Si la santé publique représente une dimension spécifique de certains exercices infirmiers, elle est au cœur de celui des professionnels de santé qui exercent au sein des ARS. Une approche qui suppose de s’écarter des fonctions traditionnelles et techniques des infirmiers ainsi qu'une pluralité de missions, entre veille et sécurité sanitaires et prévention.
En 1952, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) définissait la santé publique comme la science et l’art de prévenir les maladies, de prolonger la vie et d’améliorer la santé physique et mentale des individus par le moyen d’une action collective concertée
. Son champ d’action recouvre ainsi l’ensemble des dimensions de la santé, de sa promotion à la lutte contre les maladies, en passant par les actions de prévention et de réadaptation. En France, les missions relatives en santé publique s’effectuent au sein d’une pluralité d’exercices infirmiers : infirmier scolaire, en santé au travail, ou en PMI. Elles sont également au cœur de l’activité des Agences Régionales de Santé (ARS), qui les confient à leur cellule de veille et de sécurité sanitaires. Investigations, actions correctives, prévention…, quels sont les champs d’intervention de ces infirmiers ?
Au chevet de la population
C’est la discipline qui s’intéresse aux populations plutôt qu’aux individus et à l’ensemble des facteurs qui influencent la santé. C’est une approche holistique de la santé.
Voilà comment Marie Favard, infirmière au sein de la cellule Veille et sécurité sanitaires de l’ARS Ile-de-France depuis 2018, définit la santé publique. Nous ne sommes pas au chevet d’un patient, mais de toute la population
, renchérit Anne-Flore Bué, infirmière au sein de la Direction adjointe Veille et sécurité sanitaires de l’ARS Bretagne. Soit un secteur de la santé, estime sa collègue Caroline Vanderstocken, qui n’est que très peu abordé dans les études infirmières. Mais qui est bien au cœur des missions de ces trois professionnelles, chargées d’assurer au niveau régional la surveillance et l’analyse des événements indésirables
qui peuvent avoir un impact large sur la santé de la population générale : cas de maladies à déclaration obligatoire, toxi-infections alimentaires collectives (TIAC)… Dans le contexte de la crise sanitaire, les infirmiers en ARS ont notamment été sollicités sur les actions de contact et rétro-tracing
, afin de limiter la propagation du Covid-19 sur le territoire.
Un travail d’investigation
Tout débute par le recueil des signalements de ces événements, remontés via les points focaux régionaux attachés à certaines ARS ou la plateforme nationale de signalement, par les professionnels et les structures de santé, voire les particuliers. Charge ensuite aux équipes de veille sanitaire de mener une véritable investigation pour collecter toutes les informations (nature de l’événement, lieu, public touché…) relatives à la situation. Les entretiens peuvent s’appuyer sur des questionnaires préétablis, en fonction des événements, afin de récupérer les renseignements obligatoires. Mais il n’y a pas de technique commune à tous
, indique Anne-Flore Bué. Puis une fois l’information recueillie, nous allons répondre essentiellement à deux questions : le signal est-il vérifié ? Et est-il pertinent ?
, ajoute Marie Favard. Cela va nous permettre de le valider
et de déterminer les actions et mesures à mettre en place pour résoudre la problématique : fermeture d’une cantine scolaire le temps de l’analyse des denrées alimentaires en cas de TIAC, opération de vaccination face à une apparition de rougeole… L’objectif est de supprimer le facteur à l’origine de l’événement ; et, en fonction de la situation, d’anticiper et de prévenir les cas secondaires.
Exit donc les soins techniques. Toutefois, les infirmières peuvent intervenir ponctuellement sur le terrain en fonction de l’événement indésirable ou pour faire de la promotion de la santé. On réalise des visites à domicile au sujet du saturnisme, conjointement avec le département Santé Environnement de l’ARS, par exemple
, précise ainsi Marie Favard. On intervient généralement beaucoup à la demande des structures présentes sur le territoire.
Nous ne sommes pas dans le schéma où le médecin donne des ordres à l’infirmière, qui les exécute
Une approche en pluridisciplinarité
Cette approche suppose de travailler en pluridisciplinarité, aussi bien en interne qu’avec les partenaires présents sur le terrain. Au sein de l’équipe, nous travaillons énormément en collaboration, et c’est vrai que chaque membre de l’équipe possède des compétences et des appétences différentes
, relate Caroline Vanderstocken, ce qui facilite également l’entraide entre les différents professionnels en fonction des sujets. Les médecins de la cellule, eux, apportent leur positionnement médical lors de l’analyse de l’événement et les échanges avec les praticiens présents sur le terrain. Un aspect collaboratif qui gomme la relation hiérarchique traditionnelle avec les infirmiers. Nous ne sommes pas dans le schéma où le médecin donne des ordres à l’infirmière, qui les exécute
, confirme Anne-Flore Bué. On ne retrouve pas cet aspect hiérarchique, ce qui est très plaisant
.
