Début septembre, une enquête est ouverte suite au bizutage de grande ampleur au CHU de Toulouse où 250 étudiants en soins infirmiers de première année ont subi une humiliation publique. La ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal a, quant à elle, qualifié ce type de pratiques
de dégradantes et intolérables
. Qu’en est-il des principaux intéressés, c’est-à-dire les infirmiers ? Vous avez été nombreux à réagir sur notre forum sur le sujet.
De l’eau, des œufs, de la farine. Puis c’était le ketchup, le vinaigre, la bétadine, la mousse à raser, l’ail, la pâtée, des copeaux de litière pour lapin, la soupe de poisson…
, voilà par quoi ont été aspergés des étudiants en soins infirmiers de 1ère année après avoir été attachés deux par deux avec du scotch. Ces évènements choquants se sont déroulés le 5 septembre au CHU de Toulouse
. Ce n’était pas une situation réciproque, comme une grande bataille de lancer d’œufs entre promos. On n’arrêtait pas de nous dire : "Nous on en a mangé plein la gueule l’année dernière, vous allez manger cette année et vous vous vengerez sur les autres l’année prochaine." C’était une ambiance d’humiliation. Il y avait vraiment un truc de domination
, raconte une des victimes dans le journal Sud-Ouest. Une enquête judiciaire a été ouverte depuis, le bizutage étant considéré comme un délit depuis la loi du 17 juin 1998. Les responsables risquent 6 mois d'emprisonnement et 7 500 € d'amende. En outre, les peines sont doublées si la victime est une personne vulnérable.
Le travail infirmier est marqué par des valeurs et concepts, je trouve bien dommage que ça ne soit pas mis à l'honneur partout...
Le bizutage est interdit mais…
Interdit depuis près de 20 ans et pourtant… Si la FNESI ou la ministre de l’Enseignement Supérieur ont vivement réagi pour dénoncer ce type de comportements, ils seraient apparemment encore monnaie courante dans les établissements. Il est pratiqué dans quasiment toutes les formations secondaires, parfois même dans les locaux de facs
, souligne Karana Mudra sur le forum. Dans quelques semaines, les étudiants en PACES (entre autres) vont rentrer et, je parle en connaissance de cause, leur bizutage est quand même bien plus hardcore (il y a des antécédents de viols, décès et blessés graves...).
Certains forumeurs ont toutefois clairement montré leur indignation face à cette affaire. Personnellement, je déplore ce qui s'est passé à Toulouse, et tous les bizutages en général
, affirme Cannelle2A. C’est interdit, quel que soit le milieu. Je trouve qu'il y a quelque chose de pervers dans le bizutage, et je trouve très déplacé et immature qu'il soit pratiqué dans les IFSI. (…) Le travail infirmier est marqué par des valeurs et concepts, je trouve bien dommage que ça ne soit pas mis à l'honneur partout...
, argumente-t-elle. Oui, moi ça me choque ! je n'ai jamais participé à ces orgies, aucun intérêt, ce n'est pas comme ça que je me fais des potes !
, souligne Blocop.
D’autres émettaient des avis plus mitigés sur la question. Dans notre IFSI, nous avions eu un bizutage en première année, sur la plage avec des jets de nourriture, des défis sportifs... On n’a pas été traumatisé, d'ailleurs, nous avions été avertis par les 2ème année du contenu, une liste d'allergènes a circulé et à tout moment, on pouvait partir (ce qu'on fait deux, trois étudiants). Au final, nous étions très contents hormis quelques personnes
, témoigne GauthierLG.
il peut très bien y avoir des rassemblements d'intégration basés sur la libre participation de chacun, sans pour autant virer à l'humiliation...
Bizutage ou moment d’intégration : quelle est la limite ?
Cette année, nous avions bien réfléchi à le faire ou pas, le contexte avec Toulouse et tout ça puis finalement, on s'est dit : "Pourquoi faire comme les autres ?" Finalement, on va faire une soirée d'intégration avec quand même quelques défis et petits jeux mais, il n'y a pas de bizuts, seulement des filleuls (on a fait du parrainage aussi)
, poursuit GauthierLG. Pour Karana Mudra, les rites initiatiques ont une importance sociale dans l’enseignement supérieur tant qu’ils ne sont pas dégradants. Je n'aime pas non plus le bizutage classique à savoir jeter nourriture et autres trucs dégoutants en réponse à des défis plus ou moins dégradants. Par contre, je pense qu'il est intéressant qu'il y ait un petit moment d'intégration des nouveaux étudiants : on sait que ce sont 3 années qui peuvent être dures sur le plan émotionnel et il me semble important de pouvoir compter sur un groupe soudé et solidaire, tant sur le plan des études que sur le plan humain. Ce rite, c'est l'occasion de briser la glace, faire en sorte qu'on se parle rapidement et qu'il n'y ait pas ou peu d'étudiants laissés de côté.
