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"Des mots plus blessants que des coups..."

Publié le 03/03/2017

L'hôpital est un lieu étrange. Emblème du soin, de la relation humaine, de ce qui reste d'humanisme dans notre société, il peut donc soudain se révéler un lieu de barbarie et de maltraitance. Le livre « Omerta à l'hôpital » donne la parole à nombre d'étudiants en santé qui ont vécu cette violence durant leur formation. Leurs témoignages édifiants portent une souffrance qui ne peut plus être niée.

Le livre "Omerta à l'hôpital" permet de mieux comprendre ce tabou des maltraitances faites aux étudiants en santé ; un tabou qu'il était temps de briser...

Humiliation, acharnement, deshumanisation, abus de pouvoir, sexisme, homophobie, exploitation… autant de mots qu'on ne verrait pas rattachés au monde de la santé et encore moins à celui de la formation des étudiants qui rêvent d'y évoluer professionnellement. Qu'ils soient médecins, infirmiers, kinésithérapeutes, sage-femmes, pharmaciens, orthophonistes… tous sont passés par l'hôpital pour s'y former, pour apprendre de leurs pairs, pour se forger une identité professionnelle. Nombre d'entre eux y ont également soufferts, malmenés verbalement par leurs tuteurs, découragés par leur hierarchie, rabaissés au seul titre de « stagiaire », « d'élève », niés en tant qu'individus… Aujourd'hui, ils en témoignent dans un ouvrage intitulé « Omerta à l'hôpital », sorti le 2 mars, qui vise à briser le silence, à dénoncer, à faire savoir que la violence à leur encontre, gratuite et malveillante, s'exprime trop souvent avec des conséquences qu''il faut savoir mesurer et analyser.

Tu ne sais rien faire, tu n'es qu'une petite stagiaire de merde...

Valérie Auslender, médecin généraliste attachée à Sciences Po, dans le cadre de sa thèse puis de son activité professionnelle, a découvert l'ampleur de cette souffrance quotidienne dont font l'objet les étudiants en santé et qui se joue au sein de l'institution médicale. Souhaitant aller plus loin afin de mieux la comprendre, elle lance un appel à témoins en août 2015. 130 étudiants en santé formés dans les hôpitaux français y répondent, anonymement. La matière est là, vivante, bouillante, foisonnante. Elle interpelle par sa violence et révolte par la teneur des propos recueillis, comme ces quelques exemples en attestent :

  • De toute façon, tu es tellement conne, débile, sale et tu n'as aucune conscience professionnelle que tu ne seras jamais aide-soignante ;
  • Tu sais, même si tu as raison, je ne peux pas croire une étudiante, je croirai toujours mes collèges... ;
  • La touffe, oui toi ! Pour toi , l'évaluation de stage, ça sera… une toilette intime… De moi ! Haha ;
  • C'est de la merde. Ton travail c'est de la merde, tu ne sais pas travailler. Tu n'as rien à faire dans mon service… T'es pitoyable ;
  • Oh putain, encore un boulet qu'on va traîner pendant dix semaines. Fait chier ! ;
  • Je n'aimerais pas être soignée par vous… Arrêtez de pleurnicher sur vos stages, ça ne sert à rien ! Bande de pleureuses !.

Toi la stagiaire qui ne sert à rien, viens ici ! Va torcher le culs de tes résidents, t'es bonne qu'à ça !

Comprendre ce tabou qu'il était temps de briser…

Valérie Auslender s'est interrogée : d'où viennent ces maltraitances envers les étudiants dans les hôpitaux ? Ont-elles toujours existé ? Pourquoi règne-t-il cette loi du silence alors que ces violences dépassent largement les coutumes de bizutages et pourraient être punies par la loi ? Pourquoi les étudiants se murent-ils dans le silence et ne dénoncent-ils pas leurs agresseurs ? Est-ce une fatalité ? Est-il possible de mettre un terme à ce processus destructeur ?

