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ESI

Comprendre la réforme de la formation infirmière

Publié le 10/04/2009

Pendant un instant j’ai cru que notre profession allait souffrir d’une réforme bâclée et mal menée. Je l’ai lu en tout cas. Dans notre société, l’information circule vite et plutôt bien.

C’est aussi le cas de la désinformation. Cadre formateur, j’ai toujours conseillé aux étudiants infirmiers, de chercher l’information, de comparer, de confronter des points de vue différents, d’être acteur de son information. Je me suis appliqué ce principe. Je partage avec vous aujourd’hui, le fruit de mes rencontres « éclairantes ».

Merci aux soignants impliqués dans ce travail colossal, pour leur travail. On les excusera bien volontiers de produire et travailler, et de ne pas avoir le temps de communiquer davantage sur leurs travaux.

Voici un premier échange sur cette réforme.

CLÉMENT Jérôme
Coordinateur pédagogique Mediformation

La réforme

Depuis 2006, la réforme du référentiel infirmier et du référentiel de formation est conduite par le bureau P1 de la DHOS (direction de l’hospitalisation et de l’organisation des soins) du Ministère de la santé. Un groupe de travail, dit de production, est chargé de produire le contenu de la réforme. Un groupe, dit de validation, apporte un regard critique sur la production du premier groupe. Initialement, les travaux devaient s’achever en décembre 2008. Ils sont prolongés de quelques semaines afin de donner un résultat plus abouti et complet
 
Mme Thérèse PSIUK participe aux travaux de réingénierie des diplômes, au titre des personnes qualifiées, dans le groupe de production.

Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer comment vous avez rejoint le groupe de production ?

J'ai une longue carrière infirmière : service de grands brûlés notamment. J’ai pris une orientation enseignante, au CHR de Lille, à l’école d’infirmières puis en école des cadres. Puis, j’ai ouvert une école d’infirmières à Roubaix. J'ai été membre du conseil d’administration de l'ARSI (association de recherche en soins infirmiers) durant 20 ans et plusieurs années comme vice présidente. Depuis 18 ans j’ai quitté le service public et j’ai créé un organisme de formation (CESIFORM). Quand j’étais directrice d'école, alors déléguée syndicale, j’ai participé aux travaux du ministère concernant les programmes de formation précédents, dont le dernier en 1992. Je peux donc comparer les méthodes.
 
J’ai effectué une recherche sur le raisonnement clinique infirmier dans une approche interdisciplinaire (cf. références en bas de page). Et c’est pour cela que j’ai intégré le groupe de production en tant que personne qualifiée. Et comme son nom l’indique, c’est un groupe où l’on a produit.

Quelle a été la méthodologie employée ?

Une consultante nous a accompagné et formé sur la méthodologie de construction d'un référentiel de formation compatible avec le LMD (licence, Master, doctorat). Nous sommes partis d’un référentiel d’activités, pour construire un référentiel de compétences, puis un référentiel de formation.

La production était-elle limitée aux moments de réunion du groupe ?

Nous avons eu la possibilité de produire entre les réunions. Par exemple, j’ai participé à la construction de situations professionnelles clés, en regard de chaque compétence retenue dans le référentiel de compétences. Nous avons fait la proposition du savoir et du savoir-faire dans les trois piliers d’apprentissage : comprendre, agir et transférer.

Comment avez-vous perçu cette méthode travail ?

C’est une méthode de construction extrêmement intéressante et cohérente. Nous avons pu y participer pleinement, sous réserve d’avoir eu la volonté de le faire. Et il faut noter l’effort de la DHOS de transmettre tous les documents de travail, rapidement, à tous les membres du groupe.

Est-ce que les travaux ont été diffusés ?

Nous avions la possibilité, entre chaque réunion, de transférer tous les documents de travail à toutes les personnes que nous souhaitions. Pour moi, c'est la première fois qu'il y a eu une diffusion à ce point de documents de travail. Il y avait parfois des absents dans le groupe, mais nous étions toujours entre 20 et 30. Et dès le lendemain des réunions, la DHOS transmettait les documents sur lesquels nous avions travaillé. Ainsi, les absents pouvaient parfaitement prendre connaissance des travaux menés.

Faut-il être membre du groupe pour apporter une participation aux travaux ?

Je prends l’exemple d’une directrice de soins d’un Ifsi qui souhaitait faire une remarque par rapport à un contenu de formation. Je lui ai conseillé de transmettre son idée directement à la DHOS. Elle a eut une réponse immédiate, chose inhabituelle et montrant l’ouverture de la DHOS sur ces travaux. J'ai participé à la construction des programmes de formation de 1972, 1979 et 1992 et c'est la première fois que nous avons un travail aussi transparent et collégial.

Les décisions sont-elles faciles à prendre au sein d’un groupe aussi important ?

Il est évident, qu’à un moment donné, il faut des décisions, des synthèses et des conclusions. C’est le rôle de la DHOS d’arbitrer des choix. Certaines idées sont retenues, d’autres non. On ne peut pas faire autrement.

Groupe de production et groupe de validation, pour quel résultat ?

Le groupe de production s’est réuni jusqu’au 24 octobre 2008 pour produire. En parallèle, le groupe de validation avait la charge de valider les propositions du groupe de production.