Visiblement, une solution a été trouvée par certains IFSI, celle de couper la poire en deux en fonction du consentement de chacun. 95% des étudiants de 1ère et 2ème année étaient plutôt contents de cette expérience Une bonne partie (dont je suis) n'a absolument pas fait de bizutage mais a organisé des petites activités pas du tout dégradantes avec, à la clé, un rassemblement autour d'un verre pour des échanges de conseils, expériences, ressentis et autres blabla...
, raconte Karana Mudra. Lenalan, quant à elle, se souvient d’une expérience similaire. Nous le "bizutage" s'était fait en 2 temps. Une "journée d'intégration" à l'IFSI : petits jeux de piste pour l'attribution d'un parrain (photos enfants des 2ème année et les 1ère année doivent en choisir une et retrouver leur parrain "adulte") puis repas partagé offert par les 2ème année. C’était on ne peut plus soft (aucune obligation de participer non plus). La directrice et les formateurs sont présents et viennent boire un coup (alcool interdit). Il y a aussi une soirée organisée avec le "gros" bizutage (sur volontariat, mais en dehors de l'IFSI) avec déguisements, gages dans les rues. C’était parfois ridicule, avec parfois une alcoolisation massive... Mais aucun dérapage signalé à ce jour et obligation de rien.
D’autres encore estiment que si les formateurs et la direction de l’institut organisent eux-mêmes l’intégration, c’est sans risque. Premier jour, rassemblement de tous les nouveaux dans l'amphi : une directive du ministère restreint le budget de la formation, certains élèves vont devoir accepter d'être transférés vers d'autres écoles hors du département, un questionnaire nous est distribué pour "garder les meilleurs". Au programme ; "quelle est la couleur des aiguilles pour IM ?" et "dans quel sens est plié une tubulure de perfusion ?" J'ai "percuté" à la question "quel est le débit du Rhin lorsque la température est inférieure à zéro degré ?" J'ai regardé certains plancher jusqu'à la fin du temps imparti sur le questionnaire où un grand nombre d'autres questions saugrenues étaient disséminées ! J'ai trouvé cette idée sympathique et bonne : l'organisation d'un bizutage par et avec l'ensemble de ceux qui font l'école
, évoque Eprex.
Le consentement des bizuts
, pas si simple
Donc, les rites d’intégration pourquoi pas et le bizutage à la dure
c’est seulement pour les volontaires ? Pas pour 06Karim : les étudiants vivent cette pratique de différentes manières. Bien sûr que certains ne vont pas se sentir humiliés, bien sûr que, dans certains endroits, cette pratique se passe sans volonté de rabaisser. Mais elle a un fort risque de dérapage. C'est d'ailleurs pour cela que le bizutage est illégal. Et ceci n'est pas un choix. Dans mon ancien IFSI il n'y en a pas. Ce n'est pas du tout le genre de la maison. Il faisait déjà la chasse aux tongs, shorty... imaginez un bizutage cela aurait relevé de la tentative de suicide. Pour autant on était une promo soudée. On a fait des soirées ensembles et c'était super malgré la pression exercée par les formateurs.
Mais où est la différence exactement entre rituel d’intégration et bizutage ? Fréquemment utilisé, quel est la définition de ce terme : bizuter
? Qu’est-ce qu’il englobe comme actions exactement ? Les définitions sont nombreuses et variées. D’après le Larousse, si la notion d’épreuves est claire, l’idée de consentement l’est moins : action de soumettre un nouveau à des épreuves d'initiation, avant de l'admettre au sein d'une société scolaire ou universitaire déterminée (ces épreuves pouvant constituer un délit en cas de brimades ou de violences)
. Mais alors au cours des journées d’intégration, les défis ou un pseudo questionnaire pour garder les meilleurs
ce sont des épreuves ? C’est donc du bizutage ? Tout repose -t-il sur ce fameux consentement ?
Si la définition du dictionnaire laisse une zone grise, la loi qui interdit le bizutage, elle, fixe parfaitement les limites. Le bizutage est décrit dans le code pénal comme le fait pour une personne d'amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants ou à consommer de l'alcool de manière excessive, lors de manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire, sportif et socio-éducatif
. Donc l’acceptation du bizut
à adhérer ou non aux épreuves initiatiques ne change rien légalement, et ce n’est probablement pas sans raison. C’est du moins l’avis de karana Mudra : sur le fait que "chacun est libre d'y participer ou non" ce n'est pas si simple : le consentement dans ce genre de situation est biaisé par le fait que l'on peut passer pour un rabat-joie, ou par peur de représailles. C'est pour ça que je trouve normal qu'il soit interdit, sur le principe, en pratique ben…
.
