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MODES D'EXERCICE

Soins infirmiers auprès d'enfants Népalais

Publié le 07/01/2013

Romuald André, 26 ans, est bénévole infirmier au sein de l'Association Pomme Cannelle qui s'occupe des enfants des rues de la capitale népalaise, Katmandou. Il est revenu de sa mission au Népal et souhaite faire part de ses travaux à la communauté d'Infirmiers.com et nous l'en remercions.

Population :

Enfants des rues du Népal (Katmandou) en rupture avec la famille. Ils ont le profil vif, débrouillard. L'enfant le plus jeune rencontré pendant mon séjour est âgé de 11 ans.

Facteurs de risques :

  • Pauvreté du pays : 1 euro = 100 roupies. Espérance de vie : 66 ans. Revenu mensuel moyen : 80 euros. Indice de Développement Humain (éducation, niveau et espérance de vie) : rang mondial 138 sur 169 ;
  • Famille absente (décès, maladie, absence de logement, décès du parent, abandon du foyer ou tout simplement activités les mettant hors de leur domicile de 6h à 19h chaque jour), famille trop nombreuse.

Conséquences pour ces enfants :

  • Maladie (absence totale d’hygiène, pas de vaccination) ;
  • Problèmes et risques de santé : déficit général en auto-soins avec une altération de l’état cutané et des muqueuses, (sur)infection (contexte communautaire donc proliférations des germes), hémorragies, douleur, anxiété, perturbation de l’estime de soi et du caractère, stratégies d’adaptation inefficaces, troubles nutritionnels, isolement social, risque de passage à l’acte sur soi-même et/ou autrui… ;
  • Comportement à risque : délinquance (risque réel d’être un délinquant et risque d’être pris pour un délinquant, automutilation, sévices de la police ou des enfants eux-mêmes entre eux ;
  • Usage de drogue : colle qui se sniffe (bon marché donc facile d’accès) ;
  • 20 fois plus de risque d’avoir le SIDA qu’une personne lambda ;
  • Exploitation du travail ;
  • Agression sexuelle ;
  • « Enfant sans enfance et sans avenir ».

Prise en soins par l'Association Pomme Cannelle fondée par Hervé Lafoux en 2001. SAMU quotidien des rues par l’Association (éducateurs locaux et bénévoles infirmiers). Moyens : moto, à pieds dans les rues et au sein du bâtiment de l’Association, cahier de traçabilité.

« Il faut vraiment s'estimer heureux quand l'enfant accepte les soins »

Quand :

La nuit est le moment propice pour rencontrer ces enfants des rues.

Lieux :

Dans la rue: Bagabazar, Thamel, Ratna Park. Lieu insuffisamment sûr et conditions de vie délétères. Elle est aussi le premier niveau de contact avec l’enfant. Soins prodigués si l'enfant le veut, le comprend et est prêt. S’il le veut, il peut venir au :

  • Drop-in (centre d'accueil) : deuxième niveau de contact - centre d’accueil d'urgence de l’association. Les soins sont prodigués quotidiennement. L'enfant peut prendre une douche, manger, boire et dormir, apprendre, raconter son histoire et jouer. Il peut aussi choisir de retourner à la rue ;
  • Foyer “Transit” : troisième niveau - sorte d’internat, évaluation du niveau des enfants.

Ces rencontres ont pour buts la réintégration familiale (première intention) ou à l'école/dans les foyers et le soutien des enfants grâce au système de parrainage.

Soins infirmiers :

Tout se fait au cas par cas selon les principes d'éthique : autonomie de l'enfant, respect de sa volonté et de sa dignité, bienveillance, non malfaisance et justice (chaque enfant peut entrer à l’association et est libre). Il faut donc pouvoir les convaincre et les persuader en tenant compte de leurs choix et de leur cheminement personnel ce qui passe d'abord par l'écoute de ce qu'il dit de lui-même. Les éducateurs locaux, formés en théorie et en pratique par leur propre expérience, ont recours au “counseling” pour orienter, aider, informer, soutenir et traiter. En adoptant une attitude de fermeté bienveillante, ils expliquent la notion d'urgence et l'insuffisance de la rue sans moraliser.

