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ETHIQUE

Corps infirmier, corps du patient : quelle prise en compte la sexualité des patients en tant qu’infirmier ?

Publié le 04/09/2020
Quelle prise en compte la sexualité des patients en tant qu’infirmier ?

Quelle prise en compte la sexualité des patients en tant qu’infirmier ?

Le 4 septembre a lieu la Journée Mondiale de la Santé Sexuelle. Cet évènement fête ses 10 ans cette année, créé en effet en 2010 par l’Association Mondiale pour la Santé Sexuelle qui s'engage à promouvoir les meilleures pratiques en la matière. L’occasion de se pencher sur la prise en compte de la vie sexuelle et intime des patients dans la relation de soin infirmier. En effet, ce sujet, tant dans ses manifestations normales que pathologiques, est complexe et nécessite un positionnement clair des professionnels de santé.

Soigner le corps objet sans perdre de vue le sujet qui l’habite. Tout soignant doit savoir prendre en compte la vie sexuelle et intime des patients dans la relation de soin dans laquelle il s’engage.

Depuis quelques années maintenant, la santé sexuelle est intégrée dans une politique globale de prise en charge du patient. D’ailleurs, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définit la sexualité comme un élément important de la vie, du bien-être physique, psychologique et social. Parler de sexualité devrait alors faire partie du projet de vie du patient, et tous les acteurs de la prise en charge devrait se sentir concernés.

Faire face aux expressions de la sexualité de ses patients est un sujet récurrent dans les services de soins ; c’est aussi une question transversale à tous les types de public pris en charge. En effet, les soignants peuvent être confrontés à cette question qu’ils exercent dans un service d'hospitalisation longue, en psychiatrie, avec des personnes dites vulnérables, en EHPAD, dans les établissements destinés aux personnes souffrant d'un handicap, en exercice libéral, avec les mineurs ou encore en prison.

Ces questionnements revêtent plusieurs dimensions :

  • quels seraient les positionnements possibles à adopter face aux manifestations de l’intimité sexuelle de certains patients ? ;
  • quelles limites peut-on poser en fonction de la vulnérabilité psychique de certains patients, notamment dans le cas de troubles psychiatriques ? ;
  • dans quel cadre légal ou institutionnel les rapports sexuels entre patients sont-ils autorisés ou non ? ;
  • comment répondre à la demande des patients concernant des questions relatives à la sexualité ?

Si les soignants abordent si peu cet aspect du patient, c’est pour plusieurs raisons :

  • la peur d’être intrusif, de mettre le patient mal à l’aise ou de ressentir soi-même une gêne ;
  • la peur de ne pas savoir comment répondre, de manquer de relai ou de se retrouver seul en face de la problématique du patient ;
  • le manque de temps à accorder, en plus des soins nécessaires ;
  • et enfin, suivant les motifs d’hospitalisation du patient (cancer, lourde opération … persiste souvent le sentiment que cette question de l’intimité sexuelle n’est pas une priorité et, par conséquent, ne concerne pas les soignants.

Pourtant, les patients ont bel et bien une sexualité et être à l’écoute de l’intimité des patients en institution, c'est donner une place à la singularité de chacun et au désir de la personne. C’est parfois même une question cruciale pour certains : il en va de leur équilibre psychique, de leur vie affective et relationnelle, leur image et estime de soi est en jeu.

On constate, dans les services de soins, un évitement de la question de la sexualité aussi bien du côté des patients, que de celui des soignants.

L’infirmier et le corps du patient

Le métier d’infirmier s’attache au corps du patient ; l’infirmier agit sur les chairs, la peau du patient, sur le dedans, le dehors, il regarde, entend, sent, touche ce corps pour secourir, apaiser, choyer, panser, médicamenter, stimuler. Le corps du patient est un objet de soin.

Et c’est très complexe, car ce corps est habité par toute la dimension affective, émotionnelle et pulsionnelle du patient. Ce dernier est un corps et sujet pensant de ce corps. Les gestes infirmiers et les soins du corps sont particuliers et toujours soumis aux fantasmes du patient et du soignant. Mais dans cette asymétrie relationnelle, inéluctable du soin, on compte sur le soignant pour en prendre conscience et garder la bonne distance sans pour autant déshumaniser le soin. Bien-sûr, le patient est lui aussi soumis aux règles sociales de respect de l’autre et au règlement intérieur du service dans lequel il est accueilli.

Ainsi, tout l’enjeu de ce métier est de faire la liaison entre ces différentes dimensions qui nous constituent tous :

  • à la fois, prodiguer des soins corporels, dans une relation d’intimité, de confiance et de proximité sans érotiser la situation ;
  • et être suffisamment proche et soigner l’autre sans séduire.