Ainsi, des soirées et journées d’intégration avec des jeux sont peut-être des rites d’initiation mais ne sont pas considérés aux yeux de la loi comme du bizutage. De même, en qui concerne l’expérience vécu par Eprex, s’agit-il vraiment de bizutage ? Apparemment non, si on s’en tient au cadre juridique défini par la loi. En revanche, penser que si le personnel d’encadrement des instituts de formation s’en mêlait cela éviterait les dérapages… pas si sûr. Si on revient sur le cas du CHU de Toulouse, à première vue, la direction était au courant.
En faire toute une histoire je trouve ça totalement con, c'est comme faire un article de malade pour un type qui a fumé un joint dans la rue
Le cas de Toulouse et le traitement par les médias
Là clairement l'affaire en question relève bien du bizutage... INTERDIT et honteux...
, s’indigne Lafolldingue. Pour Blocop, ce qui est d’autant plus grave : c'est que la direction a organisé cette conspiration. Elle a ordonné aux ESI de se rendre dans une salle, pour un motif administratif ! Ils ont fermé les portes, laissant les ESI en pâture
. Une opinion partagée par 06Karim : Totalement scandaleux. Si tel était le cas la direction doit changer. Non mais c’est quoi ce délire alors que le bizutage est illégal !!
. En effet, plusieurs témoignages dont celui d’un ancien ESI de l’établissement laissent à penser que les formateurs cautionnaient ces comportements. En 2015, je rentrais en 1re année à l’IFSI. On nous a convoqués en amphi prétextant une évaluation. Je suis assez suspicieux et j’ai rapidement remarqué que les portes étaient fermées par certains formateurs". Puis plusieurs groupes d’élèves de 2e année seraient entrés pour prendre en charge les nouveaux arrivants. "J’ai compris qu’on allait être bizutés, j’ai décidé de partir. Arrivé près de la porte, un membre de l’équipe dirigeante d’alors m’interpelle et m’explique que si je pars, il allait être plus difficile pour moi de m’intégrer
. De son côté, la direction a démenti et l’enquête judicaire est en cours pour démêler le vrai du faux.
En attendant les conclusions, l’emballement médiatique en a agacé plus d’un, notamment Karana Mudra qui estime que les journalistes ont déformé la réalité. Je ne sais pas ce qui s'est passé exactement à Toulouse, (…) des personnes se sont senties mal et s'en sont plaint, c'est tout à fait regrettable et j'espère qu'elles peuvent aujourd'hui reprendre leur formation sereinement. (…) Mais je trouve qu'en dehors du fait que c'est interdit, le traitement de cette "affaire" par les médias est lamentable, comme souvent : ce jour-là, il devait y avoir une dizaine d'autres écoles qui faisaient des bizutages du même tonneau mais apparemment les journalistes ont préféré se focaliser sur les infirmiers. Les articles qui ont relayé cet incident le déforment, et le résultat c'est qu'on peut lire un torrent de réactions haineuses contre les ESI (j'ai quand même lu quelqu'un nous assimilant à des nazis...)
, s’insurge-t-elle.
Alors c’est vrai, pourquoi faire tout ce tapage sur cette histoire alors que le bizutage, bien qu’illégal est pratiqué partout, selon la forumeuse ? Peut-être simplement parce que c’est 250 étudiants de première année qui ont été victime de brimades et que certains ont très mal vécu cette humiliation et ont osé en parler. Peut-être parce que les différents témoignages convergent et que si ces comportements restent pratiqués fréquemment, ils sont interdits et qu’il est important que cela cesse. Pour cela, n’est-il pas nécessaire que ces pratiques soient dénoncées ? Il est probable, malheureusement que ces événements aient cours dans de nombreuses facultés ou institutions mais est-ce qu’il est normal que quelque chose de punissable par la loi soit ainsi banalisé sans que personne n’en parle ?
Pour les victimes, ces événements peuvent avoir un impact considérable sur leur vie estudiantine. Le plus gênant dans cette histoire, c’est la confiance des élèves envers l’équipe de formateurs qui est rompue et qui sera difficile de reconstruire
, souligne Paullaurent59. Les propos d’une des étudiantes bizutées à Toulouse le confirment en partie : à l’école, il y a une pression énorme. Les gens cherchent à savoir qui a parlé. On ne sait pas trop à qui faire confiance
.
On espère toutefois que cette jeune femme et les autres 1ère année bizutés vont pouvoir poursuivre leurs études paisiblement et sans craintes, mais au vu de ce témoignage, on en doute… la double peine en quelque sorte.
Roxane Curtet Journaliste infirmiers.com roxane.curtet@infirmiers.com @roxane0706
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