En juin 2018, Marjorie Baldacchino, étudiante en soins infirmiers à l'Institut de formation en soins infirmiers de Monaco (promotion 2015-2018) soutenait avec succès son travail de fin d'études sur la thématique suivante : "Laissez-vous déranger, laissez-moi déranger…" Elle souhaite aujourd’hui le partager avec la communauté d’Infirmiers.com et nous le remercions.
Voilà comment cette étudiante nous explique le choix de sa question de recherche. "En ce début de semestre 4, lors de ma deuxième semaine de stage, je suis dans le service de Spécialités Chirurgicales
. L'après-midi, l'équipe soignante y accueille de nombreux patients afin d'effectuer leurs entrées programmées en vue d'un passage au bloc opératoire le lendemain. Il est essentiel de comprendre que la Durée Moyenne de Séjour (DMS) de ce service est courte, se situant entre 24 heures et 3 ou 4 jours. De ce fait, la prise en charge des patients en est d'autant plus express
.
Lors de la tournée de 18 h, accompagnée d’une infirmière, je me présente à Mrs S. A la lecture de son dossier infirmier établi dans l'après-midi, je découvre que ce patient est âgé de 61 ans. Il est entouré de sa femme, de ses deux enfants et de son petit-fils. Il est agent immobilier dans la région et autonome dans sa vie quotidienne. Aucun antécédent particulier n'est à signaler. Il a été admis ce jour pour une résection transurétrale de la prostate programmée dès le lendemain matin. L'augmentation du volume de la prostate entraîne une gène lors de l'évacuation de la vessie, l'intervention consiste à élargir le canal de l’urètre intra-prostatique par endoscopie.
L'une des conséquences fréquentes du traitement de l'adénome de la prostate est une éjaculation rétrograde, c'est-a-dire que l'éjaculat remonte vers la vessie. En entrant dans sa chambre, je perçois une atmosphère palpable. Dans une semi pénombre, je découvre un homme seul, sur son lit médicalisé, les bras croisés religieusement sur son corps immobile, le regard dans le vague emprunt d'anxiété. Il est dans le silence le plus total, ni télévision, ni radio, ni lecture. Après les présentations habituelles, cette ambiance pesante m'interpelle ; il me semble préoccupé. Cependant, je décide avant tout de me concentrer sur le soin à venir – un lavement - et j'explique au patient son déroulement.
Il est vrai qu'entrer si brutalement dans une telle intimité est déstabilisant tant pour moi que pour le patient
Ainsi, avec l’infirmière, nous aidons Mr S. à s'installer en décubitus latéral dans son lit. Il est toujours silencieux et son visage se renferme un peu plus encore. Il me semble que sa préoccupation est l'expression d'une certaine gène de devoir s'exposer pour ce soin. Il est vrai qu'entrer si brutalement dans une telle intimité est déstabilisant tant pour moi que pour le patient, d'autant que je n'ai encore jamais pratiqué un lavement, imposant la présence obligatoire d’une personne supplémentaire : l'infirmière. J'ai également l'impression que le lien, entre l'opération et la sphère génito-anale qu'elle implique, entraîne chez le patient de l'embarras et du stress. En outre, le patient est conscient des éventuelles conséquences (notamment l'éjaculation précoce) liées a son opération. J'essaie de détendre l'atmosphère par un soupçon d'humour mais sans grand succès. Le consentement du patient donné, je procède au lavement. Pour ce faire, l'infirmière m'explique et me guide dans sa réalisation. Après introduction de la solution, je demande à Mrs S. de maintenir au mieux cette position afin que le soin puisse agir.
Pour ne pas quitter précipitamment ce patient, je décide de prendre un instant afin qu'il puisse exprimer son ressenti. Il m'informe, qu'en ce qui concerne le lavement, il est dans une position confortable ; le soin s'est déroulé sans douleur. En revanche, lorsqu'il aborde l'opération à venir, il manifeste de l'angoisse et de la peur. Il verbalise parfaitement ses émotions, mais ne parvient pas à les gérer. Je lui demande en quoi puis-je l'aider. Il me répond : Ça va aller, je n'ai pas le choix.
A cet instant, je suis démunie, désemparée et fortement frustrée. Je sais que je n'aurais pas le temps d'instaurer une relation d'aide plus poussée avec lui et je sais aussi qu'aucune prémédication n'est prescrite. J'ai également la sensation qu'il me manque des outils essentiels afin de lui apporter un accompagnement de qualité. A ce moment, la prise en charge a cessé d'être globale et personnalisée. Là et maintenant, j'ai la désagréable sensation que Mr S. n'est plus qu'un corps, sans âme ni esprit, représenté par une prostate trop protubérante qu'il faut réduire. Il incarne alors le patient ordinaire, dans un service de chirurgie, qui arrive un lundi et repart un mercredi, sans vie, sans histoire, sans passe, sans expérience. Mais je ne peux m'apitoyer sur mes émotions, je dois repartir dans ma tournée et non dans ma tourmente, les autres patients ont aussi besoin de moi. Démunie, je conseille simplement au patient de ne pas hésiter à en reparler avec l'équipe de nuit ; son anxiété sera retranscrite dans le dossier de soins et expliquée à mes collègues lors des transmissions du soir.
