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COURS IFSI

Cours - Intoxication aux antidepresseurs tricycliques

Publié le 14/04/2009

Une ambulance du SMUR vous amène aux Urgences une patiente âgée de 35 ans pour une intoxication médicamenteuse volontaire. Elle est auxiliaire de vie, suivie habituellement par un psychiatre, dépressive depuis que son mari l’a quittée à leur retour du Sénégal. Son traitement de fond est l’ANAFRANIL 75. A son arrivée aux Urgences, la patiente est agressive, très agitée, insultant le personnel. TA 9,5/6 pouls 115/mn FR 40/mn. L’examen neurologique retrouve une agitation pathologique avec une conscience fluctuante et des réflexes ostéotendineux vifs, signe de Babinski bilatéral, mydriase bilatérale.

1. Quelles sont les hypothèses diagnostiques ?

2. Prise en charge initiale par l’IDE

3. Quels sont les examens complémentaires nécessaires? Qu’en attendez-vous ?

4. Quel est le traitement de ce type d’intoxication?

5. La patiente s’énerve de plus en plus et demande à quitter le service, quitte à « signer une décharge ». Que faites-vous ?

6. L'essentiel à retenir par l'infirmière

 

1) Quelles sont les hypothèses diagnostiques ?

Intoxication médicamenteuse aux Antidépresseurs Tricycliques (ADT) est la plus probable. On ne peut éliminer une intoxication à la Nivaquine +++ (retour du Sénégal).

Symptomatologie des ADT: les doses toxiques sont de 500 mg (adulte) et 0,005 g/kg (enfant).

  • Troubles Neurologiques : (1 à 4h suivant la prise) troubles de conscience pouvant aller jusqu’au coma. Des convulsions peuvent survenir précocement à type de crises tonicocloniques généralisées. Un syndrome pyramidal bilatéral avec ROT vifs et RCP en extension est fréquent.
  • Signes anticholinergiques : fréquents précoces et non corrélés à la gravité de l’intoxication. Tachycardie sinusale, mydriase bilatérale, une rétention urinaire et des hallucinations. Les troubles persistent au moment du réveil avec agitation et hallucinations pouvant persister 24 à 48h.
  • Troubles cardiovasculaires : déterminent la gravité de l’intoxication ++. Action stabilisante de membrane, de type « quinidine- like », les ADT dépriment la conduction myocardique avec survenue de troubles de la conduction intra ventriculaire (élargissement du QRS). Des torsades de pointe peuvent survenir suite à des phénomènes de réentrées (même au delà de 48h). Dans les intoxications graves, l’action inotrope négative des ADT induit une insuffisance circulatoire de type cardiogénique contemporaine d’un élargissement majeur du QRS. D’autres manifestations ECG sont parfois notées : troubles du rythme à type de tachycardie ventriculaire (TV) ou supra ventriculaire (TSV), bradyarythmies ventriculaires, troubles de conduction (BAV), troubles de la repolarisation (aplatissement de l’onde T).
  • Autres troubles : dépression respiratoire, rhabdomyolyse.

Symptomatologie des Intoxications à la Nivaquine:

  • Signes neurologiques : précoces et leur absence complète est exceptionnelle au cours d’une intoxication grave. Ils traduisent une toxicité neurologique directe, expression d’un effet stabilisant de membrane, ou une ischémie par bas débit cérébral. Vomissements (25%) d’origine centrale, avec une participation d’un effet gastroirritant. Les signes visuels et auditifs sont quasi-constants au cours des intoxications graves (recherche systématique +++). Flou visuel, diplopie, diminution du champ visuel ou cécité transitoire (atteinte de la II paire crânienne). Bourdonnements d’oreille, hypoacousie, vertiges (atteinte de la VIII paire crânienne).Troubles de vigilance allant de la simple somnolence au coma. Convulsions (5 à 10 %).
  • Troubles cardiovasculaires : à forte dose, la chloroquine se comporte comme un antiarythmique de classe Ia de Vaughan- Williams en raison de la structure chimique qu’elle partage avec les quinidiniques. Ces propriétés « quinidine-like » sont responsables de l’effet stabilisant de membrane à l’origine des signes ECG et hémodynamiques. Le tableau peut être marqué par un arrêt cardiorespiratoire (ACR) brutal. Les anomalies ECG ont une importante valeur d’alarme car elles précèdent toujours les manifestations hémodynamiques et les troubles du rythme. Les signes ECG débutent par l’aplatissement de l’onde T voire l’apparition d’une onde U responsables d’un allongement du QT. Ces troubles de la repolarisation sont suivis par un élargissement du complexe QRS (0,10 sec – 0,40 s dérivations standards). BAV 1, parfois ESV polymorphes. L’intoxication aiguë à la chloroquine est responsable d’une baisse de la TA dose-dépendante avec bradycardie parfois collapsus. 2 profils possibles : choc cardiogénique et choc hyperkinétique. Dans ce contexte d’hypoTA voire de collapsus, les inefficacités circulatoires surviennent de manière rapidement progressive par majoration de l’effet stabilisant de membrane ou brutalement, à l’occasion d’un trouble du rythme. 3 types de tracés sont retrouvés :
+Trouble du rythme rapide à QRS larges
+Fibrillation ventriculaire
+Bradycardie irrégulière à QRS très larges, qui précède l’asystolie