Le mardi 19 septembre 2012 par exemple, dans l’après-midi, un enfant ivre du Drop-in, D.R., 15ans, s'est automutilé à l’arme blanche causant ainsi quatre plaies importantes sur chaque jambe. Il fallait l'emmener à l'hôpital pour faire des points mais au début, l'enfant refusait même nos premiers soins. Cela était dû au monde présent dans la salle de soins et donc au manque d'intimité et à la chaleur humaine. De plus, l'enfant était non disponible physiquement, mentalement et émotionnellement. Un éducateur l'a donc pris à part, sans le juger et l'enfant est revenu pour que je lui fasse les pansements.

L'objectif était simplement de protéger la peau, prévenir le risque infectieux et arrêter les saignements. Après, c'est sûr, il y a plein d'autres problèmes de santé déjà évoqués précédemment : la douleur, les troubles de la personnalité, l'anxiété... Mais on ne peut pas tout régler d’un seul coup (ce qui serait proche du paradigme de la totalité et de la toute puissance). On fait donc ce qu’on peut ici et maintenant (les pansements). De cette manière, on tente de résoudre chaque élément particulier petit à petit, même si en réalité, les choses sont plus complexes car plus simultanées.

Il faut vraiment s'estimer heureux quand l'enfant accepte les soins. C'est déjà une entrée dans le processus d'auto-soins (reconnaissance de l'enfant du besoin d'aide et acceptation du rôle et de la place du soignant et du soigné). Il existe aussi des carences affectives : les enfants peuvent être en conflit avec les parents, la société ou d'autres enfants des rues qu'ils fuient. Parfois, ils n'ont plus aucune cellule familiale et ont donc besoin d'amour, d'une relation chaleureuse et sans jugement. Apprendre les soins infirmiers, c’est un point mais le vrai respect de l'autre dans sa différence culturelle (hygiène très très différente), ça c'est difficile ! C’est pourquoi les éducateurs locaux indiquent comment gérer le matériel et ne pas faire du gaspillage notamment en le réutilisant. C'est loin d'être facile lorsqu'on vit dans une société où tout est à usage unique.

Le travail en rue permet de connaître assez vite les enfants que l'on croise. Même s'il n'y a pas de médecin, il est possible d'amener les enfants à l'hôpital ou de demander l'avis d'un pharmacien.

Les activités menées

Fielding (tournée des rues) du vendredi 21 septembre 2012 - Ratna Park

K, 19 ans - La semaine dernière, sa plaie n’était pas autant infectée. Insistance sur le fait qu’il faut qu'il aille à l’hôpital ou qu’il vienne au moins au Drop-in (Centre d’Accueil d’Urgences). Il acquiesce simplement.

B, 17ans - Garçon ayant une partie du visage et du cou brûlé. Ici plaie infectée du pied rouge, inflammatoire. Extraction purulente, douleur.

S. 16 ans - Plaie surinfectée (arme blanche ?). Purulence, douleur.

Soins infirmiers auprès de B. - mardi 16 octobre 2012

B., 16 ans, est arrivé de Patan et vit au Drop-in (Centre d’Accueil d’Urgence) de Katmandu depuis deux mois. Les informations ont été recueillies auprès de Kopil, le manager-éducateur du centre.

Situation de départ :

Ongle du gros orteil droit branlant connu par Kopil, le manager-éducateur du centre. Quand j’ai demandé à B. de se laver les pieds avant de faire les soins (ce qu’il a fait), il s’est ensuite arraché lui-même son ongle sans souffrir.

Soins infirmiers :

Données liées à l’expérience des membres locaux : Kopil a déjà été confronté à un problème d’ongle arraché. Il n’avait pas envoyé l’enfant a l’hôpital. Des soins locaux quotidiens avaient été donnés, l'hôpital étant coûteux et chronophage.

Technique : Utilisation d’un set à pansement stérile pour ce genre de problème cutané récent. Afin d’éviter le risque infectieux (pas de saignement important mais la barrière cutanée sous l’ongle est bien abimée et constitue une brèche les microbes), utilisation de sérum physiologique, séchage, irrigation à la Bétadine, puis pose de tulle gras et de bandages.

