Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

Merci d'avoir répondu !

LEGISLATION

Ancien djihadiste et futur infirmier, qu’en dit le droit ?

Publié le 05/02/2015
livres législation droit

livres législation droit

L'histoire de cet étudiant en soins infirmiers de 3e année, ancien jihadiste et futur infirmier, est intéressante parce qu’elle permet de prendre conscience des rapports parfois délicats qu’entretiennent droit, morale et justice. Ce qui est conforme au droit peut tout à fait être immoral et injuste, l’inverse étant tout autant vrai. Le tout est de savoir dans quel registre l’on veut mener l’analyse.

Dans le cadre de certaines types de condamnations, le juge peut décider qu’une profession ne doit plus pouvoir être exercée, provisoirement ou définitivement. Quid de l'infirmier...

Le cas de cet étudiant en soins infirmiers, ancien jihadiste et futur infirmier , fait grand bruit ces derniers temps dans le contexte des terribles attentats que la France a subie début janvier 2015. Un rapide rappel des faits permet de dire qu’il concerne, en tout cas si l’on en croit les médias, un ancien prédicateur de la filière dites "des Buttes-Chaumont", qui a formé l’un des frères Kouachi à l'idéologie radicale, frères dont on connaît le rôle central dans les récents événements. Pour ces faits, cette personne a été poursuivie puis condamnée à une peine de 6 années de prison ferme (pour 3 ou 4 années finalement effectuées) pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Ayant obtenu son baccalauréat en prison, il postule à sa sortie pour intégrer un IFSI. Sa candidature acceptée, il suit le cursus classique jusqu’à réaliser en stage de dernière année de formation en soins infirmiers dans un établissement de l’AP-HP, lequel prendra, dans le contexte des attaques terroristes, la décision de ne pas le maintenir dans le planning de service où il terminait son dernier stage.

Cette personne a été poursuivie puis condamnée à une peine de 6 années de prison ferme pour « association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste ».

Même avec cette présentation objective des faits, cette affaire peut faire réagir à plus d’un titre. Bien entendu, il est naturel de prendre position en tant que citoyen au regard d’exigences morales ou humaines, permettant de se demander, par exemple, comment une personne ayant prôné la violence peut aujourd’hui vouloir se tourner vers l’accompagnement des personnes vulnérables que sont les patients et s’il convient de lui permettre cet exercice professionnel. Pourtant, il s’agit ici de mener quelques réflexions avec un autre regard, celui de juriste, c'est-à-dire en prenant en compte uniquement le droit et la déontologie, même si les analyses morales et juridiques peuvent parfois converger.

Ce qui est conforme au droit peut tout à fait être immoral et injuste, l’inverse étant tout autant vrai. Le tout est de savoir dans quel registre l’on veut mener l’analyse.

Le regard du juriste

Sans prétention d’exhaustivité sur un débat qui mériterait une bien plus ample réflexion, il faut avoir à l’esprit un certain nombre d’éléments essentiels. Le premier porte sur la nécessaire distinction qu’il faut réaliser entre les conditions d’accès aux études infirmières et celles d’accès à la profession correspondante.

L'entrée en Ifsi

Pour ce qui est de la formation, il semble qu’aucune règle ne pose l’obligation de vérifications de la moralité avant d’intégrer un Ifsi, laquelle aurait pu se traduire par la transmission d’un extrait du casier judiciaire du candidat. A défaut de règle certaine, les pratiques varient selon les instituts. Il est cependant certain que la sélection en formation ne peut se baser sur des critères idéologiques, ethniques, culturels ou religieux. Cet état de fait a d’ailleurs poussé certains organismes à prendre position. Ainsi, l’Ordre national infirmier demande que ces vérifications soient obligatoirement réalisées lors de l’entrée en formation alors que le Comité d'entente des formations infirmières et cadres (Cefiec) ne fait que s’interroger, dans un communiqué du 16 janvier 2015 , sur la nécessité d’une obligation de demande d'extrait de casier judiciaire à l'entrée en institut pour protéger les populations vulnérables auxquels les étudiants sont confrontés tout au long de leur formation pratique ?, estimant que les étudiants qui se destinent aux métiers du soin doivent s’inscrire dans des valeurs humanistes et faire preuve d’intégrité, honnêteté et respect.

