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COURS IFSI

Cours - « Pauvreté » : son étymologie, sa signification

Publié le 20/04/2017
Pauvreté homme désespéré

Pauvreté homme désespéré

Ce mois, Christine Paillard, ingénieur pédagogique, révèle l'histoire des mots associés à la « pauvreté » et à la « précarité ».

Chaque mois, Christine Paillard, ingénieur pédagogique, propose d'analyser un mot, son étymologie et démontre son importance dans le domaine du soin ; un mot figurant dans son Dictionnaire des concepts en soins infirmiers – Vocabulaire professionnel de la relation soignant-soigné1 .

D’après Catherine Rollot, en France, 3,6 millions de personnes sont privées de domicile personnel, soit elles vivent dans des conditions très difficiles (privation de confort ou surpeuplement), soit elles sont en situation d’occupation précaire (Hôtel, caravanes…). Le nombre de “sans-abris” a ainsi augmenté de 50 % depuis 2011 pour atteindre le chiffre de 141 500 personnes, dont 30 000 enfants début 2012. Derrière ces chiffres, il y a des réalités économiques, sociales, culturelles, juridiques . Il existe depuis toujours un public marginalisé, vulnérable, incontournable. Les mots que nous employons orientent nos diverses représentations vers une population au visage multiple réuni sous le terme générique de Sans Domicile Fixe (SDF), dans un contexte de pauvreté et de précarité. Xavier Emmanuelli distingue ici plusieurs types de représentations:

  • du corps :  si celle-ci est atteinte, une personne sans abri risque de développer une indifférence pour son corps, laquelle entraîne la survenu de lésions somatiques importantes ;
  • du temps :  qui, s’avérant altéré, ne favorise pas le processus de réinsertion ;
  • de l’espace : où l’individu est engagé dans un processus de survie où seul compte son territoire (le lieu où il dort et se repose) ;
  • de l’autre : qui conduit les personnes sans abri à vivre une situation de solitude permanente, à perdre toute ritualisation des relations humaines.

Vous avez dit clochard ?

L’histoire des mots révèle la créativité des synonymes dans les expressions françaises censées définir l’ensemble des SDF : pouilleux, chemineau (qui fait les chemins), vagabond,  gueux, Va -nu- pieds, sans logis, clodo, clopinard, déguenillé, misérable, pauvre, nécessiteux, sans-abri, indigent, quémandeur, pochard, sans-le-sou,  nomade, trimardeur, truand,  mendiant, bohémien, manouche, marginal, galfretier, flemmard, assisté, fou...  Le clochard peut être traité avec compassion ou avec hostilité. L’enfant remis fièrement sa pièce au clochard qui lui exprima sa reconnaissance. La mendicité est souvent caractérisée par la grande pauvreté. Pour le Trésor de la langue française, le mendiant,  du lat. class. mendīcus, était un moine qui faisait profession de mendier, celui qui réclame, qui sollicite avec humilité. Ceci n’étant plus d’actualité, nous nous intéressons au clochard, symbole de la logique du pauvre “parce qu'il le veut bien”, alcoolique, puant, anarchiste, édenté, bruyant, attendu…. Un clochard, installé sur un banc pour siffler un fond de bouteille (H. Bazin). Le petit Robert précise que le clochard  vient de clocher, boiter, (1855). Le clochard est une personne socialement inadaptée, qui vit sans travail, sans domicile dans les grandes villes. Une enquête sociologique ayant été effectuée en 1983 , décrivait ainsi le clochard  : Il est moins un acteur qu’un déchet social. Non seulement parce qu’il vit de déchets, mais surtout parce que refusant les normes, les valeurs habituelles, travail, propreté, famille, se situant en deçà de toute participation et de toute règle, il est considéré comme socialement irrécupérable, inutilisable. La marginalisation détient le pouvoir d’une existence refoulée. Pour Fethi Benslama, le marginal est celui qui, au nom de cet espace des bords où il se tient, conteste à l’espace central sa prétention d’être le seul espace valable. Il revendique une existence, une identité. Cette marginalité est liée à la mendicité et donc aux aspects juridiques. Le vagabondage fut un délit dans le code napoléonien de 1804. Un dépôt de mendicité fut créé à Nanterre en  1887.  Le délit de mendicité est supprimé en 1994 mais des séries d'arrêtés anti-mendicité ont  encore été effectuées par plusieurs municipalités, notamment  pendant l'été 2003, prévoyant une peine de six mois d'emprisonnement et 7.500 euros d'amende...  La loi rassure-t-elle  ou déstructure-t-elle  ces fragiles représentations liées à la crédibilité de l'existence de l'autre ? L’histoire des hôpitaux et des soignants est  étroitement liée aux personnes les plus vulnérables (handicap, vieillissement, sans abri…).