La collaboration se construit également sur le terrain, non seulement avec les acteurs locaux – professionnels de santé et de l’éducation nationale, et collectivités territoriales – mais aussi avec les organismes institutionnels, tels que Santé Publique France, et les autres départements de l’ARS. Nous travaillons en transversalité sur de nombreux sujets
, témoigne Marie Favard. Les deux départements avec lesquels nous coopérons le plus sont Santé environnement et Autonomie
, ce dernier étant notamment sollicité sur la gestion des épidémies de grippe ou de gale
, mais l’ensemble des départements peuvent l’être en fonction de l’événement. Chaque ARS, si elle reste soumise à des consignes strictes dans sa gestion des problématiques sanitaires, demeure libre d’instaurer ses modes d’organisation, en raison des particularités territoriales. On ne prend pas en charge les mêmes pathologies dans le sud de la France qu’en Bretagne
, indique Caroline Vanderstocken. Ces spécificités sont toutefois un atout, car elles permettent, via des retours d’expérience, d’imaginer des réponses adaptées face à des événements inhabituels. Pour les arboviroses, l’Ile-de-France a été mise en alerte après le sud de la France, où le moustique tigre s’était implanté en premier
, raconte Marie Favard. Quand on a mis en route nos protocoles, on s’est logiquement rapproché de l’ARS PACA pour qu’elle nous fasse part de ses études, des outils utilisés.
Cette capacité qu’ont les infirmiers à discuter avec les patients est fondamentale
Au sein de ces équipes, l’infirmier remplit un rôle de coordination entre les différents professionnels de santé et les acteurs de terrain impliqués dans les investigations. Dès qu’une expertise supplémentaire dans la réalisation des enquêtes est nécessaire, nous échangeons avec le médecin de veille, les cliniciens, les infectiologues référents, ou encore Santé Publique France
, explique Marie Favard. Nous remplissons un rôle de coordination dans l’expertise, nous mettons tous les acteurs autour de la table afin d’évaluer la situation et prendre les dispositions
. Sa plus-value repose sur l’expérience de terrain et sur la compréhension des modes de fonctionnement des structures de santé : Les événements indésirables se produisent souvent dans les secteurs sanitaire ou médico-social. Il y a une vraie plus-value à connaître la prise en charge des patients et l’organisation des services et des soins
, souligne Caroline Vanderstocken. À cela, s’ajoute une certaine compétence relationnelle, issue de la pratique soignante, favorisant la création d’un lien de confiance et de proximité entre l’infirmier de l’ARS et les individus contactés au cours de l’enquête, qui peut faire défaut chez le médecin. Cette capacité qu’ont les infirmiers à discuter avec les patients, à les mettre à l’aise et à les questionner, est fondamentale
.
Un arc aux cordes multiples
Ce type d’exercice infirmier requiert surtout des connaissances diverses et une véritable adaptabilité afin de répondre à la pluralité des situations qui peuvent survenir. Il faut effectivement pouvoir passer d’un sujet à un autre et garder un seuil de connaissance suffisant pour gérer de nombreux types de signalements
, remarque Anne-Flore Bué. Il faut se tenir informé tout le temps ».
Savoirs cliniques, compétences en gestion de crise, notions en épidémiologie…, les missions de ces infirmiers « nécessitent des connaissances en santé qui recouvrent beaucoup de domaines
, renchérit Marie Favard. Une dimension qui s’avère stimulante professionnellement et intellectuellement, mais qui représente également l’une des difficultés de ce type de fonction. Ce n’est pas un travail qu’on peut faire en dilettante
, insiste de son côté Caroline Vanderstocken.
Pour autant, nul besoin d’avoir suivi une formation particulière pour accéder à ce type de poste. Il n’y a pas de formation obligatoire, il n’y a pas de profil type. On vient tous d’horizons complètement différents
, affirme ainsi Marie Favard, qui a notamment travaillé en tant qu’infirmière scolaire. Ce sont avant tout les cursus et les expériences de terrain qui vont jouer ; difficile donc pour les jeunes diplômés d’y avoir accès. En revanche, une fois en poste, ces infirmiers ont accès à une pluralité de formations, proposées par l’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP). Et si elles ne sont elles-mêmes pas obligatoires, elles sont très souvent suivies par les professionnels de santé afin de répondre à l’évolution des protocoles ou des pratiques. Pour pouvoir pratiquer au jour le jour, il faut s’informer sur les modalités de gestion d’une situation, sur les actions à mener, les protocoles qu’on peut proposer
, confirme Anne-Flore Bué, elle-même détentrice d’un Master 2 « Pilotage des politiques et action en santé publique », dispensé par l’EHESP et qui compte suivre prochainement une formation en épidémiologie de terrain. C’est assez évident qu’il faut toujours monter en compétence. On vient tous du soin, mais il est toujours nécessaire d’ajouter des cordes à notre arc
, conclut Marie Favard.
Pour aller plus loin : Site de la Société Française de Santé Publique
Audrey ParvaisJournaliste audrey.parvais@gpsante.fr
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