L'entrée dans la vie professionnelle

En ce qui concerne les conditions d’inscription à l’Ordre national des infirmiers, à défaut de déontologie infirmière validée par les pouvoirs publics, les règles juridiques sont à étudier plus encore. Selon l’art. L. 4311-16 du Code de la santé publique, le conseil départemental de l'ordre des infirmiers refuse l'inscription au tableau de l'ordre si le demandeur ne remplit pas les conditions de compétence, de moralité et d'indépendance exigées pour l'exercice de la profession […]. Par ailleurs, l’art. R. 4112-2 du même code indique que, dans le cadre de l’inscription au tableau de l’Ordre, le conseil vérifie les titres du candidat et demande communication du bulletin n° 2 du casier judiciaire de l'intéressé, cette disposition spécifique étant applicable aux infirmiers depuis le 1er janvier 2015 (date d’entrée en vigueur du décret n° 2014-545 du 26 mai 2014 relatif aux procédures de contrôle de l'insuffisance professionnelle et aux règles de suspension temporaire des médecins, des chirurgiens-dentistes, des sages-femmes, des pharmaciens, des infirmiers, des masseurs-kinésithérapeutes et des pédicures-podologues, JORF n°0123 du 28 mai 2014, p. 8 921). Sur cette base, la vérification du casier est peut être plus simple à réaliser que l’étude de la moralité, aucune définition précise n’en étant donnée, ce qui induit un risque de variation et de subjectivité, même si l’on peut aisément considérer que le passé de cette personne est incompatible avec l’exercice d’une profession dont l’éthique et l’humanité sont fondatrices. Au-delà de ces considérations dont l’importance ne doit pas être niée, il faut réaliser que l’inscription à l’Ordre, dont on sait qu’elle est juridiquement obligatoire, n’est pourtant pas réalisée de manière systématique. Cela signifie, en pratique, qu’il n’est pas impossible que cette personne exerce la profession infirmière en libéral ou salarié pour peu qu’un employeur lui donne sa chance et qu’il accepte de ne pas respecter scrupuleusement l’obligation d’inscription.

Ce cas est intéressant parce qu’il permet de prendre conscience des rapports parfois délicats qu’entretiennent droit, morale et justice.

Quid du droit à l'oubli

Le second élément est opposé au premier mais fondamental. Il est relatif à ce que les juristes appellent parfois le droit à l’oubli, que d’autres déclineraient sous la forme d’un droit à la seconde chance. La morale mise à part, il ne faut en effet jamais oublier que la peine d’emprisonnement à laquelle cette personne a été condamnée répond à certains caractères : elle est afflictive (la peine est une souffrance), infamante (elle marque la réprobation sociale), légale (elle doit être déterminée et appliquée conformément aux textes juridiques), égalitaire (elle est la même pour tous), personnelle (elle ne doit frapper que l’auteur de l’infraction), mais, pour ce qui nous intéresse plus encore, la peine est définitive, ce qui signifie qu’une fois purgée, la personne condamnée doit, par principe, être libérée car elle a payé sa dette. L’idée est alors de permettre sa réinsertion pour qu’elle ne subisse pas une stigmatisation constante. Bien entendu, comme pour toute règle, il y a des atténuations. Par exemple, dans le cadre de certaines types de condamnations, le juge peut décider qu’une profession ne doit plus pouvoir être exercée, provisoirement ou définitivement (l’on pense à l’instituteur condamné pour pédophilie). Si l’on se base sur ce droit à l’oubli - simple hypothèse - rien ne devrait empêcher cette personne de tenter de se réinsérer socialement par l’accès à cette profession puisque sa peine a été purgée. Soyons bien clairs, dire cela n’est pas laver cette personne de ses actes et encore moins leur accorder du crédit, mais ce cas est intéressant parce qu’il permet de prendre conscience des rapports parfois délicats qu’entretiennent droit, morale et justice. Ce qui est conforme au droit peut tout à fait être immoral et injuste, l’inverse étant tout autant vrai. Le tout est de savoir dans quel registre l’on veut mener l’analyse.

Guillaume ROUSSET  Maître de conférences HDR en droit (IFROSS - Univ. Lyon 3)  Responsable du DU Droit, Expertise et Soins  guillaumerousset@free.fr


Source : infirmiers.com