« On a des ressources mais on ne sait pas comment les utiliser »

Relationnel/éducatif/humain: Utilisation de la communication non verbale et de mots en anglais simples dont il a quelques faibles notions. Kopil et Kedar (coordinateurs de rues) lui ont expliqué l’importance de marcher avec des chaussures et de procéder à la réfection du pansement tous les jours. Après la pose du pansement, B. et moi sommes allées lui acheter des chaussures pour qu'il évite de marcher pieds nus à l'avenir. Nous nous sommes ensuite assis près de la boutique et, la faim se faisant ressentir, je lui ai offert de quoi manger. Il a ainsi compris que le soignant ne le considère pas seulement comme un “orteil malade” et qu’il est possible de partager du temps.

Processus d’auto-soins : B. semble avoir compris la nécessité du soin. Je le vois régulièrement au drop-in : c’est un enfant calme et plutôt conciliant. Ce moment passé après le pansement a permis de renforcer la relation de confiance soignant/soigné. Nous verrons s’il est assidu et attentionné aux soins et nous surveillerons l’évolution de son orteil.

Bilan des activités infirmières - début novembre 2012

Transit : dès septembre 2012, les plaies des enfants du Transit ont cicatrisé grâce à la réfection des pansements quotidienne et à l'antibiothérapie.

L. n’ a plus de verrues au pied et à la main droite. Traitement homéopathique par voie orale débuté le week-end du 13 octobre 2012.

A., 13 ans, est arrivé mi-octobre 2012 au Transit et vient de Butual Bhairabahr. Echec des pansements au tulle gras sur sa plaie au talon droit. Efficacité du nitrate d’argent. Il a quitté le centre sans raison apparente le 24 octobre 2012.

S. a été amené à l'hôpial des enfants après le Dasain (fête népalaise). Il était atteint de diarrhée, vomissements et d'importantes douleurs abdominales en matinée. Une infection urinaire a été diagnostiquée. Antibiothérapie prescrite par le médecin pendant une semaine. Il a conseillé que je le perfuse avec du sérum physiologique et du glucose 500 ml pendant quelques heures. Il allait mieux après du repos et une alimentation adaptée. La perfusion intraveineuse a été enlevée le soir même.

Traitements biannuels contre les vers (roundworm) donnés aux enfants le 29 Octobre 2012. Prochains traitements le 29 Avril 2013.

Cinq sessions de Yoga pour les enfants en groupe ont débuté lors des vacances scolaires. Quelques cours sont donnés individuellement à A.A., 8 ans, présentant des difficultés de compréhension. Nous observons de bons résultats avec les enfants, en particulier chez S.,12ans, et S.,9ans, intéressées et très souples (grand écart facial) ; B. est très motivé et calme. A.A. fait des progrès en cherchant moins le chemin pour accéder à la posture. Ils ont tous de bonnes capacités et le besoin de canaliser leur énergie. Ce yoga assez physique permet de travailler la concentration, la perception corporelle par contractions/étirements musculaires et le respect de ses limites corporelles.

Jeux de constructions, sortie balançoire, sortie cerf-volant au Ratna Park avec Shankar.

Basic Training Health: j’ai commencé cela avec le personnel du Transit qui a aussi des besoins en connaissances liées à la santé. Il a recourt au manager-éducateur du centre d’accueil d’urgence lorsqu’il a besoin d’aide, sauf qu’il n’est pas toujours là. Achat de posters anatomiques (décorant aussi la pharmacie), lexiques d’anglais en cours sur les problèmes de santé rencontrés au Transit et ce qu’il est possible de faire pour y remédier.

Fielding (tournée de rues) et Drop-in (centre d’accueil d’urgence) : Kopil, le manageur-éducateur du Drop-in a noté la bonne évolution des plaies dès septembre 2012 des enfants du centre et des enfants des rues.

Y., 17ans, retrouvé le 2 novembre  2012 à Durbar Square dans un grand état d’incurie, sentant l’immondice, pleurant, souffrant et ayant du mal à marcher. Il a été amené au Drop-in center. En collaboration avec Kopil : douche et premiers soins (multiples plaies génitales probablement syphilitiques, datant d’un mois). Il a été redirigé vers l’Association du CPCS à Belebazar qui le prendra en soins gratuitement.