L'auteur a donc convoqué neuf experts avec une mission d'analyse des témoignages pour comprendre ce tabou qu'il était temps de briser. Cynthia Fleury-Perkins, philosophe et psychanalyste, souligne que la reprise en mains des « référents », éventuellement des sanctions à leur encontre, est nécessaire, autant qu'une grande campagne d'information et d'action sur ces violences et les moyens de lutter contre elles. Didier Sicard, Professeur émérite à l'université Paris Descartes, propose également de rompre l'isolement, être à l'écoute des étudiants et former les formateurs ». Et de rappeler que « l'enseignement repose avant tout sur des procédures techniques standardisées, un principe de précaution qui prévoit tout sauf l'essentielde ce qui est humain, des mesures sécuritaires qui oublient que la sécurité commence par le bien-être, le sentiment de confiance, le respect des étudiants et des professionnels. Emmanuelle Godeau, médecin de santé publique et anthropologue, explique que l'hôpital est devenu le modèle d'une société centralisée, hiérarchisée, où l'individualisme est mal perçu, où l'on se soucie peu des affects et des vécus, notamment des plus faibles. Il est paradigmique de la juxtaposition d'une gestion administrative guidée par la rationalité, la rentabilité, les coûts, voire les profits et des soins qui concernent des personnes, avec leur histoire, leur sensibilité et leur vulnérabilité. Gestion comptable contre gestion humaine. Quant au Dr Gilles Lazimi, il l'affirme : il faut protéger nos étudiants, créer des lieux d'écoute et d'accompagnement, afin que justice soit faite, et ne plus permettre à ces agresseurs d'enseigner. Il faut que l'autorité universitaire s'engage, prenne des mesures de protection des victimes. En cas de révélation des violences par la victime, il faut la croire et le lui dire.... Bénédicte Lombard, cadre de santé infirmière et docteur en philosophie pratique et éthique hospitalière, souligne à son tour qu'il faut s'inscrire dans une lecture scrupuleuse du quotidien à l'hôpital. Une lecture autonome qui maintient l'esprit critique en éveil. Cette démarche doit être encouragée et portée par l'institution, elle a le devoir de se saisir de ce problème dont elle est la génitrice. Isabelle Ménard, infirmière puéricultrice et formatrice en Ifsi, écrit être terrifiée à la lecture de ces témoignages par l'idée que les violences subies par les étudiants soient le reflet des dérives relationnelles dans les soins. Un soignant qui humile un étudiant sera-t-il bienveillant avec les malades ? Enfin, Christophe Dejours note que ce sont dans les services où la qualité des soins est la plus dégradée que se reproduisent les maltraitances envers les étudiants. Pour lui, le tournant gestionnaire, ses conséquences sur la qualité des soins et le comportement des soignants serait la cause première de ces maltraitances.

La méchanceté est loin d'être gratuite car elle est le prix d'un système contraignant...

On va vous briser pour vous faire entrer dans un moule, de gré ou de force*

Réagissant par communiqué de presse à la parution de l'ouvrage « Omerta à l'hôpital », la Fédération nationale des étudiants en soins infirmiers (Fnesi) rappelle qu'elle n’a cessé depuis sa création, en 2000, d’alerter les acteurs de la formation sur les souffrances vécues par les étudiants en soins infirmiers au cours de leur formation. En 2009, l’Enquête sur leur vécu et leurs comportements de santé révélait des conditions de formation stressantes et impactant leur bien-être. En 2014, une nouvelle enquête, « Je veux que ma voix compte » , établissait un constat sans appel : 85% des étudiants en soins infirmiers considèrent leur formation comme violente, tant physiquement que psychologiquement. La Fnesi rappelle que suite à ces constats, plusieurs avancées ont été obtenues afin d’améliorer le quotidien des étudiants, notamment la mise en place d’un cahier des charges cadrant la formation des tuteurs de stage. Elle rappelle également à quel point la reconnaissance du temps d’encadrement des tuteurs est primordiale pour mener à bien cette mission.

