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"En Ehpad, la pathologie efface la personnalité"

Publié le 27/07/2021
Bande-dessinée "Prends bien soin de toi"

Bande-dessinée "Prends bien soin de toi"

"En Ehpad, la pathologie efface la personnalité"

"En Ehpad, la pathologie efface la personnalité"

Après vingt ans de carrière dans la bande-dessinée, Geoffroy se retrouve contraint de trouver un vrai métier. Sans emploi, en dépression à la suite d’une rupture, il deviendra agent de soin avant de se lancer dans une formation d’aide-soignant. Dans Prends bien soin de toi, il raconte le rapport au soin, à la dépendance, le rythme effréné, la maltraitance administrative de certains Ehpad, mais aussi les belles rencontres que presque seul ce métier permet.

"Le premier module sur l’hygiène en secteur hospitalier devrait être suivi par toutes les personnes qui travaillent dans le secteur médical."

Comment êtes-vous passé du métier de dessinateur à celui d’agent de soin ?

Au moment où j’ai arrêté le dessin, il y avait de plus en plus de production de bandes dessinées et donc de moins en moins de place pour vivre de son travail. Je ne voulais pas entraîner ma famille dans la galère. Du coup, j’ai commencé à accepter des travaux de commandes jusqu’à n’avoir quasiment plus de contrat. Parallèlement, je vivais une séparation avec la mère de mes enfants. J’étais en rupture de paiement partout. On fait alors des rencontres plus au moins sympathiques : huissiers, juges qui nous conseillent de trouver un vrai métier. J’ai fait profil bas, je me suis mis à la recherche d’un emploi mais je n’avais aucune formation. J’ai finalement atterri dans un Ehpad. Au départ, je pensais que c’était pour faire le ménage mais c’était en fait un poste d’agent de soin. Sur le terrain, un agent de soin réalise les mêmes tâches qu’un aide-soignant, le diplôme en moins. J’étais dans unité fermée Alzheimer. C’était génial , jusqu’au jour où j’ai dû faire des allers-retours dans les autres étages. C’est là que j’ai commençais à sentir mes limites. Quand une personne tombait malade ou qu’il y avait des décès, j’étais très affecté. J’ai quitté l’Ehpad et j’ai commençais une formation d’aide-soignant. Je sentais que j’avais un petit potentiel pour travailler avec des personnes atteintes de troubles cognitifs. Mon objectif était d’exercer en psychiatrie. Mais au premier stage, je suis tombé dans un service d’hépato-gastro, face à des gens parfois plus jeunes que moi, en train de mourir. J’ai mal vécu ce stage et j’avais l’impression d’être un peu masochiste. J’ai arrêté au bout de la troisième semaine. J’ai quitté la formation non sans regret ; le métier du soin m’a vraiment transformé. Mon père a eu une tumeur au cerveau quand j’avais dix-huit ans. Les derniers mois avant qu’il ne décède, il était paralysé, incontinent, aphasique et j’étais le seul à la maison à gérer cette situation. Avec du recul, le fait de retourner au soin des années plus tard, m’a guéri de ces images de mon père, de cette période de ma vie.

Dans Prends bien soin de toi, l’agent de soin que vous êtes dit : C’est un métier tourné vers l’humain mais le fonctionnement est loin de l’être. C’est notamment ce qui vous a poussé à mettre fin à cette carrière ?

