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Les soignants sous l’œil bienveillant de Sylvie Legoupi...

Publié le 22/11/2012


Sylvie Legoupi, photographe, revendique au travers de son travail une éthique humaniste qui vise à valoriser et à sacraliser des moments de vie professionnelle. Bien au-delà, ses reportages dans des services de soins « sensibles » ont une portée militante. Explications.

Infirmiers.com - Vous êtes photographe et vous avez effectué plusieurs reportages dans des services de soins. Quelle est votre formation et pourquoi ces choix tournés vers des populations vulnérables ?

Sylvie Legoupi - Titulaire d’une licence de Lettres modernes, je suis photographe autodidacte. Au début, je réalisais des photos dans la rue ou bien aux sorties des messes (!), j’habitais alors Rennes et j’étais encore étudiante. Je me suis immergée dans le monde hospitalier un peu par hasard. Je souhaitais « tester mes capacités d’adaptation », voir ce que je valais face à des thématiques douloureuses touchant la vulnérabilité de l’humain. Je me posais une question : étais-je capable émotionnellement et intellectuellement de porter un regard photographique sur ce qu’il y a de plus intime chez l’autre ? Tel a été mon point de départ. Le CHU de Rennes a été le premier à m’accepter dans un service de néonatalogie et cette expérience m’a profondément marquée. L’hôpital est en effet un fantastique laboratoire humain qui m’a permis de grandir professionnellement en me confrontant aux exigences photographiques du reportage en immersion. Grâce à ces expériences photographiques en néonatologie, hématologie ou soins palliatifs qui ont formé mon regard, j’ai pu aborder d’autres sujets (je pense à mes reportages en entreprise) avec une sorte de sensibilité supplémentaire. Je pense honnêtement que je ne photographierai pas de la même façon si je n’avais pas travaillé initialement mon regard à l’hôpital. En effet, ces photos « m’habitent » et je pense souvent aux soignants et aux patients que j’ai photographié. Ils font partie de moi.

I. C - Comment avez-vous choisi - et pourquoi - ces unités hospitalières que vous appelez « sensibles » : néonatologie, soins palliatifs, hématologie ?

Sylvie Legoupi - Je n’ai pas choisi la néonatalogie, c’est plutôt la néonatologie qui m’a choisie car c’était le seul service qui a accepté ma présence au CHU de Rennes. J’ai trouvé que c’était bien de commencer par la naissance, le début de toute existence humaine. A travers ce travail, j’ai voulu mettre en lumière les compétences humaines des soignants, leur aptitudes à prodiguer des gestes de réconfort, d’empathie envers ces enfants nés trop tôt. Par cette attention, j’ai voulu montrer que la dimension technique, certes  indispensable à la survie de ces enfants, n'est pas la seule prédominante et que la dimension humaine et tactile, même si elle paraît plus discrète, est toujours existante et vécue comme partie intégrante des soins. Ma démarche a été identique ensuite dans le service d’hématologie du CHU de Nantes, le seul également qui ait accepté ma présence. Peut être que ces services dit « sensibles » ont plus besoin de reconnaissance et du regard d’un tiers pour valoriser les soignants. Le seul choix que j’ai réellement fait a été le reportage dans un service de soins palliatifs. Financée par le Conseil Général d’Ile-et-Vilaine, je me suis intégrée un mois durant, « en immersion totale », dans l’unité de soins palliatifs du CHU de Saint-Malo avec l’accord du Dr Révillon, chef de service, et de son équipe. A travers ce choix et cette attention photographique, je voulais témoigner de la richesse et de la qualité  d’une vie qui prend fin grâce aux soins d’accompagnement prodigués par l’équipe paramédicale associée à un groupe de bénévoles. Ainsi, à travers ces deux reportages antinomiques (la naissance et la mort) une même constatation émergeait : les progrès scientifiques, les gestes et les mots les plus simples sont au service des valeurs fondamentales de toute existence humaine : naître, mourir dans le respect de la continuité de la vie..


I. C -  Qu'est-ce que vous savez souhaité montrer, en choisissant le noir et blanc, et plutôt les portraits, notamment en néonatologie ?

