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QUESTION DE DROIT

Cumul de mandats : Thierry Amouroux devant la chambre disciplinaire

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Publié le 13/05/2024

Dans quelle mesure un infirmier peut-il cumuler mandats syndicaux et ordinaux sans qu’il y ait incompatibilité avérée ? Le cas de Thierry Amouroux a permis à la Chambre disciplinaire nationale d’offrir une première réponse à cette question.

balance, justice

En octobre 2022, suite à une plainte déposée par un infirmier libéral puis une autre du Conseil national de l’Ordre des infirmiers, Thierry Amouroux recevait un avertissement de la chambre disciplinaire de première instance de Nouvelle-Aquitaine. En cause : le cumul de mandats ordinaux et syndicaux. L’infirmier occupait en effet une fonction de président du Conseil départemental de l’ordre infirmier (CDOI) de Paris en même temps qu’une fonction identique au sein de la section syndicale de la CFE-CGC de l’AP-HP. À ces mandats, venait également s’ajouter depuis 2017 celui de porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI), au titre duquel Thierry Amouroux s’exprime régulièrement dans les médias, sans que celui-ci soit toutefois visé par la plainte. Il avait alors fait appel de la décision, l’avertissement reçu, s’il devait être confirmé, lui interdisant de faire partie du Conseil de l’Ordre pour une durée de 3 ans.

Des plaintes pour incompatibilité de fonction

En ce 12 janvier 2024, la chambre disciplinaire nationale se réunit pour trancher cette question : du fait du cumul de ses mandats, Thierry Amouroux s’est-il mis dans une situation d’incompatibilité de fonctions pouvant induire l’apparition de conflits d’intérêt ? Le code de la santé publique stipule en effet qu’il y a « incompatibilité entre les fonctions de président ou de trésorier d'un conseil départemental, territorial, régional, interrégional ou national de l'ordre et l'une quelconque des fonctions correspondantes d'un syndicat professionnel départemental, territorial, régional, interrégional ou national. »

La situation de Thierry Amouroux ne date en réalité pas d’hier. Lorsque la première plainte est déposée début 2021, l’infirmier préside le Conseil départemental de l’Ordre infirmier de Paris depuis 2008, soit depuis les débuts de l’Ordre, et a exercé comme président de la section syndicale de la CFE-CGC depuis 1999. Or les faits sont connus. « Il y a eu 14 ans de cumul de mandat pendant lesquels le Conseil national de l’Ordre n’a rien dit », souligne son avocate, Maître Caroline Spielrein, lors de l’audience. Fin 2020, pourtant, la Cour des comptes dénonce dans un rapport préliminaire cette situation de cumul, qu’elle confirmera par la suite dans sa version finale, en mars 2021. Dans sa réponse, l’infirmier se défend de toute forme d’incompatibilité, notant que le code de santé publique cible les fonctions exercées au sein d’un syndicat, et non pas celles occupées au sein d’une section syndicale. Pour autant, dans un souci de conciliation, il démissionne en février 2021 de la présidence de la section de la CFE-CGC de l’AP-HP, ce qui n’empêchera pas le dépôt des deux plaintes, en mars par un IDEL et en août par le Conseil national de l’Ordre infirmier.

La notion de « section syndicale » au cœur de l’affaire

Et c’est justement sur la différence entre ces notions de syndicat et de section syndicale que les deux parties adverses vont s’affronter tout au long de l’audience. Face au magistrat et assesseurs de la chambre, Caroline Spielrein défend une lecture stricte de la loi : « L’esprit de la loi ne peut pas être interprété, il ne peut pas y avoir de cumul de mandats autres que ceux qui sont mentionnés dans les textes », martèle-t-elle. De plus, souligne-t-elle, l’avis de la Cour des comptes de mars 2021 s’appuyait sur une information erronée : celle du coordonnateur général des soins adjoint au sein de la direction générale de l’AP-HP, qui avait alors indiqué que l’infirmier était président de la CFE-CGC SNPI quand il n’en était que le porte-parole. Or les textes n’évoquent pas les sections syndicales, justement. D’où il résulterait que les fonctions syndicales et ordinales exercées simultanément par Thierry Amouroux n’entraient pas en conflit.

Faux, lui répond la partie adverse. L’absence de statut juridique de la section syndicale, celle-ci ne constituant pas une personne morale à l’inverse d’un syndicat, n’est pas un argument recevable : « Une section syndicale n’existe pas sans syndicat ou union de syndicat. Et c’est un faux débat de dire que, parce qu’elle n’a pas de personnalité juridique, elle ne tomberait pas sous le coup de la loi », explique Maître Renan Budet, l’avocat de l’IDEL ayant porté plainte. « Ce simple fait suppose que, par analogie, les mêmes règles s’appliquent », pour l’une comme pour les autres. La loi doit faire l’objet d’une « lecture extensive, parce que ce sont les missions qui sont ici visées », souligne Maître Olivier Smallwood, représentant le Conseil national de l’Ordre infirmier, lors de l’audience. Soit la « défense d’intérêts catégoriels, là où l’Ordre impose une impartialité », complète Renan Budet.

Le cumul des mandats, une source de confusion

Le cumul des mandats et l’incompatibilité entre intérêt général et intérêts catégoriels seraient donc « source de confusion ». « Si on s’interroge, c’est que la question porte à confusion. Et on ne peut donc pas savoir précisément avec quelle casquette M. Amouroux parle », poursuit-il. Et ce d’autant plus au vu de la visibilité médiatique de l’infirmier, souvent sollicité en tant que porte-parole du SNPI, argumente-t-il.