B., 16ans, au Drop-in, ongle du gros orteil droit arraché le 16 Octobre 2012, est en bonne santé.

« Le travail en rue permet de connaître assez vite les enfants que l'on croise »

Prise en soins post-opératoire - Abcès inguinal gauche d’un des membres de l'Association Pomme Cannelle. Demande d’avis médical avant la poursuite des soins infirmiers à l'association. Chirurgie esthétique à l’hôpital en cours.

Première “Out Reach” (sensibilisation dans la rue) avec Gita le 2 novembre 2012 de 9h à 17h. Circuit : Basantapur, New Road, Sundara, Mankar, Ratna Park, Jom Mall, Thamel, Chatrapati, Durbar Square. Premiers soins.

Samedi 3 Novembre 2012 : Sortie culturelle avec Kopil, Gita et une douzaine d’enfants du Drop-in à la White Gumba (marche d’une heure pour s'y rendre). Déjeuner dans un restaurant de momos (plat tibétain).

Nouveaux stocks de matériels :

  • 21 octobre : 3 gros sachets de bandes, compresses, tulles gras, antibiotiques, sparadrap, aiguilles, pansements d’escarre à réutiliser avec créativité apportés par des bénévoles.
  • 4 boites de sets de pansements stériles apportés par Hervé Lafoux de la part de volontaires contenant 200 petites compresses et une vingtaine de petites bandes.

Deux infirmières (peut-être de futures volontaires) sont venues visiter l'association.

Projets de soins infirmiers entre novembre et décembre 2012

Basics Trainings Health : Les membres locaux qui font des pansements lors des tournées de rue et des séances de sensibilisation recevront aussi des leçons de base : corps humain, nourriture, hygiène des mains, techniques de pansements, désinfection, matériel et médicaments.

Ecoute et examen des attentes en matière de soins infirmiers des membres des associations :  « besoin de connaissances pour savoir quoi faire », « on a des ressources mais on ne sait pas comment les utiliser ».

Vérification de la trousse des premiers soins de chacun des membres des tournées de rue : 2/4 membres.

Poursuite du planning :

  • 8h-9h : soins aux enfants du Transit en collaboration avec Shankar et Shambu ;
  • 10h : soins au Drop-in avec Kopil ;
  • 20h-22h: Fielding avec Bishnu et Surbass dans les rues de Kath à pieds ;
  • 20h-22h du lundi au vendredi : En alternance avec Bishnu,Surbas et Kedar à pieds dans Katmandou (Bagabazar, Illibazar, Birhospital, Sundhara, Mahankal). En moto en banlieue. Il y a peu de besoins d’interventions en moto pour l’instant ;
  • 7h30  le vendredi uniquement avec Kopil pour des Fielding et le foot des enfants des rues.
  • mercredi à 15h, meeting habituel avec le fondateur de l’association et /ou le Directeur.

Favoriser l’information et la communication avec les membres et les enfants : Poursuite du cahier de suivi des soins infirmiers des enfants du Transit, poursuite des comptes rendus (comme le font les membres locaux d’APC). Initiative du “Sleep File” par Shambu pour savoir qui dort au Transit.

Gestion de la pharmacie (commandes, traçabilité).

Utilisation de médicaments nutritionnels (magnésium) et d’autres suppléments nutritionnels commencés fin octobre 2012.

Lecture du “Guide International sur la Méthodologie du travail de rue” de Boeve et Giraldi : poursuite des soins infirmiers avec « des intentions formelles » et « des apparences informelles [de nos actions] », « redonner du lien social », « idée de processus : exploiter le potentiel de la situation, ne pas s’enfermer dans des carcans, des solutions toute faites. », « prendre soin et accompagner les personnes ». Faire manger les populations stigmatisées des rues dans les restaurants permet à la société de les voir différemment.

Romuald ANDRE
Infirmier bénévole à l'Association Pomme Cannelle
romuandre@gmail.com


Source : infirmiers.com