Dans son récit intitulé "Finir en psychiatrie", en format court, sur le site communautaire Raconter la vie, Didier Morisot, oui, l'infirmier, celui que vous connaissez ... nous raconte avec sa verve réjouissante mais pour autant habitée, comment on soigne en psychiatrie, du genre : "Doucement, les gars ; on ne parle pas à un schizophrène qui monte dans les tours comme à un dépressif au fond de sa tranchée. Car nous fréquentons des personnes qui appréhendent le monde de façon très particulière". Extraits.
Les textes publiés sur le site Raconter la vie, site communautaire de ceux qui s'intéressent à la vie des autres - témoignages de patients, de leurs proches, de soignants... vont régulièrement être présentés sur nos pages ; une très belle source éditoriale que nous avons choisi de partager entre nos deux sites.
Un gros fainéant pour bosser en psychiatrie ?
Il y a longtemps, un de mes profs a eu une parole prophétique ; Morisot, vous finirez mal si vous continuez comme ça. Il avait raison, j’ai fini en psychiatrie. Bon, d’accord, quelque part je suis du bon côté de la barrière, si tant est qu’il y en a un meilleur que l’autre. En attendant, ça me change des urgences, ce pays de cow-boys où l’on enfonce, avec zèle, un tas de tuyaux dans le corps des gens. (...) Même que pour certains collègues qui cavalent en médecine ou en chirurgie, il faut être un gros fainéant pour bosser en psychiatrie. En tout cas, on y trouve un truc qui n’existe plus ailleurs : du temps ! Royal. Très souvent, on peut même soulager sa vessie en direct. Si, si, je vous promets.
Etre Espagnol est un plus dans ce métier car c’est un peu une corrida...
Faire des entretiens avec un public aussi varié ressemble vraiment à un jeu de miroirs déformants. On se cherche, on se cache, on joue à colin-maillard, on s’apprivoise, on prêche le faux pour savoir le vrai, on agite un chiffon devant soi pour faire diversion ; être espagnol est un plus dans ce métier car c’est un peu une corrida, quelque part. Olé. Un foutu jeu de rôles, en fait. (...) On évite aussi le face à face, cette position frontale sans nuances où les gens finissent par s’embrasser ou s’entretuer à l’arme blanche. (...) Ben oui, si vous dites : « Vous allez bien, n’est-ce pas ?», vous êtes au bord de la démocratie musclée. Par contre, avec « Comment ça va ?», le référendum reste ouvert. Bref, des questions ouvertes afin de faire émerger les émotions, le récit des faits en lui-même étant secondaire. On s’en fout de l’histoire, rien à battre du comment, à quelle heure, dans quelle position – ça, c’est bon pour le gars qui raconte son voyage à Compostelle, par exemple. (...) Car le monstre du Loch Ness n’est pas en Ecosse ; il est au fond de nous, bien au chaud… C’est ce que disait d’ailleurs un jeune psychotique, un de nos fidèles clients. Appelons-le Thierry, un gars pour lequel 2 + 2 faisait au moins 6… Dans sa folie, il était persuadé d’avoir un serpent dans la tête, une grosse vipère lovée dans sa boite crânienne. Angoisse.
Parler, pour mieux s'entendre ?...
Parler est une chose, se comprendre en est une autre. En tout cas, au final on doit rendre des comptes au « patient » (quelle expression bizarre) formuler ce que nous avons pigé de son discours. Lui qui s’enlaidit méthodiquement au quotidien, nous devons lui restituer à moitié plein ce qu’il voit constamment à moitié vide. Ne vous moquez pas, la nuance est de taille ; elle est de celles qui vous font prendre l’aube pour le crépuscule. (...) Afin de redonner un sens à ce qui ne ressemble plus à rien, nous jouons donc au funambule entre les « techniques » d’entretien et notre foutue spontanéité, ce tapis dans lequel nous nous prenons les pieds régulièrement mais qui nous évite d’être des robots soignants. (...) Cela dit, faut pas rêver ; la formulation est souvent laborieuse et on se retient de sortir les forceps. Les mots ne montent pas comme ça à la surface.
Se méfier lorsqu’on vous chante tout va très bien Madame la Marquise.
Tout ça pour dire que l’on croise des gens qui n’arrêtent pas de se vautrer, alors qu’on a déjà du mal soi-même à garder la verticale ; et les soirs où il pleut et qu’à la place du polar du vendredi, il y a un débat de société sur la parité des sexes au Parlement, on se prend un méchant coup de blues. On maudit le responsable des programmes télé et on occupe son temps libre à se dire qu’on se la pète grave avec notre prétention à vouloir aider notre prochain. On est bien démuni également lorsque le prochain en question décide de se foutre en l’air après nous avoir assuré que ça allait beaucoup mieux – toujours se méfier lorsqu’on vous chante tout va très bien Madame la Marquise. (...) Alors comme ça, M. X stockait les médicaments en vue de se suicider et vous l’avez laissé faire ?
Solitude du professionnel de santé en rase campagne. C’est combien le tarif, quand on fracasse un cendrier sur le crâne d’un flic ?...
Raconter la vie : la communauté de ceux qui s’intéressent à la vie des autres
Par les voies du livre et d’internet, Raconter la vie a l’ambition de créer l’équivalent d’un Parlement des invisibles pour remédier à la mal-représentation qui ronge le pays. Il veut répondre au besoin de voir les vies ordinaires racontées, les voix de faible ampleur écoutées, les aspirations quotidiennes prises en compte. Pour « raconter la vie » dans toute la diversité des expériences, la collection accueille des écritures et des approches multiples - celles du témoignage, de l’analyse sociologique, de l’enquête journalistique et ethnographique, de la littérature. Toutes les hiérarchies de « genres » ou de « styles » y sont abolies ; les paroles brutes y sont considérées comme aussi légitimes que les écritures des professionnels de l’écrit. Raconter la vie est la communauté de ceux qui s’intéressent à la vie des autres.
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Bernadette FABREGASRédactrice en chef Infirmiers.combernadette.fabregas@infirmiers.com @FabregasBern