Quelle est la situation de l’emploi et de la formation dans le secteur privé de la santé ? C’est pour répondre à cette question que l’OPCO Santé (voir encadré) a réalisé en partenariat avec BVA un baromètre emploi-formation en sollicitant ses structures adhérentes (sanitaire, médico-social et social privé à but non lucratif, services de prévention et santé au travail interentreprises et hospitalisation privée dont le thermalisme)*. Il faut dire que le sujet est d’une brûlante actualité. Dans un domaine frappé de pénurie et traversant une profonde crise d’attractivité, la formation et l’évolution professionnelles sont perçues comme des leviers pour attirer et fidéliser les personnels.
Aides-soignants et infirmiers, premiers dans les effectifs
Dans les établissements, les métiers liés à la filière du soin sont les plus représentés et constituent 40% des effectifs (soit 530 000 salariés), note Steve Flanet, directeur délégué de BVA. Et parmi eux, 32% sont associés aux soins et à la prévention et concentrent une part importante d’infirmiers et d’aides-soignants (AS).
7 métiers concentrent la majorité des effectifs avec, sur le podium, les aides-soignants (12,4%, soit plus de 168 000 salariés) suivis des infirmiers (8,3%, soit plus de 112 000 salariés). Un « fort taux de féminisation » est observé (78% de femmes, contre 22% d’hommes), poursuit-il, qui s’explique notamment par la sur-représentation des femmes dans les métiers d’AS et d’infirmiers. La plupart des salariés, tous métiers confondus, sont par ailleurs en CDI (85%), les CDD représentant 13% des effectifs quand l’alternance plafonne à 2%. « Le recensement a été réalisé au 31 décembre 2021, alors que les établissements rencontraient des difficultés pour accueillir les malades tout en étant confrontés aux arrêts maladies provoqués par la pandémie. Donc il y a eu des recrutements plus importants de personnes en CDD » pour absorber la charge de travail, nuance Steve Flanet.
Les Opérateurs de Compétences (OPCO), au nombre de 11, sont des structures qui ont pour mission d’accompagner les entreprises dans la gestion des compétences et de la formation de leurs salariés. Ils assurent notamment le financement des contrats d’apprentissage et de professionnalisation, favorisent la transition professionnelle des travailleurs ou aident les entreprises à définir leurs besoins en matière d’emplois et de compétences. L’OPCO Santé est chargé du secteur privé de la santé.
7000 infirmiers prêts à raccrocher la blouse
L’âge moyen des salariés se situe autour de 43 ans, indique-t-il par ailleurs, avec une part importante en « milieu de carrière », soit « entre 30 et 54 ans », dont deux tiers de femmes. Un constat qui ne va pas sans soulever « un certain nombre de problématiques, à commencer par la question des parcours professionnels et la nécessité d’anticiper la deuxième partie de carrière, dans un secteur où les inaptitudes sont fréquentes et supposent plus de prévention », relève-t-il. A cela s’ajoutent les professionnels en fin de carrière (les plus de 60 ans) et leur corollaire : les départs en retraite à venir. Si leur nombre « tend à se stabiliser voire à se réduire par rapport à ce qui était observé il y a 5 ans, des volumes conséquents de départs en retraite sont à prévoir dans les prochaines années », souligne-t-il. Plus de 100 000 seraient ainsi attendus dans les 3 ans, dont ceux de nombre d’AS (7% des effectifs actuels) et d’infirmiers (6%) ; ces derniers pourraient être près de 7 000 à raccrocher la blouse.
De grandes difficultés de recrutement dans l’hospitalisation privée
Or ces départs en retraite vont venir se heurter aux actuelles difficultés, déjà majeures, des établissements à recruter. Près de 2 établissements adhérents à l’OPCO Santé sur 3 (68%) déclarent peiner à recruter des professionnels, avec une sur-représentation du côté de l’hospitalisation privée (88% des établissements). Dans le détail, 72 000 postes seraient à pourvoir, dont 46 000 dans le secteur du soin et 20 000 au sein de la branche éducative et sociale. Dans le soin, ils représentent ainsi 9% des effectifs actuels, et 5,2% de ceux présents dans l’éducatif. « Les volumes sont écrasés par deux métiers », précise Steve Flanet, reflet de la répartition globale des professions : les AS, avec 15 000 postes à pourvoir (9,2% des effectifs actuels) et les infirmiers, avec plus de 14 000 places vacantes (13,1% des effectifs). « Ces ratios de tensions ont probablement doublé en 5 ou 10 ans », commente-t-il. Et parmi ces métiers en tension, les infirmiers de bloc opératoire apparaissent en première position avec 557 postes à pourvoir. Un constat qui fait écho à celui que réalisait déjà la Fédération hospitalière de France (FHF) en juin dernier. La situation s’explique, entre autres, par « la nécessité de qualification pour réaliser certains actes ».
