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AU COEUR DU METIER

Horace Wells et l’invention de l’anesthésie

Publié le 17/03/2022

Depuis la plus haute Antiquité, l’Homme expérimente ce qui peut diminuer la sensibilité à la douleur de son prochain: les Grecs le chanvre indien et le vin de mandragore ; les Hindous et les Chinois la jusquiame et l’opium ; les Incas et les Aztèques des préparations à base de plantes narcotiques… jusqu’au dentiste américain Horace Wells qui, au milieu XIXe siècle, utilisera le gaz hilarant pour désensibiliser ses patients.

Les premières tentatives d'anesthésie remontent au XIXè siècle.

L’invention de l’anesthésie commence par un concours de circonstances. En 1844, Horace Wells vient de mettre au point avec Thomas Green Morton, son assistant, une prothèse dentaire. Tous deux comptent sur elle pour faire fortune. Mais sa pose nécessitant l’extraction des dents abîmées, la crainte de la douleur décourage les clients potentiels. Quand le dentiste américain assiste quelque temps plus tard à une démonstration dans une foire, il réalise l’opportunité s’offrant à son ambition

De la dentisterie à l’anesthésie

Nous sommes le 10 décembre 1844. Lors d’une exhibition, Gardner Quincy Colton, chimiste et directeur de cirque itinérant, présente aux chalands les propriétés du gaz hilarant. Pour 25 cents, les spectateurs sont invités à respirer ces émanations sur le stand. Résultat : les effets sont si euphorisants que les volontaires perdent le contrôle de leur personne. L’un d’eux tombe, se blesse à la jambe et n’éprouve même aucune douleur. Pour Wells la démonstration est faite. Dès le lendemain, afin de juger par lui-même des sensations, il se fait pratiquer une extraction dentaire sous protoxyde d’azote. Je n’ai pas eu plus mal que si c’était une piqûre d’épingle ! confie-t-il alors.

Les mois suivants, Wells expérimente l'administration du gaz sur plus d’une quinzaine de ses patients. Parallèlement à son travail de dentiste, il poursuit ses recherches et testent d'autres gaz anesthésiants, dont l'éther. Mais le protoxyde d'azote reste selon lui le plus sûr. Et fort de ses expérimentations, il se laisse convaincre d’en faire une démonstration dans le grand amphithéâtre de l’École de médecine de Harvard devant un parterre d’éminents médecins et chirurgiens

Du protoxyde d’azote à l’éther

Le jour dit, Horace Wells, impressionné, expose en bredouillant les propriétés du protoxyde d’azote devant un auditoire sceptique qui le chahute. Délaissant la théorie, il propose un essai pratique à un étudiant volontaire. Après lui avoir fait respirer du protoxyde d’azote, le dentiste entreprend de lui extraire une dent cariée. Et ô catastrophe, le malheureux pousse un terrible cri de douleur. Le gaz a tout bonnement été mal administré. Mais l’incident met un terme à la crédibilité du dentiste innovateur. Wells sort sous les huées. La sentence du Pr. Warren, chirurgien renommé, est irrévocable : Messieurs, ceci est une plaisanterie !
Malgré cet échec cuisant, Wells poursuit ses expérimentations. Avec application, il recueille les témoignages de ses patients afin de tenter de convaincre ses confrères chirurgiens-dentistes d’adopter cette technique…jusqu’au jour où l’un d’eux décède suite à l’inhalation du gaz. Il abandonne alors définitivement ses essais… et la chirurgie dentaire. Alors que d’autres scientifiques adhèrent à ses conclusions sur le protoxyde d’azote.

Amer et désespéré, il devient dépendant au chloroforme, un autre gaz anesthésiant découvert par James Young Simpson en 1847 et qu’il avait entrepris de tester sur lui-même. Il met fin à ses jours le 24 janvier 1848, à l’âge de 33 ans, en respirant ce fameux gaz avant de s’ouvrir l’artère fémorale.

Après un certain succès comme anesthésique, le protoxyde d’azote, responsable de lésions organiques, est abandonné au profit de l’éther. En janvier 1842, William E. Clarke l’emploie pour la première fois pour une opération dentaire. En mars, Crawford William Long débute une longue liste d’interventions chirurgicales sous éther mais tarde à publier ses observations.

Ceci n’est pas une plaisanterie

Le 30 septembre 1846, Thomas Green Morton, l’ancien assistant d’Horace Wells, prêt à pratiquer une extraction dentaire mais ne disposant plus de protoxyde d’azote, fait respirer à Eben H. First un tampon imbibé d’éther. L’intervention se déroule sans incident ni douleur. Sur les conseils du chimiste Charles T. Jackson, il adopte l’éther chlorhydrique, plus efficace que l’éther sulfurique.

Conscient de l’intérêt financier de sa découverte, Morton dissimule l’identité du produit employé : après l’avoir coloré en rose, il le baptise Léthéon. À la recherche de la consécration par ses pairs, il recontacte le Pr. Warren. Sceptique depuis l’échec de Wells, Warren lui propose néanmoins son amphithéâtre pour pratiquer une intervention chirurgicale sous éther. Le 16 octobre 1846, Warren réalise en public l’ablation d’une tumeur sur Gilbert Abbot. À son réveil, le patient déclare n’avoir strictement rien ressenti. Convaincu de l’intérêt de cet anesthésique, Warren lance à son auditoire : Messieurs, ceci n’est pas une plaisanterie !

Tristes fins

Morton imaginera un inhalateur permettant la délivrance d’une quantité précise d’éther selon le type d’intervention et publie le résultat de ses travaux sur le Léthéon (1849). Le succès remporté en Angleterre comme en Europe est tel qu’il ne peut dissimuler plus longtemps la supercherie : Morton révèle que le Léthéon n’est autre que de l’éther coloré en rose. Une tempête de protestations s’abat sur lui : Long et Jackson revendiquent, chacun à titre personnel, l’attribution de ladite découverte.

Tribunaux et sociétés savantes sont appelés à les départager. Peu importe leurs verdicts, chacun reconnaît sa seule et propre vérité. En 1868, Jackson donne une interview sans mentionner Morton. Fou de colère, ce dernier saute dans une voiture pour obtenir réparation. Le cheval s’emballe provoquant un accident : Morton décède sur le bord de la route. Cinq ans plus tard, Jackson, éthéromane, meurt dans un asile d’aliénés.

Et tu n’accoucheras plus dans la douleur…

Le 4 novembre 1847, James Young Simpson réalise son premier accouchement sans douleur sous éther, substance vivement recommandée depuis les travaux de Morton. Ses parturientes étant fortement incommodées par l’odeur, il expérimente d’autres solvants organiques volatils. Le chloroforme recueillera son adhésion : d’une action plus rapide que l’éther, ses effets sont d’une durée approximativement identique.

Malgré les critiques de l’Église, la majorité des Anglaises lui est favorable. Les mouvements de réprobation s’étoufferont lorsque la reine Victoria fera appel au Dr. Snow, disciple de Simpson, pour accoucher sous chloroforme du prince Léopold (1853) puis de la princesse Béatrice (1857).

Quelques décennies après, l’anesthésie sous péridurale fait son apparition. L’idée en revient aux médecins français Jean-Anthanase Sicard et Fernand Cathelin (1901) ; sa réalisation au chirurgien italien Archile Mario Dogliotti (1933) suite aux travaux de son confrère espagnol Fidel Page décédé peu après leur publication (1921).

Isabelle Levy, conférencière - consultante spécialisée en cultures et croyances face à la santé, elle est l’auteur de nombreux ouvrages autour de cette thématique. @LEVYIsabelle2


Source : infirmiers.com