  • Troubles Respiratoires : polypnée. Hypoxémie sans hypercapnie. Œdème pulmonaire avec SDRA pouvant survenir en dehors d’un ACR.
  • Signes métaboliques : Hypokaliémie sévère par transfert intracellulaire. Elévation de la créatinine et IRA oligo-anurique de mauvais pronostic. Acidose lactique.

NB : Dans le cas clinique présenté, la profession de la patiente (IDE) constitue un bon indice d’orientation d’en l’enquête étiologique de l’intoxication. Les professions médicales, paramédicales ou vétérinaires connaissent les dangers de la prise massive d’insuline, de nivaquine, de chlorure de potassium.

2) Prise en charge initiale par l’IDE

  • Transport médicalisé par SMUR et hospitalisation en réanimation ou soins intensifs
  • Surveillance Hémodynamique (TA, Pouls, Dextro, oxymètre de pouls, température) et ECG +++.
  • A l’arrivée aux urgences, installer le patient au déchoquage. Monitorage par scope
  • Pose d’une ou 2 voies veineuses de gros calibre (remplissage par macromolécules)

3) Quels sont les examens complémentaires nécessaires? Qu’en attendez-vous ?

  • NFS, Plaquettes, Gr, Rh, RAI
  • Ionogramme avec Kaliémie (recherche hypoKaliémie)
  • Hémostase,
  • GDS, (acidose lactique),
  • CPK, Troponine, LDH
  • Recherche de toxiques
  • Dosage : un test de dépistage est possible dans le sang et dans le liquide gastrique, avec possibilité de faux positifs avec la carbamazépine et les phénothiazines. La corrélation gravité clinique et taux sanguins est approximative : des taux supérieurs de 1mg d’amitryptiline ou d’imipramine correspondre à des intoxications graves.
  • Chloroquinémie (à ne pas attendre pour débuter le traitement) : intoxication grave si > 8 micromoles/l, mortelle si > 25 micromoles/l
  • Radio du Thorax (recherche d’un OAP)

4) Quel est le traitement de ce type d’intoxication?

Intoxication aux ADT

  • Traitement symptomatique : MAINTIEN des FONCTIONS VITALES
oIntubation et ventilation mécanique en cas de coma (même modéré), dépression respiratoire, de convulsions répétées, de troubles cardiovasculaires.
oTraitement des troubles de conduction par la perfusion de lactate ou de bicarbonate de sodium molaire (1ml = 1mmol de sodium) en cas d’élargissement du QRS > 0,12 s. L’apport de sels de sodium a un effet bénéfique sur les troubles de conduction intraventriculaires. Perfusion de doses fractionnées de 100 à 200 ml (dose totale maximale 500 ml). Ce traitement entraîne une alcalinisation responsable d’une hypokaliémie prévenue par apport de 2g de KCl pour 250 ml de bicarbonate de sodium.
oTraitement de l’hypoTA ou du choc (vasodilatation et/ou effet inotrope négatif) par apport de catécholamines : dobutamine, dopamine, voire adrénaline. Un monitoring hémodynamique par sonde de Swan Ganz est indiqué pour adapter le traitement.
oTraitement des troubles du rythme : bradyarythmies et torsades de pointes par des catécholamines bêta mimétiques plutôt qu’une Sonde d’Entrainement Electrosystolique. Les anti-arythmiques de classe I sont contre-indiqués. Sels de magnésium si Tachycardie Ventriculaire et torsades de pointes. En cas d’Arrêt Cardio Respiratoire, il est recommandé de prolonger le MCE (Massage Cardiaque Externe), l’atteinte cardiaque étant fonctionnelle et réversible.
oTraitement des convulsions par le diazépam (VALIUM) 0,2 mg/kg IV
  • Traitement évacuateur :
o Lavage Gastrique (LG) sous surveillance hémodynamique stricte et scope au besoin après intubation et suivi de 50g de charbon enfin de LG. LG indiqué si la dose ingérée est > 1,5g et que le délai o Charbon activé per os 50g si ingestion récente ( 1g.
  • Traitement épurateur : pas d’indication de diurèse forcée ou EER (Expuration Extra Rénale) pour les ADT ou la nivaquine (importante fixation protéique, large volume de distribution, métabolisation hépatique importante).
  • Traitement spécifique : études en cours aux USA sur des anticorps spécifiques.