Le 11 décembre 2008, le groupe de validation a présenté le référentiel de compétence qui est pratiquement finalisé et le référentiel de formation qui ne peut pas être validé, car non terminé.

En quoi le référentiel de formation est-il inachevé ?

Depuis le mois de juillet, la DHOS a mis en place un groupe de rédaction, chargé de rédiger le référentiel de formation à partir des travaux de groupes. C’est un groupe de huit personnes, dont je fais partie. On notera que dès les premiers travaux, la DHOS a clairement indiqué qu’il fallait travailler dans le sens du LMD, avec les règles du système universitaire. Le référentiel a pu être transmis récemment au ministère de l’enseignement supérieur. Le cadre général de l’enseignement est construit, avec des propositions pour chaque thème dans les unités d'enseignement, et des propositions de crédit ECTS (European Credits Transfert System).

On travaille sur la description des contenus de chaque enseignement, en accord avec le référentiel défini par le groupe de production, et sur le système d'évaluation en accord avec les règles de l'université.

On entend que ce projet est rejeté en bloc. Qu’en pensez-vous ?

Je m’interroge sur la représentativité des personnes qui colportent ce type de remarque. Je suis très souvent sur le terrain et je n’ai pas le sentiment que les soignants de terrain ont cette attitude de rejet.

Encore un bruit, faites-vous partie de ce petit groupe de copines qui fait la réforme dans son coin ?

Pour tout vous dire, je ne connaissais personne à la DHOS avant d’être appelée à participer au groupe de production. Ce sont mes travaux sur le raisonnement clinique infirmier qui m’ont amené à donner un avis sur le référentiel avant de prendre part au groupe de production.

Comment qualifierez-vous le travail accompli sur cette réforme majeure ?

Qualité et cohérence.

Quel est le changement majeur selon vous ?

La compétemce clinique des infirmières va être explicite alors qu'avant elle était implicite. On va mettre en avant le raisonnement clinique infirmier. On pourra parler, comme au Canada, d’infirmière clinicienne généraliste.

C’est donc valorisant pour la profession infirmière ?

Je trouve que ce nouveau référentiel est extrêmement valorisant pour les infirmières futures et actuelles. On va reconnaître leur raisonnement clinique. Et la compétence clinique est placée en première position dans le référentiel, dernière version. C’est une excellente opportunité pour rentrer dans le niveau master du LMD. La DHOS a soutenu ce projet, devant les représentants du corps médical, venus pour effectuer une analyse critique du référentiel infirmier. Si on entend que cette réforme dévalorise la profession infirmière, c’est en fait tout le contraire. On met en avant le niveau de compétence clinique. On replace la compétence individuelle dans une compétence interdisciplinaire. Il faut aller au bout de ce projet et accompagner les instituts de formation.

Concernant le LMD, faut-il une licence professionnelle ou générale ?

Ce débat est légitime. J’ai toujours défendu l’idée d’une licence générale. Mais il y a bien deux dossiers différents à ne pas mélanger. On doit démontrer d’abord que l’on est capable de produire un référentiel de formation de niveau universitaire. Puis, le débat sur le type de licence, et la revalorisation financière pourra ensuite s’appuyer sur ce référentiel. C’est pleinement le rôle des syndicats et des associations professionnelles. Mais, on ne devrait pas avoir cette opposition sans argumentation et le mélange de ces deux dossiers.

Pouvez-vous nous parler du référentiel de formation ?

La dernière version a été transmise au ministère de l'enseignement supérieur pour validation des propositions d’attribution des ECTS. La réponse est attendue.

On peut noter la mise en place de :

  • deux unités d’enseignement (UE), « sciences contributives », avec certainement des enseignants universitaires (psychologie, sociologie, processus pathologiques, …) ;
  • deux UE « sciences et techniques infirmières », avec le raisonnement et la démarche clinique, grande avancée dans notre profession, et la partie intervention dans les cinq dimensions du soin ;
  • une UE « posture professionnelle », UE d’intégration avec possibilité pour les formateurs d’accompagner les étudiants dans la mobilisation des connaissances acquises avec les sciences contributives autour de situations cliniques clés. Les stages seront des stages qualifiant où l’accompagnement et le tutorat seront valorisés.

L’anglais et les TIC (technologies de l’information et de la communication) seront intégrés (obligatoires dans un cursus LMD).

Est-ce que le programme sera prêt à temps ?

Nous aurions aimé que cela soit prêt plus vite. Les programmes ont souvent été présentés en juin pour les rentrées de septembre. Là, il sera prêt plus tôt. Les documents de travail ont largement été diffusés permettant une meilleure anticipation.

En conclusion.

Il faut qu'on montre que nous sommes capables de faire des propositions d'un référentiel de formation cohérent avec le référentiel d'activités qui a permit de construire le référentiel de compétences. Nous devons pouvoir argumenter ce référentiel auprès de l’enseignement supérieur. C’est ce que les différents groupes de travail, pilotés par la DHOS se sont attachés à faire.

Propos recueillis par Jérôme Clément

Références :

A. Marchal, Th. Psiuk, le paradigme de la discipline infirmière en France, éditions Séli Arslan, Paris 2002
Th. PSIUK, la démarche clinique, de la singularité vers l’interdisciplinarité, in Recherche en soins infirmiers, spécial Clinique Mars 2006.


Source : infirmiers.com