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TFE - Comment communiquer avec un patient aphasique ?

Publié le 29/08/2019

En juin 2017, Bertrand Bilger, étudiant en soins infirmiers à l'Institut de formation de Mulhouse (promotion 2014-2017) soutenait avec succès son travail de fin d'études sur la thématique suivante : En quoi la communication mise en place par l’infirmier auprès d’une personne atteinte de troubles du langage peut jouer sur le bien-être du patient ? Il souhaite aujourd’hui le partager avec la communauté d’Infirmiers.com et nous le remercions.

La rééducation aphasiologique est un partenariat entre professionnels de santé qui doivent essayer de parler le même langage.

En service de soins de suite et de réadaptation, dans l’unité pour personnes cérébrolésées, un homme de 49 ans est admis pour une prise en charge rééducative de séquelles neurologiques, suite à un accident vasculaire cérébral qui s’est produit quatre mois avant. Il est marié, a deux enfants de 4 et 6 ans et travaille dans l’aviation civile. Il présente une hémiplégie droite totale et une aphasie centrale d’expression. 

Lors de ma première semaine de stage, je suis amené à rencontrer le patient pour une prise de paramètres. Lors du soin, dans sa chambre, je me rends compte de ma difficulté à communiquer avec lui, sa parole est constituée de stéréotypies (mots petit pas répétés en continu), seul le ton de sa voix varie. Il semble vouloir me demander quelque chose, je lui pose des questions mais je suis dans l’incapacité de comprendre ses réponses. Devant mon incompréhension, il se tait, baisse la tête et fond en larmes. Je me suis senti impuissant et désarmé envers ce patient, n’ayant jamais été confronté à ce type de pathologie, j’ai tenté de le rassurer mais sans succès. 

La prise en charge étant pluridisciplinaire, je me suis renseigné auprès de l’équipe lors des transmissions sur les moyens de communications utilisés, les réponses étaient aussi diverses que variées : Tablette à dessiner, questions fermées, gestes de la main… Il semblait que chaque professionnel utilisait sa propre méthode, plus ou moins improvisée lors du soin. 

En tant qu’étudiant infirmier avec un secteur réduit, j’ai pu passer du temps auprès du patient. Cela m’a permis de développer une communication avec lui lors des soins basés sur l’observation et une connaissance de ses habitudes. Grâce à la relation de confiance qui s’est établie entre nous, j’ai pu travailler avec lui sur ses capacités et son autonomie, selon les objectifs du plan de soin, avec une amélioration notable de son humeur.  Dans cette situation l’instauration d’une relation de confiance avec le patient s’est déroulée sur plusieurs semaines, principalement en raison des difficultés à établir une communication adaptée. Je me suis interrogé sur les facteurs qui ont freiné cette étape.

Les troubles de la communication sont rarement isolés et s’accompagnent souvent d’une ou plusieurs autres incapacités (hémiplégie, hémiparésie, héminégligence, troubles d’orientation, de l’écriture…).

Ne plus pouvoir formuler sa pensée qui reste intact dans son esprit

L'aphasie est la perte totale ou partielle de la capacité de parler ou de comprendre un message oral ou écrit. C'est aussi l'impossibilité d'associer une idée avec les mots justes.  Le patient est atteint d’une aphasie d’expression, appelée aphasie de Broca. L’aire cérébrale chargée de la mise en place des schémas corporels moteurs du langage est située dans le lobe frontal gauche, cette zone est lésée suite à un accident vasculaire cérébral ischémique.

Dans la situation le patient est dans l’incapacité de formuler oralement ses idées alors que celles-ci sont intactes dans son esprit. Il ne peut produire aucune phrase complète, il répète en boucle quelques mots et ne peut pas exprimer ses idées par écrit.  Témoignage d’une personne aphasique : La personne aphasique qui ne peut plus s’exprimer est confrontée à cette mort des mots dans sa propre bouche. La conscience reste intacte mais les mots, eux, se sont échappés, comme des moutons qui auraient sauté dans le précipice.

La démarche réflexive m’amène à poser un regard rétrospectif sur la situation de soin, afin d’identifier les savoirs manquants et ceux que je n’ai pas mobilisé. J’ai été décontenancé car j’étais dans une position où mes connaissances étaient insuffisantes pour accomplir mon rôle de soignant face à la détresse du patient.

Cependant les connaissances scientifiques ne suffisent pas, les savoirs d’expérience sont ceux qui dépassent les connaissances livresques, formalisées, ce sont ceux qui ont été testés par la réalité, qui ont subi le feu de l’action. Ainsi il est nécessaire d’être en situation réelle pour comprendre comment mobiliser ses connaissances. Dans leur pratique, les infirmiers sont confrontés à des dilemmes, partagés entre leurs valeurs professionnelles et les charges de travail à assumer, le soin technique primant sur le temps de rencontre avec le patient. Or, ce sont ces échanges qui permettent d’aider les soignants à établir une relation avec les patients, par une connaissance mutuelle, l’identification des besoins, des demandes, des ressources du patient, percevoir ses émotions…

Chaque situation de communication est une épreuve pour la personne qui pense mais ne peut plus s’exprimer.

La rééducation : un travail d’équipe entre les professionnels de santé

En tant qu’étudiant, j’ai pu bénéficier de temps supplémentaire auprès de la personne. Cependant le professionnel infirmier concilie soins techniques et soins relationnels, en tenant compte du temps imparti par l’organisation des soins et la répartition des tâches sur l’ensemble d’un secteur, il doit pour cela s’appuyer sur l’ensemble de l’équipe de soins.

Dans un service de rééducation, les intervenants dans le plan de soins sont nombreux : Médecins, infirmiers, aides-soignants, orthophonistes, kinésithérapeutes, psychomotriciens, ergothérapeutes… Ils interviennent chacun auprès du patient dans leur champ de compétences propre et établissent à leur tour une relation de communication. Comme le souligne Serge Bakchine : La rééducation aphasiologique est un partenariat entre professionnels de santé qui doivent essayer de parler le même langage. Sans base de communication commune, le patient doit s’adapter à chaque soignant et peut ressentir une forme de découragement et de démotivation. Il relève du rôle propre de l’infirmier d’élaborer, avec la participation des membres de l’équipe soignante, des protocoles de soins infirmiers relevant de son initiative.

Au niveau personnel, ce travail de recherche va me permettre de confronter mon expérience à celle des professionnels, afin d’être plus efficient dans la relation d’aide et la communication avec une personne aphasique, en y intégrant la dimension pluridisciplinaire et le rôle de coordination de l’infirmier. En effet, établir une communication et une relation de soin de qualité avec la personne aphasique, en prenant en compte sa singularité et ses difficultés, est de la responsabilité professionnelle de l’infirmier.

Le ressenti du patient dans la perte de ses capacités, la perturbation de l’image de soi, son désarroi face à son incompréhension, est une réalité vécue au quotidien et comprise par les infirmiers.

Lire le TFE - "L’entrée en communication avec la personne aphasique" (PDF)

Redaction d'infirmiers.com


Source : infirmiers.com