Intoxication à la Nivaquine

  • Adrénaline : 0,25 gamma/kg/mn à augmenter de 0,25 gamma/kg/mn jusqu’à l’obtention d’une bonne hémodynamique : TA systolique supérieure ou égale à 110 mm Hg, et reprise de diurèse.
  • Diazépam (VALIUM®) 2 mg/kg en 30 mn SE puis 1 mg à 2mg/kg/j pendant 2 jours minimum

5) La patiente s’énerve de plus en plus et demande à quitter le service, quitte à « signer une décharge ». Que faites-vous ?

Aucune valeur de la décharge dans un cas d’intoxication. Les documents pré-imprimés sont de peu de valeur et le tribunal donnera tort au service. En cas de risque évolutif (coma éthylique, hypoglycémie...), il est préférable de maintenir en observation un patient et de débuter un traitement, même quelques heures, sans être obligé de l’hospitaliser,

Avant de le remettre aux autorités, on peut signer le certificat pour permettre à la Police d’emmener un patient violent, agressif, qui ne présente pas une pathologie nécessitant de prise en charge médicale intra-hospitalière La négociation est la seule arme de l’équipe médicale pour garder un patient en surveillance en milieu hospitalier (UHCD). Une hospitalisation par demande de Tiers (HDT) ou Hospitalisation d’Office (HO) en secteur psychiatrique sont rarement réalisables au cours des premières heures dans les cas d’intoxication médicamenteuse, tant pour des problèmes législatifs, d’organisation du service et de surveillance.


Messages : Le certificat de non admission (CNA)
Le CNA engage la responsabilité médicale.

  • Il ne nous délie pas du secret professionnel : ce certificat ne doit pas comporter de renseignements médicaux concernant le patient. Ne pas faire un examen trop sommaire : déshabiller le patient.
  • Ne pas oublier que certaines pathologies miment une ivresse alcoolique. Se méfier d’un traumatisme passé inaperçu, des interruptions ou des prises de médicaments.
  • Le CNA doit être remplie par le medecin
  • Ne pas utiliser le CNA pour renvoyer au poste de police un patient refusant l’hospitalisation.

6) L'essentiel à retenir par l'infirmière :

  • Une intoxication aux antidépresseurs tricycliques n’est jamais banale, toujours potentiellement grave.
  • Toujours penser à une prise de toxiques devant un état d’agitation aux Urgences (il n’y a pas que l’alcool et l’hypoglycémie…)
  • Toujours se méfier d’une « TS » qui arrive aux Urgences sur ses pieds et qui sombre dans le coma dans les heures suivantes : d’où l’intérêt de la surveillance étroite en UHCD ou en Unité de soins intensifs (jamais dans un service ne pouvant assurer une surveillance horaire)
  • Toujours prévoir le matériel de réanimation (intubation, prévention des convulsions canule Guedel) à proximité du box !
  • Faire des ECG répétés +++, scoper le patient.
  • La surveillance en UHCD doit être très étroite en raison des modifications possibles neurologiques et cardiologiques (coma, trouble du rythme, convulsion, ACR…)
  • Penser au globe vésical +++ lié à l’imprégnation aux tricycliques, source d’agitation en particulier chez la personne âgée => sondage urinaire
  • Jamais d’Anexate en cas de prise de tricycliques (risque de convulsion)

Lexique

  • Antidépresseurs Tricycliques (ADT)
  • Tachycardie ventriculaire (TV)
  • Tachycardie supra ventriculaire (TSV)
  • Bloc atrioventriculaire (BAV)
  • Arrêt cardiorespiratoire (ACR)
  • Syndrome de Détresse Respiratoire Aigu (SDRA)
  • Gaz du Sang (GDS)
  • Créatine Phosphokinase (CPK)
  • Lactic desHydrtogénase (LDH)
  • Massage Cardiaque Externe (MCE)
  • Certificat de non admission (CNA)
  • Epuration Extra Rénale EER

Bibliographie

  • Réanimation des intoxications aiguës. F. BAUD. Coll. Anesthésie et Réanimation.
  • Toxicologie Clinique. C. BISMUTH
  • Intoxications aiguës. A. Jaeger, JA Vale. SRLF
  • Intoxications médicamenteuses aiguës. Revue du Praticien. Tome 47 ; 1er Avril 1997
  • Conférence de Consensus SFMU (2007

Eric REVUE
Rédacteur Infirmiers.com
eric.revue@infirmiers.com


Source : infirmiers.com