Comment renforcer l’attractivité du métier infirmier et limiter la pénurie soignante ? Cela passe par de nouvelles formes d’organisation du travail et de management. Infirmiers.com a convié pour en débattre Rodolphe Bourret, directeur du centre hospitalier de Valenciennes, dont le modèle de gouvernance mise sur l'autonomie managériale des équipes médicales et soignantes et Carole Marmet, trésorière adjointe du Conseil national de l’Ordre infirmier.
La pandémie liée à la COVID-19 a mis en lumière l’importance de disposer d’un management de qualité dans le monde hospitalier mais aussi plus proche du terrain avec une plus grande implication des équipes médicales et soignantes. Une forme de gouvernance que le centre hospitalier de Valenciennes expérimente déjà avec succès, via un concept jusqu’alors inédit en France et inspiré des Etats-Unis : celui de Magnet Hospital
ou "hôpital magnétique". Une organisation qui ouvre un large champ d’autonomie aux soignants.
Un modèle de délégation inédit en France
Ce modèle va à contresens de la hiérarchie : les décisions sont prises par les acteurs de terrain
, avance Rodolphe Bourret, son directeur général. Invité sur le plateau TV d’Infirmiers.com lors du dernier Salon Infirmier*. Il s’agit de constituer une gouvernance partagée entre soignants, médecins et administratifs. Ainsi dans notre établissement les prérogatives du directeur général sont déléguées à 90%. Chaque chef de pôle est accompagné dans ses prises de décision d’un cadre soignant et d’un cadre administratif. Ils ont aussi la possibilité d’embaucher des personnels et d’engager des dépenses hôtelières ou médicales en toute autonomie dans le cadre d’un "contrat de pôle" validé par la direction
.
Un management inspirant
Ce modèle, à l’heure où 40% des infirmiers envisagent de quitter la profession (selon une enquête récente de l’ONI), peut effectivement se révéler attractif. Les inclure dans le dispositif de prise de décision, c’est sans aucun doute redonner du sens à la pratique à l’hôpital
, confirme Carole Marmet, cadre de santé à l'APHM et trésorière adjointe du Conseil national de l’Ordre infirmier. Elle y voit un pas vers ce besoin de reconnaissance inhérent à la condition des soignants dont la crise sanitaire a été un révélateur. Les infirmiers ne comprennent pas comment ils peuvent être aussi importants et aussi peu importants
, observe-t-elle. A savoir, durant cette période, ils ont été les derniers professionnels de santé à pouvoir se rendre à domicile, précise-t-elle, ils ont dû prendre des décisions parfois seuls, faute prescription médicale et ont pu accompagner les patients en toute sécurité. Et en même temps on leur explique que leur autonomie est limitée !
. Or reconnaître cette autonomie à l’hôpital est selon elle une forme de valorisation fortement attendue.
La délégation est une forme de respect envers les équipes soignantes
Le système de délégation managériale instauré à Valenciennes est-il en l’occurrence aisément reproductible dans d’autres établissements de santé ? Cela ne fait pas de doute pour son instigateur, qui met un point d’honneur à s’en faire le relais. La délégation est une forme d’autonomie mais aussi de respect envers les équipes soignantes
, plaide Rodolphe Bourret, estimant que son modèle novateur de management hospitalier va dans le sens de l’évolution des mentalités et des attentes des professionnels de santé
.
Vers la fin d’une hiérarchie pyramidale
Carole Marmet espère quant à elle que les décrets attendus en application du Ségur pourront ouvrir la voie à cette incursion des soignants dans la gouvernance hospitalière. Un changement qu’elle appelle de ses vœux pour remplacer l’actuel système pyramidale
qu’elle juge obsolète
et au sein duquel les infirmiers ne se sentent pas entendus. Les infirmiers n’ont pas besoin d’être maternés, ils savent exactement ce qu’ils ont à faire et sont tout à fait capables de gérer un budget
, argue-t-elle, insistant sur le fait qu’ ils sont prêts à travailler en partenariat mais ne veulent plus d’une hiérarchie pyramidale
.
Soit mais plus de délégation signifie aussi, sans doute, plus de travail, plus de responsabilités pour la mission soignante. Avec quelle contrepartie et comment ne pas empiéter sur le temps soignant dont beaucoup se plaignent déjà qu’il est trop réduit ? Certes le temps soignant n’est pas extensible, et si les salaires des infirmiers devaient se mesurer à l’aune de leur engagement, ils devraient être extrêmement bien payés. Mais la rémunération, même si c’est un point important, n’est pas la priorité
relève Carole Marmet. L’attente essentielle des infirmiers aujourd’hui reste la reconnaissance. La reconnaissance de leurs compétences, de leur expertise et de leur place cruciale dans le système de soin
.
Le label Magnet Hospital
: un concept made in USA
L’Association des Infirmiers Américains (ANA) a relevé dans les années 1980 les caractéristiques qui faisaient que certains établissements de santé avaient d’excellents résultats en termes d’attractivité, de fidélisation du personnel soignant et de qualité de soins. Sur la base de ces travaux, et avec le soutien de plusieurs directions d’établissements, l'association a mis en place un programme d’accréditation intitulé Magnet Hospital
("hôpital aimant" ou "hôpital magnétique"). Ce label récompense les hôpitaux qui réussissent à attirer et à fidéliser leurs personnels infirmiers.
*qui s’est tenu dans le cadre de SantExpo, du 17 au 19 mai 2022 à Paris
Betty Mamane, directrice de la rédaction
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