Une prise en charge multiple

Bien sûr, la pauvreté n’est pas le seul axe pour une meilleure prise en charge des personnes vulnérables . Comme le souligne Gilles Marchand, si on prend en considération la complexité de la prise en charge - mesures d'urgence l'hiver, programmes sur le long terme touchant aux soins, à l'emploi, ou encore au logement - et les modes d'intervention, la situation s'approche dangereusement d'un véritable sac de noeuds : « La prise en charge des SDF est un ensemble hétéroclite de réponses à un problème hétérogène, sans véritable principe d'action unificateur». D’autre part, la figure du clochard, du SDF (familles, étrangers, personnes isolées…) est trop souvent associée à la seule logique de la pauvreté et reste peu connue sous le champ de la santé mentale. Selon Patrick Declerck : L'histoire de ces sujets, quel que soit leur milieu social, fait généralement apparaître une psychopathologie personnelle lourde, doublée d'une pathologie familiale importante. Pour Jean-Louis Eric, des pistes stratégiques demeurent importantes pour viser une meilleure prise en charge, comme :

  • Adopter une posture, celle d’accompagnateur, où le ressenti de la personne soignée doit être au centre des préoccupations soignantes, d’une part parce que l’on aborde l’intime, d’autre part parce que la personne soignée se situe dans une autre réalité. La toilette peut donc être vécue comme intrusive et violente.
  • La capacité d’empathie à la souffrance psychique, qui  s’appuie sur une bonne connaissance des pathologies et donc des signes cliniques repérables à travers les comportements des patients. Le questionnement est permanent, afin d’évaluer le degré d’assistance et de stimulation...
  • La démarche éducative, moment particulier dans la communication et dans la tentative d’établir une relation de confiance. Il ne s’agit pas d’infantiliser le patient, mais de lui expliquer le sens du soin et les enjeux et de l’amener peu à peu au consentement...
  • Le consentement, qui est  souvent le départ vers l’autonomie. S’il est vrai que le moment de la toilette permet d’apprécier un état clinique, le soin porté par le patient à son corps est un point de vue privilégié dans l’évaluation de l’amélioration, la stagnation ou la dégradation de l’état de santé.

La personne sans abri occupe l’espace public. Elle fait partie de nos vies, de notre imaginaire. Rejetée, emprisonnée, observée ou mise en scène, elle rayonne comme un symbole contre les préjugés pour dénoncer une société de consommation qui nous fait  perdre le sens de  la solidarité. Elle vient hanter les hôpitaux, obligent à regarder ce que nous voudrions éviter, à cause des odeurs, des corps désolés, de souffrances trop dérangeantes…

Retrouvez la bibliographie complète de la L’errance humaine dans les soins infirmiers :  la question des SDF en France

Retrouvez le dictionnaire de la relation soignant-soigné

Note

  1. Dictionnaire des concepts en soins infirmiers - Vocabulaire professionnel de la relation soignant-soigné, Christine PAILLARD, SETES Editions, août 2016, 3e édition, 28 €.

Christine PAILLARDIngénieur documentairehttp://sidoc.fr

L'auteur

Christine Paillard est docteure en sciences du langage, diplômée en ingénierie pédagogique et titulaire d'une licence en information et communication. Ingénieure documentaire, elle accompagne les étudiants infirmiers à l'acquisition de compétences informationnelles pour remobiliser une démarche documentaire dans une logique professionnellec et universitaire.

Les ouvrages déjà parus


Source : infirmiers.com