Le positionnement des soignants se doit d’être très subtil, sans ambiguïté. Mais parfois, malgré nous, s’instille des incompréhensions, des malentendus, de mauvaises interprétations de la part des patients mais également des soignants. Car le soin est avant tout une rencontre entre deux êtres humains, porteurs d’affects.

Si le corps du patient est un objet de soin, il appartient à un sujet et devient un "corps sujet"

Représentations sociales du métier d’infirmier

Le rapport que les infirmières entretiennent avec le champ de la sexualité est en lien avec l’Histoire de la profession au cours des siècles. En effet, les préjugés sexuels sur ce métier remontent à l’Antiquité. Alors que les soins étaient historiquement dispensés par des religieuses jusqu’à la fin du 19ème siècle , de nos jours persiste encore une très forte image dans l’inconscient populaire de l’infirmière sexy et nue sous sa blouse (avec une poitrine chaleureuse tant qu’à faire). Au Moyen-Âge, dans les maisons de malades, on mettait à contribution des prostituées. Dans ces hôpitaux, les religieuses ne touchaient pas les malades. Elles réalisaient les prescriptions, et les prostituées s’occupaient de prodiguer les soins lorsqu’un contact physique était nécessaire. Pour anecdote, les sœurs religieuses préconisaient, à l’époque, de jeter de l’éther sur les sexes en érection pour calmer les ardeurs lorsqu’elles se produisaient… Puis, au fil de l’évolution de la société, en lien avec des changements majeurs (République, laïcité, découvertes scientifiques, première guerre mondiale), la profession s’est affirmée , avec du personnel civil ayant bénéficié d’une formation spécifique.

Quand la sexualité des patients fait irruption dans le soin

N’importe quel soignant sera susceptible un jour ou l’autre d’être confronté dans son travail à des manifestations de la sexualité des patients. Il peut s’agir de manifestations telles que :

  • surprendre un patient en train de se masturber ;
  • surprendre des relations sexuelles entre deux patients, ou devoir se positionner pour les autoriser ou les interdire ;
  • subir des exhibitions (des patients qui vont par exemple rester nus devant le soignant ou bien sortir se promener nus dans le service) ;
  • être victime ou témoin de propos à teneur sexuelle : une séduction lourde, des avances, des blagues vulgaires, des gestes déplacés envers le soignant ou d’autres patients ;
  • ou simplement recevoir des questions d'ordre générale qu’un patient posera autour de l'intimité sexuelle (dysfonction érectile, douleurs pendant les rapports...)

En général quelles sont les réactions des soignants ?

Face à ces comportements, l’infirmier peut se sentir démuni et ne pas savoir quelle attitude adopter. Différentes stratégies sont alors adoptées individuellement et collectivement.

Il peut y avoir :

  • un sentiment de gêne, de surprise, de colère, de rejet, d’embarras pour en faire part à l’équipe ; on va facilement parler de déviances sexuelles, de pervers, de cochon, ou encore de personne malsaine ;
  • ou, au contraire, des réactions étayantes avec une reprise dans l'après coup de la situation avec le patient. Cela permet d'évoquer les notions de risques et de prévention, de consentement, de cadre légal, mais aussi de plaisir…

Il est important de rester dans son scénario professionnel, ce qui est prévu par les protocoles de soins, l’équipe et le règlement intérieur du service. Une mise à distance physique et psychique est toujours nécessaire (blouse et gants) pour tous les soins intimes. Lorsque l’on a dû faire face à une situation qui nous a mise à mal avec un patient, recourir à l'équipe qui jouera un rôle de tiers avec le patient trop entreprenant est important pour ne pas se sentir isolé.

Nos réactions sont souvent en lien avec nos propres représentations, préjugés ou acceptation de la sexualité, en fonction de nos expériences singulières. Plusieurs aprioris, révélateurs d’un tabou toujours présent, circulent dans la population et également chez les soignants tels que : les personnes âgées n'ont plus de relations sexuelles de toute façon ! Ils sont bien trop vieux !Ça ne marche plus.… Il en va de même concernant les représentations sociales de la sexualité pour les personnes souffrant d’un handicap moteur, avec un débat toujours actif en France à propos des assistants sexuels. Le fait de ne pas prendre en considération la vie intime des patients se justifie souvent par le contexte hospitalier, impliquant la présence de la collectivité, de la maladie et de la mort potentielle, rendant ainsi les activités sexuelles inappropriées et non prioritaires aux yeux des soignants. Ce qui peut s’entendre, c’est pourquoi il est nécessaire d’ouvrir le débat en institution. 

Toilette et soins : action, érection, réaction ? Face à un moment vécu comme gênant par le soignant, il faut toujours essayer de se mettre à la place du patient .