A l’Ehpad, j’avais l’impression de participer à un fonctionnement avec lequel je n’étais pas d’accord. L’humain disparaissait derrière la logistique. La notion d’argent est omniprésente dans certains établissements, qui sont pourtant côtés en bourse. Quand j’étais en formation d’aide-soignant, la majorité des étudiants sortait comme moi d’un Ehpad. Ils avaient décidé de suivre la formation pour ne plus y travailler. Ils adoraient le soin mais étaient écœurés par la manière dont il est pratiqué  dans ce type d’établissement. Ce n’est pas pour rien que les directeurs d’Ehpad ont du mal à trouver des aides-soignants diplômés. On parle souvent de la maltraitance à l’égard du résident, mais il y a aussi une maltraitance administrative. Les gens payent extrêmement cher et on nous embête sur le nombre de protections hygiéniques qu’on doit utiliser dans la journée. Je ne tire pas à boulet rouge sur les Ehpad, c’est très bien ; il suffit de voir le problème de la dépendance quand elle s’installe dans une famille pour comprendre à quel point ce type d’établissement est vital. Mais un peu plus d’humain et un peu moins de rentabilité ferait du bien. Là où j’exerçais, les repas du soir commençaient à 18h mais quoiqu’il arrive, il fallait que l’on commence à mettre les gens en chambre à 18h30. Si on ne le faisait pas, on se retrouvait seul pour coucher les résidents, alors on pressait le pas. C’est comme ça qu’on se retrouve à participer involontairement à cette maltraitance administrative. Un autre exemple aberrant : la gestion des médicaments. Je n’avais pas de diplôme et on me demandait de donner des médicaments, avec la responsabilité qu’il y a derrière cet acte. J’avais une collègue, agent de soin comme moi qui avait fait une erreur en donnant un médicament à un résident. Il était tard, il n’y avait pas d’infirmière. Elle a eu le bon réflexe en appelant SOS médecins pour évaluer la gravité de l’erreur. En l’occurrence, ce n’était pas grave ; mais le lendemain, elle a été virée. Avant de suivre la formation, je pensais que le métier d’agent de soin et celui d’aide-soignant étaient les mêmes. A l’école, je me suis vite rendu compte que les gestes que je faisais en Ehpad n’étaient pas les bons. Une formation pour exercer dans le secteur des soins devrait être obligatoire. Le premier module sur l’hygiène en secteur hospitalier devrait être suivi par toutes les personnes qui travaillent dans le secteur médical. Je suis retourné à la bande-dessinée après avoir mis fin à ma formation d’aide-soignant. Un éditeur m’avait dit de consigner mon expérience d’agent de soin lorsque j’étais à l’Ehpad. A l’époque, je n’imaginais pas revenir au dessin mais il m’a rattrapé…

Aujourd’hui, vous avez repris le crayon. Que retenez-vous de votre expérience dans le secteur du soin ?

Une rencontre avec une collègue aide-soignante qui retardait son départ à la retraite par amour du métier. J’avais plaisir à observer ses techniques de soin. Une autre rencontre : celle avec Robert, un résident mutique. La communication passait par le regard. Il avait un large sourire et un regard très profond. Quand on communique à travers les yeux, on parle d’âme à âme. La famille de Robert était un peu agressive et lui rendait visite une fois tous les six mois. Un jour, elle rentre dans le bureau pour me dire : Robert ne va pas bien. Lorsque je me suis rendu dans la chambre pour vérifier, il m’a fait un énorme sourire. Il faisait juste la gueule parce qu’il voyait très peu sa famille. C’était une journée particulièrement compliquée mais ce moment m’a gonflé le cœur. Je garde aussi le souvenir d’un patient contre lequel on m’avait mis en garde car il avait pour habitude de jouer avec ses selles. Il avait aussi la réputation d’être particulièrement agressif. Il l’était mais à force de me voir tous les jours, il s’est détendu jusqu’à s’ouvrir à moi en me montrant ses albums photos. C’était un grand architecte qui avait travaillé partout dans le monde. Après, à chaque fois qu’il me voyait passer dans le couloir, il agitait son album photo. Au départ, on focalise notre attention sur un vieux monsieur répugnant et agressif qui joue avec ses selles. La personnalité est effacée par la pathologie et on infantilise la personne alors qu’il suffit juste de prendre le temps pour la découvrir.

Propos recueillis par Inès KheireddineJournaliste infirmiers.com ines.kheireddine@gpsante.fr 


Source : infirmiers.com