Là et maintenant, j'ai la désagréable sensation que Mr S. n'est plus qu'un corps, sans âme ni esprit, représenté par une prostate trop protubérante qu'il faut réduire
En sortant de la chambre, dans un précédent stage en service de gérontologie, je me souviens avoir observé l'équipe médicale utiliser comme outils de détente le Musiccare 1, c'est-à-dire de la musicothérapie. En effet, les études effectuées par le Pr Jacques Touchon et le Dr Stéphane Guétin montrent que les variations du rythme, de la mélodie, des fréquences et l'harmonie des séances Music Care agissent par des canaux sensoriels, cognitifs, affectifs et comportementaux. Ils permettent de prendre en charge la douleur, l'anxiété, la dépression, les troubles du sommeil, de la mémoire et du comportement.
Je pense alors que dans le cas présent, cet outil aurait été précieux pour détendre Mr S ; son anxiété aurait été ainsi reconnue et prise en compte. Mais finalement, n'aurait-il pas été possible d'aller encore plus loin dans la gestion du stress ? Existe-t-il d’autres méthodes pour le prendre en charge ? En pleine réflexion, mon service se termine.
Le lendemain après-midi, je suis de retour dans l'unité de soin. Mrs S. est de retour du bloc opératoire. L'opération s'est bien passée, il est peu algique, cohérent dans ses propos et passe la majeure partie de l'après-midi à se reposer. Le surlendemain matin, lors des transmissions, l'équipe de nuit nous informe que Mr S. est très anxieux à l'idée de son premier lever. Lors de la tournée de 7h, il m'explique que son refus est lié a une crise d'angoisse qu'il a eu la veille au soir en essayant de se mobiliser tout seul. Il avait alors ressenti une vive douleur abdominale et des difficultés respiratoires. De ce fait, Mr S. a très peur d'être à nouveau algique et de faire une autre crise d'angoisse lors du premier lever. Je lui propose d'une part de lui administrer une heure avant des antalgiques afin de réduire la douleur et d'autre part d'effectuer avec lui un instant de relaxation basée sur la respiration avant de se mobiliser. Je lui expose ensuite les techniques que nous mettrons en place lors de la mobilisation afin qu'il ne force pas sur la partie abdominale. Il accepte, son visage se détend, il dit se sentir un peu rassuré.
Je lui propose d'une part de lui administrer une heure avant des antalgiques afin de réduire la douleur et d'autre part d'effectuer avec lui un instant de relaxation basée sur la respiration avant de se mobiliser
Une heure après l'administration des antalgiques, je me trouve avec Mrs S, accompagnée d’une aide-soignante. Je propose à Mr S. de débuter la relaxation qu’il accepte. Je lui demande alors de s'allonger en décubitus dorsal, les bras de part et d'autre de son corps et de fermer les yeux. J'entame alors le début de cette pratique en me basant sur la technique créée par le psychanalyste Schultz, celle de la méthode de relaxation par auto-décontraction concentrative
. Elle consiste en des exercices physiologiques rationnels déterminés (sensations de lourdeur, de chaleur... ), destinés à mettre l'esprit et le corps au repos.
2 Ainsi, je lui ai tout d'abord demandé d'effectuer trois grandes respirations le plus calmement possible. Je l'ai ensuite convié à ressentir le bas de son corps et à le visualiser : orteils, talons, chevilles, pieds… Il devait alors imaginer une extrême lourdeur dans cette partie du corps afin d'avoir la sensation de s'enfoncer dans le matelas. J'ai ainsi procédé avec toutes les parties de son corps jusqu'au sommet du crâne. Puis, un instant de silence a été instauré, l'un de ces moments ou plus rien n'existe, plus rien ne compte. Pour terminer, j'ai demande à Mr S de revenir peu à peu a sa conscience et de commencer à se mouvoir et à ouvrir les yeux à son rythme, lorsqu'il le souhaitera. A cet instant, le visage du patient est détendu, il nous dit se sentir moins stresse et prêt à se lever.
Après la prise des constantes, nous l'accompagnons tout doucement pour le début de son soin. Je lui conseille de se mettre sur le côté, avant de s’asseoir sur le lit. Nous l'aidons ensuite à se lever et l'accompagnons dans la salle de bain afin qu'il puisse effectuer sa toilette. Ce premier lever se passe sans encombres, ni douleur ni malaise. Un sourire se dessine alors sur le visage de Mr S. : il dit être soulagé d'avoir surmonté cette épreuve et nous remercie. Nous sortons de la chambre, le soin terminé. Je suis alors satisfaite de mon intervention".
Mon premier questionnement sera En quoi l'utilisation de la relaxation avant le premier lever a-t-il permis une meilleure prise en soin globale du patient ?
. Il sera suivi par celui-ci, plus définitif, : En quoi l’infirmier, porteur d’altérité peut-il mettre en place des Médecines Alternatives et Complémentaires dans un cadre éthique ?
Notes
- GuetinS.,Touchon J., Music care, Le soin par la musique . Disponible sur www.music-care.com.fr
- Jacobson Edmond., Hypnose thérapeutique, Le training autogène de Schultz, Disponible sur www.hypnose-therapeutique.com
Lire le TFE - "Laissez-vous déranger, laisser-moi déranger…" (PDF)
Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern
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