Existe-t-il un cadre légal ?

On sait que des relations sexuelles se produisent régulièrement dans les services, dès que cela est possible, en intérieur ou en extérieur et, généralement, le personnel soignant ferme les yeux chastement. Mais que nous dit la loi ? Il y a un manque de textes réglementaires, donc peu de repères pour les soignants pour prendre en compte la sexualité du patient de façon consensuelle et adaptée. Il existe également très peu d’outils de communication sur le sujet qui aiderait les patients et les professionnels à en parler ensemble. Les interdits au regard de la loi s'appliquent bien évidemment en institutions (exemple l’exhibition est un délit, les agressions sexuelles des crimes ou des délits sanctionnés par la loi). Toute la difficulté sera de savoir ce que l’on fait d’un comportement inadapté d’un patient au regard de la pathologie de celui-ci. Ces décisions se prennent toujours en équipe ; les professionnels en libéral, travaillant seuls pourront en parler à leur collègue, l’important étant de ne pas subir seul la situation.

L’aspect permissif ou interdit des relations sexuelles dans un service hospitalier est explicité dans le règlement intérieur, validé par une direction. Le sujet fait débat et la plupart du temps les institutions pensent l'expression de la sexualité uniquement sous la forme d'une transgression pouvant faire l'objet de sanctions. Il ne faut pas oublier que la jurisprudence considère la chambre comme un espace privé dans un espace qui lui est public, où circule du personnel qui se réserve le droit de pénétrer dans la chambre sans prévenir si nécessaire. De même que la confidentialité des informations personnelles, médicales, sociales, administratives, la vie privée et l’intimité de la personne hospitalisée doivent être garanties par le lieu de soins. En institution, l’interdit des relations sexuelles prend appui sur la potentielle vulnérabilité des personnes accueillies (mineures, fragilisées par l'âge ou la maladie) et ainsi leur capacité à consentir de façon libre et éclairé à un rapport sexuel.

En résumé, un directeur d'hôpital ne peut pas légalement interdire toute relation sexuelle dans l'établissement sans motif légitime relatifs à l’état de santé du patient et sa vulnérabilité physique et/ou psychique, ce qui signifie qu’il peut il y avoir des restrictions à la liberté sexuelle des patients dans certains services psychiatriques par exemple.

Conclure ?

Les différentes formes d’expression de la sexualité de nos patients nous confrontent à une part d’humanité essentielle à l’individu ; en tant que professionnels de santé, au plus proche de l’intimité du corps, et de la fragilité des êtres, nous nous devons d’en prendre soin. Il ne faudrait pas attendre que la sexualité pose problème dans un service pour en parler, entre soignants et avec les patients. Il est nécessaire d’être au clair avec le cadre institutionnel pour avoir des réponses communes face aux patients et surtout ne pas rester seul dans une situation délicate. Il est important de modifier notre regard sur la sexualité et les mouvements affectifs des patients hospitalisés, notre travail est avant tout de protéger, prévenir, informer des risques et de garantir l’intégrité physique et psychique de l’individu. Il est également possible et recommandé de faire appel, même ponctuellement, à une aide extérieure comme lors de l’analyse de la pratique ou bien, une aide juridictionnelle pour des questions médico-légales.

Si le sujet de la santé sexuelle de vos patients vous tient à coeur, mais que vous ne savez pas trop par où commencer, sachez que vous pouvez vous former à la sexologie : en tant qu’infirmier, vous pouvez en effet vous inscrire, en France, au Diplôme Inter-Universitaire (DIU) d’Études de la Sexualité́ Humaine (ESH). Si vous souhaitez plus d’informations, n’hésitez pas à télécharger gratuitement notre livre Qu’est-ce qu’un sexologue ?, qui explique toutes les formations accessibles aux différents professionnels de santé, ainsi que la prise en charge des difficultés sexuelles les plus souvent rencontrées.

Les auteurs

Catherine TROADEC est psychologue clinicienne et sexologue, diplômée du Master 2 Professionnel de psychopathologie clinique, du Diplôme Universitaire de Criminologie Clinique et du Diplôme Inter-Universitaire d’Études de la Sexualité́ Humaine. Elle est également intervenante ponctuelle à l’IFSI de Lyon et Béziers.

Le Dr Arnaud ZELER est Médecin Généraliste, diplômé́ de la Faculté́ de Médecine de Strasbourg ainsi que du Diplôme Inter-Universitaire de Sexologie de l'Université́ de Lyon.

Tous deux sont auteurs de Sexoblogue.fr, site web à destination du grand public et des professionnels de santé.


Références bibliographiques


Source : infirmiers.com