*Réflexion d'une directrice d'Ifsi, toujours en poste…

La communauté soignante réagit…

Sur les réseaux sociaux, les soignants - infirmiers, aides-soignants - ont réagi à la parution de cet ouvrage et surtout à sa thématique. Voici quelques commentaires parmi les plus significatifs.

Mickaël - La vie a déjà assez de pression, n'en rajoutons pas ! Il ne faut pas les dégoûter du métier mais plutôt le leur faire aimer ! Enfin c'est mon point de vue !

Hélène - Il y a 30 ans c'était déjà la même chose. Pendant les 36 mois de mes études, pas un dimanche où je n'ai passé la soirée à pleurer en pensant à la semaine qui m'attendait.… seulement il y a 30 ans, je ne me voyais pas dire à mes parents à moitié cursus : "j'arrête,c'est trop dur", alors je me suis accrochée, je suis devenue infirmière et j'aime mon métier. Et je me suis promis de ne jamais être une peau de vache pour les stagiaires que j'encadrerai...

Aurore - Malheureusement certains soignants sont tyranniques avec les étudiants reproduisant ce qu'ils ont vécu dans un espèce de cercle vicieux aberrant…

Romain - Voila pourquoi on garde un si mauvais souvenir de nos études. Cadres pervers, infirmières méprisantes, profs humiliant et cyniques. Ajoutez à cela stress et fatigue physique avec des journées et un rythme épuisants.

Angélique - Je faisais partie de la toute nouvelle promo 2009 de la nouvelle réforme en stage, c 'était « ahhh les nouveaux infirmière à bas prix avec leurs formations en kit. Vous êtes nuls ,vous ferez des infirmiers dangereux » et j'en passe...

Muryel - Comment vouloir que les étudiants en soins infirmiers se forment sur le terrain alors que le terrain est un champ de bataille ? Rêvons encore et ressaisissons-nous...

Claire - Mon pire stage : la réa où j'ai tellement été rabaissée et démolie que la dernière semaine je suis allée voir ma responsable de stage à l'Ifsi lui expliquant la situation et, en même temps, je lui déposais un arrêt maladie pour la semaine. C'était ça ou j'arrêtais tout.

Carine - 20 ans de métier aide-soignante, je dirais que certaines personnes prennent un plaisir pervers à prendre les stagiaires pour des moins que rien, les mettre dans des situations difficiles pour les dégoûter du métier ? Ces personnes sont dangereuses aussi pour les patients selon moi, sans aucun doute. Le respect de l'humain est le reflet du personnel soignant, quand on en voit certains, j ai peur !

Christel - Et oui malheureusement j'ai connu ça aussi. Je me souviens d'une élève qui en avait tellement marre qu'on la traite comme un chien qu'elle a plaqué un jour sa tutrice de stage. Personnellement j'aurais jamais osé (j'aurais peut-être dû), j'ai fini par démissionner !

Dans certains endroits et avec certains professionnels c'est très dur. La course au temps n'arrange rien !

On ne peut que se féliciter de la démarche menée par Valérie Auslender. Grâce à tous ces témoignants, l'omerta de la maltraitance, acceptée par le système, est rompue. Pour le chercheur, lever cette loi du silence permettra à d'autres victimes de parler. Ces témoignages vont permettre que des actions de santé publique se mettent en place pour protéger les étudiants en professions de santé et pour améliorer les conditions de travail des soignants. Ils vont permettre de changer la politique de santé car aujourd'hui, nous ne pourrons plus dire que nous ne savions pas.

• Omerta à l'hôpital. Le Livre noir des maltraitances faites aux étudiants en santé, Dr Valérie Auslender avec les contributions de Christophe Dejours, Cynthia Fleury-Perkins, Emmanuelle Godeau, Gilles Lazimi, Céline Lefève, Dénédicte Lombart, Isabelle lménard, Didier Sicard, Olivier Tarragano,  Editions Michalon, mars 2017, 21 €.

Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern


Source : infirmiers.com