La pénurie de candidats pour les diplômes recherchés (AS à 87%, infirmiers à 83%, mais aussi orthophonistes à 78,4%) arrive en première place des raisons avancées pour expliquer ces difficultés. Alors les établissements sont contraints de mettre en place différentes stratégies à court terme pour compenser : réorganisation du travail (61%), recours aux CDD ou contrat jours (47%), heures supplémentaires (47%), recours à l’intérim (47%) ou aux « faisant fonction » (20%)… À plus long terme, ils tablent sur les collaborations avec Pôle emploi et les écoles, les viviers de candidats avec une meilleure gestion des candidatures spontanées, ou encore l’amélioration des processus d’intégration des nouveaux arrivants pour les fidéliser.
Au 31 décembre 2021, l’OPCO Santé recensait 10 496 structures (associations, entreprises) regroupant 29 600 établissements. Il embarquait alors :
- 1,3 million de salariés, hors intérimaires et travailleurs handicapés dans les ESAT,
- Soit 3,5% des 25,32 millions de salariés en France et 39% du secteur santé – action sociale.
- 1,04 million de salariés travaillant dans le secteur sanitaire, social et médico-social non lucratif, 275 000 en hospitalisation privée, et 18 000 en prévention et santé au travail.
En 2021, il a financé 574 000 formations, pour un montant total de 519 millions d’euros.
Des tensions qui vont encore se renforcer
Les données du baromètre sont essentielles car, en plus de témoigner de la réalité du terrain, elles permettent également d’identifier les métiers frappés de pénurie et de disposer d’une « vision globale des dynamiques de l’emploi et de la formation par secteur et par métier, afin de nourrir une réflexion stratégique sur l’avenir », rappelle Rachel Bécuwe, cheffe de service adjointe du délégué général à l’emploi et formation professionnelle au sein du ministère du Travail. Or, le document démontre que « les difficultés de recrutement ne paraissent pas avoir atteint un plateau » et ont même tendance à se creuser, s’inquiète Florent Giordano, maitre de conférences en sociologie à l’université de Reims. En cause, des phénomènes socio-économiques qui auront nécessairement un impact sur les modes de fonctionnement des établissements : crise énergétique et inflation, qui augmentent les dépenses, vieillissement des patients, mais aussi nouvelles maladies à prévoir du fait du bouleversement climatique et mouvements migratoires appelés à augmenter. « Nous aurons à prévoir de nouveaux métiers, à les définir, à les rendre attractifs », liste-t-il.
Les professionnels en poste sont les premiers ambassadeurs de ces métiers.
Evanne Jeanne-Rose, membre du CESE et rapporteur de l’avis "Les métiers de la cohésion sociale", pointe, lui, une vraie dégradation des conditions de travail. « Nous n’avons pas tant un problème d’attractivité » au sein du secteur qu’un problème de rétention. « Nous sommes en train de dégoûter nos salariés », prévient-il. « Le CESE appuie sur l’enjeu que représentent les professionnels en poste afin qu’ils restent en poste mais aussi parce qu’ils sont les premiers ambassadeurs de ces métiers », complète-t-il.
Et de noter que l’enjeu de la formation est primordial. Car « une fois en poste, les seules formations qui semblent disponibles sont celles qui servent à monter dans la hiérarchie, dans l’encadrement. Or il y a beaucoup de salariés que ça n’intéresse pas. » Réadapter les commandes de formation en région, mettre l’accent sur l’apprentissage, mettre à jour le Répertoire Opérationnel des Métiers et des Emplois (ROME) qui référence et définit les métiers, ou encore sécuriser les modes de financements des formations sont autant d’axes qui pourraient ainsi être mobilisés pour renforcer l’attractivité du secteur.
* dont les résultats ont été présentés le 8 décembre à la Mairie du Xème arrondissement de Paris.
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