Sylvie Legoupi - Par cette attention et ce choix photographique, j’ai voulu montrer que la dimension technique, certes indispensable à la survie de ces enfants, n’est pas la seule prédominante et que la dimension humaine et tactile, même si elle y parait plus discrète, y est aussi présente et vécue comme partie intégrante des valeurs des soins. Le noir et blanc élude, gomme l’importance de la technicité et apporte une dimension intemporelle et universelle à la photographie. Les clichés ont été réalisées à l’hôpital, certes, et il faut contextualiser son travail mais je pense - peut être à tort - qu’ils renvoient à autre chose, à des sentiments, des ressentis que tout être humain peut comprendre et partager. En effet, en qualité de photographe indépendante, je me suis toujours focalisée sur la dimension humaine avec pour conviction que le lien humain est fondamental dans toute activité et qu’il est nécessaire de le mettre en évidence. Poser un regard photographique sur le monde de l’hôpital a été pour moi l’expérience professionnelle la plus formatrice et la plus riche humainement mais peut être est-ce une évidence que de le formuler tant cette institution est, à bien des égards, le terrain de tous les apprentissages éprouvés, tôt ou tard, par chacun d’entre nous. Le rapport à l’autre - ou plutôt le souci de l’autre qui est le propre de notre humanité - prend ici alors tout son sens car aucune autre profession que celle de soignant n’impose une telle proximité  quotidienne avec le corps souffrant de l’autre.

I. C – Puisque vous parlez des soignants, justement, comment vous ont-ils accueillie ?

Sylvie Legoupi - Toujours très bien et j’ai même gardé des contacts amicaux avec certains d’entre eux. Lorsque mon travail trouve un prolongement positif comme récemment où l’un de mes clichés issu de mon reportage en hématologie vient d’être retenu dans le cadre d’un concours photographique américain et va être exposé à Minneapolis, ma première réaction a été de l’annoncer à tous les soignants que j’ai rencontré dans ce service. C’est la moindre des choses que de leur rendre hommage ainsi. En effet, au cœur même des services hospitaliers les plus sensibles, les soignants veillent à établir et à cultiver une dimension relationnelle du soin et une intimité relationnelle avec le patient qui illustrent la dimension « affective » de leur travail même si parfois ils s’en défendent, mettant en avant la « juste distance » qu’ils doivent établir avec la personne soignée.

Sacraliser ces moments par le biais de la photographie valorise tous ces « petits riens du soin », difficilement quantifiables, mais qui font toute la différence grâce à la seule présence et la qualité de l’attention des soignants. A l’instar de la société française de psycho-oncologie qui milite pour réintroduire une dimension humaine dans la formation des soignants, mon travail photographique pourrait contribuer, par le témoignage qu’il apporte, à ériger la culture du soin comme valeur de sociabilité touchant au principe du vivre ensemble, du lien social exprimé, assumé et enfin reconnu. De fait, mon travail, je m’en rends bien compte, est aussi militant.

I. C –Quels sont vos projets en l'état et pour l'avenir ?

Sylvie Legoupi - Durant ces trois reportages effectués dans des services « sensibles », convaincue d’être un témoin privilégié qui peut voir et donner à voir des moments intenses de soins, d’échanges et d’émotions, je me suis souvent demandé ce qui se vivait dans d’autres services hospitaliers, si le souci de l’autre était autant présent et reconnu comme valeur universelle de de soin. L’envie m’est donc venue logiquement de continuer ma démarche photographique dans différentes structures de soins et d’accueil : urgences, maison de retraite, psychiatrie, pédiatrie... Ces expériences me permettront d’approfondir mon approche photographique, d’affiner mon œil pour capter l’invisible des soins, le moins perceptible, mais son essence même. La photographie est en effet un formidable outil de communication pour ce secteur professionnel en manque de reconnaissance. Accueil, disponibilité, dialogue, attention, présence... autant de valeurs soignantes qu’il est nécessaire de valoriser.  De fait, je suis donc particulièrement heureuse que mon reportage en soins palliatifs ait fait partie des finalistes aux concours photographique internationale Pollux Awards 2010, à Londres, catégorie professionnelle, reportage humanitaire

Propos recueillis par Bernadette FABREGAS
Rédactrice en chef Infirmiers.com
bernadette.fabregas@infirmiers.com


Source : infirmiers.com