a bien aussi une façon de vieillir en œuvres, parallèle à la façon dont elles nous renvoient aux représentations du sujet humain transformé par le temps.

Démystification du vieillissement

À chaque âge, à chaque étape de la vie, il y a des particularités. Aujourd’hui, la maladie n’est plus l’apanage de la vieillesse. Les pathologies ne sont plus du tout une question d’avancée en âge, ceci bouscule nos représentations. L’information et la prévention liée aux maladies chroniques (diabètes…), aux risques éventuels (environnement, activités physiques…) ne sont plus des moyens de ralentir un processus inéluctable, mais bien pire, ne garantissent plus une santé parfaite du début à la fin de vie. Si la vulnérabilité, l’accumulation des pertes caractérise le grand âge, l’accompagnement des personnes âgées demeure une responsabilité individuelle, des acteurs du système de santé et de la sphère politique, pour une prise en charge comportant la dignité de l’humain. L’économie est ici un facteur déterminant pour traiter de la question de la prise en charge des personnes âgées. Cet aspect économique mais aussi éthique est soulevé par Régis Aubry14,  quel est le sens de la concentration des personnes âgées dans des établissements d’hébergement plutôt qu’à leur domicile, au nom de principes bienveillants et d’une volonté d’assurer leur sécurité, mais en général contre leur avis et en leur demandant de payer pour cela ?15. Pour conclure sur une note philosophique-poétique avec Éric Fiat16, le vieillissement pourrait être l’acceptation de la logique métamorphique de la vie. Car voilà la plus juste, la plus humaine des attitudes face au vieillissement, aussi bien face au sien propre que face à celui de l’autre. En somme, tenter d’aimer sa propre fatigue ainsi que celle de l’autre, au point d’aimer le grain de sel qu’elle met à ses cheveux.

Notes

  1. DE JAEGER, Christophe. Physiologie du vieillissement. EMC - Kinésithérapie-Médecine physique-Réadaptation 2011:1-8 [Article 26-007-D-10].
  2. DENORMANDIE,  Philippe et  SANCHEZ, Stéphane et al. Plaisir et vieillissement chez les plus de 65 ans.  Soins Gérontologie. V. 20, n°115. septembre 2015. pp. 37-42
  3. ROWE J.W. et KAHN R.L. Human aging: usual and successful.  Science. 1987 ;  237 (4811) : 143-149
  4. VON FABER, M. et BOOTSMA-VAN DER WIEL, A. et al.  Successful aging in the oldest old: Who can be characterized as successfully aged ? Archives of internal medicine. 2001;  161 (22) : 2694-2700  
  5. JEANDEL, C. Les différents parcours du vieillissement. Les tribunes de la santé.  2005/2. n°7.pp. 25-35
  6. BOYER-WEINMANN, Martine. Vieillir, voir vieillir, se voir vieillir au féminin. Soins Gérontologie. V.19, n°105. janvier 2014. pp.36-38
  7. ASSOUN, PL et  DE HENNEZEL, M. et al. Comment accepter de vieillir ? Les Éditions de l’Atelier, 2003
  8. ROWE, JW. and KAHN, RL. Successful aging. Gerontologist. 1997 Aug;37(4):433-40.
  9. Christian Heslon. Vieillir : perte des sens, perte du sens ?. Soins Gérontologie. Vol 11, n° 57  - février 2006. pp. 16-18
  10. CSIKSZENTMIHALYI,  M. Vivre. La psychologie du bonheur. Paris: Laffont. 2004
  11. FREUD, S. Métapsychologie (1915). Gallimard, 1989                   
  12. BOYER-WEINMANN, Martine. Vieillir, voir vieillir, se voir vieillir au féminin. Soins Gérontologie. V. 19, n° 105. janvier 2014. pp.36-38
  13. Villa F. La puissance du vieillir.  Paris: PUF (2010).psychologie (1915). Gallimard, 1989    
  14. AUBRY, Régis . Quelle place pour la vieillesse dans notre société ? Soins. V.62, n°816. juin 2017. pages 57-60
  15. BRANCHU, C. et VOISIN, J.  et al. État des lieux relatif à la composition des coûts mis à la charge des résidents des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Rapport Tome 1. Inspection générale des affaires sociales (Igas). Août 2009.
  16. FIAT, Eric. Eloge de la vieillesse. Soins Gérontologie. V. 19, n°105. janvier 2014. pp. 25-27

Christine Paillard
Docteure en sciences du langage, diplômée en ingénierie pédagogique et licenciée en sciences de l’information et de la communication, elle accompagne les étudiant.es infirmier.ières (Ifsi, IPA) à l'acquisition de compétences informationnelles, linguistiques pour remobiliser une démarche documentaire  scientifique.


Source : infirmiers.com