Si cette fonction, visée dans la plainte d’origine mais non retenue par la chambre de première instance dans sa décision, elle vient « démontrer une nouvelle fois la difficulté de l’affaire. » Les plaignants souhaitaient ainsi alerter sur une situation qui favorise l’apparition de possibles conflits d’intérêts.

Un argument que balaie Caroline Spielrein lors de l’audience : « En 2 ans, ni le Conseil national de l’Ordre ni l’IDEL plaignant n’ont été en capacité de produire un exemple d’un possible conflit d’intérêt. Le Conseil national de l’Ordre a simplement indiqué que ça peut porter à confusion », fait-elle en effet valoir. Les missions syndicales et ordinales « ne sont pas contradictoires. Ce sont deux choses différentes en termes d’investissement. On peut vouloir défendre les conditions de travail des salariés d’un côté, et améliorer la reconnaissance de la profession infirmière et sa déontologie de l’autre », renchérit Thierry Amouroux. Il souligne qu’en 16 ans de mandature, aucun problème susceptible d’illustrer un potentiel conflit d’intérêt n’est apparu.  À noter par ailleurs qu’il a rempli sa déclaration d’intérêt fin 2020, comme l’exige désormais l’Ordre de ses élus. Elle leur impose ainsi de déclarer leur affiliation à des syndicats ou à d’autres formes d’organisation (associations…). « Celle-ci est réactualisée à chaque fois , précise-t-il. Il y a eu des élections ordinales récemment, et quand j’ai changé de mandat en quittant la présidence du Conseil de Paris, je l’ai modifiée. »

Définition de la personne morale
En droit français, la personne morale est une entité, généralement un groupement de personnes physiques réunies autour d’un intérêt commun, dotée de la personnalité juridique. Cela signifie qu’elle est titulaire de droits mais aussi de devoirs, identiques à ceux des personnes qui la composent. Syndicats, sociétés et associations constituent ainsi des personnes morales de droit privé ; État, collectivités territoriales et établissements publics, des personnes morales de droit public.

Pas d’incompatibilité avérée, tranche la Chambre

Dans sa décision, la chambre disciplinaire nationale a choisi de se conformer à la lettre de la loi, et non pas d’en faire une lecture extensive. Elle mobilise ainsi l’article L. 4125-2 du code de la santé publique, qui cible les fonctions syndicales et ordinales frappées d’incompatibilité, soulignant que les premières, telles qu’elles sont définies par le législateur, sont strictement associées à la notion de syndicat. Or, la notion de section syndicale « ne se confond pas avec celle de “tout mandat“ syndical », juge-t-elle. Car « les “sections syndicales“, auxquelles ni le législateur, ni la jurisprudence, approuvés en cela par la doctrine unanime, n'ont conféré de personnalité juridique, ne sont pas assimilables aux “syndicats professionnels“ ». En découle donc que les fonctions exercées par M. Amouroux au sein de la CFE-CGC n’entrent pas en conflit avec celles qu’il a pu remplir auprès de l’Ordre. En réalité, la chambre disciplinaire botte en touche : il n’appartient pas au juge ordinal « de se prononcer sur la question de savoir si le régime légal de ces incompatibilités est ou non suffisant pour concourir à préserver tout « conflit d’intérêts » », nuance-t-elle. Elle a donc fait le choix d’annuler la sanction infligée en première instance.

Par ailleurs, si Thierry Amouroux « a toujours contesté l’interprétation des textes régulant le cumul des fonctions ordinales avec d’autres fonctions, il a néanmoins engagé le processus […] de mettre fin à son mandat syndical auprès de l’APHP. » Le Conseil national de l’Ordre infirmier, en alertant sur la situation après avoir pris connaissance de l’avis de la Cour des comptes, aurait donc agit de façon « prudentielle », sans volonté de nuire à l’infirmier. Un objectif dont ce dernier aurait pris conscience en démissionnant de ses fonctions au sein de la section syndicale.

Il existe une frontière très franche entre les fonctions ordinales et les fonctions syndicales afin de respecter l’impartialité attendue de la part de l’Ordre infirmier et prévenir ainsi tout risque de conflits d’intérêts dans le respect de la liberté syndicale.

Une « jurisprudence Amouroux »

« M. Amouroux a toujours eu une petite longueur d’avance sur les dispositions légales. Il n’a jamais abandonné ses mandats syndicaux. Quand la loi le lui a expressément demandé, il a toujours démissionné pour occuper une autre fonction syndicale qui n’était pas visée par les textes », réagit Renan Budet, citant notamment la fonction de porte-parole que l’infirmier occupe au sein du SNPI et qui n’est effectivement pas concernée par les textes. « Il faut quand même relever ça. […] Il ne pouvait pas ne pas être conscient qu’il y avait une difficulté » à cumuler mandats syndicaux et ordinaux. « Je tiens compte des évolutions législatives, c’est normal », se défend de son côté Thierry Amouroux. « La réglementation est claire et je l’ai toujours respectée. »

La sanction ayant été levée, peut-on tout de même parler d’une « jurisprudence Amouroux » ? Oui, veut croire l’avocat. Thierry Amouroux a en effet bel et bien démissionné de ses fonctions de président de la section syndicale, avant de quitter celles de président du CDOI de Paris fin octobre 2023, au moment des élections ordinales, choisissant de ne pas renouveler son mandat. L’affaire vient rappeler selon lui qu’il y a « qu’il existe une frontière très franche entre les fonctions ordinales et les fonctions syndicales afin de respecter l’impartialité attendue de la part de l’Ordre infirmier et prévenir ainsi tout risque de conflits d’intérêts dans le respect de la liberté syndicale. » Et que les uns et les autres ne défendent pas les mêmes intérêts. À l’heure actuelle, au niveau syndical, Thierry Amouroux n’exerce plus que les fonctions de porte-parole du SNPI.


Source : infirmiers.com