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DOCUMENTATION

Cours ifsi - Les points importants de l’entretien infirmier

Publié le 12/12/2012

Les « entretiens infirmiers », souvent associés à la relation d'aide, représentent un domaine dont le champ d'action s'élargit à mesure qu'on l'étudie... Ce bref aperçu n'a de prétention qu'à évoquer les pistes relationnelles qu'elle peut ouvrir et certaines notions incontournables validées par la plupart des professionnels. Libre à chacun ensuite de s'en inspirer en l'adaptant à sa propre personnalité.

Ce texte est donc une simple « proposition » de synthèse car le domaine est vaste et, quoiqu’en disent certains, ne relève pas d’une science exacte. Les pistes que j’ai l’intention d’évoquer reflètent donc une expérience professionnelle plus qu’autre chose et n’ont aucune prétention exhaustive. Cela dit, la dynamique de cette relation soignant/soigné est régie par des notions incontournables que nous pouvons essayer de recenser. Rappelons au préalable que les entretiens infirmiers (encadrés par la Loi du 4 mars 2002 - art. 1111.7 - décret du 29 avril de la même année) n’ont de sens qu’en lien avec une délégation, une supervision médicale. Un infirmier est tout sauf un franc-tireur. Son travail trouve sa place au sein d’une équipe pluridisciplinaire et s’articulera avec celui de ses collègues, de l’assistant social, du psychologue… avec lesquels il déterminera les orientations, les objectifs du projet thérapeutique.

Le B-A BA auquel on ne pense pas forcément...

Se souvenir, notamment lors d'un premier entretien de nommer la personne, bien sûr, se nommer aussi tout en présentant l’institution pour laquelle on travaille. Dire ce que l’on peut apporter, définir éventuellement un objectif, informer de la durée de la rencontre… et bien évidemment rappeler le caractère confidentiel de la démarche.

Le cadre matériel

Le choix du lieu, de l’heure, de la fréquence des entretiens… demande une réflexion préalable. Choisir si possible un endroit calme, sans téléphone prêt à sonner, une lumière non agressive… cela dit, certains entretiens ont lieu à domicile, sur un territoire qui n’est pas le nôtre. L’objectif pourra être alors de rassurer la personne afin qu’elle assouplisse ses mécanismes de défense, son fonctionnement ritualisé, et de l’inviter par la suite en terrain neutre. Une fois installés, se pose la question de la présence d’une table ou d’un bureau. Cette barrière parfois rassurante pour l’un est aussi symbole d’autorité potentiel pour l’autre ; s’y retrancher n’est pas anodin. Une juste distance est à rechercher, en ayant à l’esprit la notion de porte de sortie (physique et psychique). Notre cerveau reptilien garde en effet des traces de notre passé de gibier répondant à l’agression par l’attaque ou la fuite. Deux options qui nous inciteront à ne pas nous intercaler entre le patient et la porte extérieure…

L’attitude

Cette notion nous poussera également à nous asseoir de biais par rapport à notre interlocuteur, laissant ainsi possibilité au regard de s’échapper. De biais, voire côte à côte dans certains vécus particulièrement angoissants. Le face à face (synonyme de fusion ou d’affrontement) est en principe à éviter, exception faite pour les situations de recadrage ou de rappel à la Loi. Ceci nous amène naturellement à la synchronisation, cet outil plus ou moins conscient qui facilité l’altérité : adopter la même gestuelle, le même ton de voix, regarder l’autre s’il nous regarde… Il s’agit donc de « faire alliance », de calquer ou d’induire un comportement adapté chez notre interlocuteur.

Les différentes finalités

Le but d’un entretien est bien évidemment très variable, fonction de la personne et de la problématique du moment. Notons-en quelques-uns, pour l’exemple.

 

  • L’entretien d’accueil, pour commencer. Il s’agit donc de faire connaissance, de se présenter au sens large et de recueillir des informations administratives, personnelles, qui peuvent d’ailleurs être un excellent support à la relation.
  • Le soutien, le débriefing, afin de désamorcer un vécu douloureux. On insiste sur la verbalisation, l’expression du ressenti, avant de pointer les ressources que l’on perçoit chez la personne, les qualités qu’elle peut mobiliser, l’aide qu’elle peut obtenir dans son entourage…
  • La relation d’aide proprement dite, où nous ne sommes plus dans l’urgence, contrairement au débriefing post-traumatique.
  • La prise du traitement, cet enjeu central où l’on joue volontiers au chat et à la souris. Il faut garder en mémoire les trois principales causes à l’origine de l’arrêt d’un traitement :
    1. un conflit avec le médecin ou une personne de l’équipe soignante ;
    2. la personne n’a plus besoin de se soigner…
    3. des effets indésirables, réels ou imaginaires, induits par les médicaments ;
    4. une absence de conscience des troubles, en lien avec un déni de la maladie ou une efficacité du traitement faisant croire à une « guérison » ;
    • Le recadrage, le rappel à la Loi, nécessaire lorsque la personne perturbe (consciemment ?) le vivre-ensemble et teste ses limites à travers les nôtres.

    Le déroulement d’un entretien

    Il n’y a pas de scénario-type, bien sûr, mais certains éléments se retrouvent de façon récurrente car obéissant à une logique incontournable…

    • Ouvrir le dialogue… en prenant soin de laisser l’initiative au patient, c’est son espace, pas le nôtre ! Vu de l’extérieur, le début d’une rencontre peut rassembler à une conversation, mais c’est aussi à l’intérieur d’un dialogue informel que l’on trouve matière à entretien. Nous sommes donc là pour aider notre interlocuteur à ce qu’il découvre lui-même ses propres solutions. En effet, faire à sa place n’a aucune valeur. Dans ce but, on ne doit pas craindre le silence. Il ne s’agit pas de parler mais d’exprimer. L’important est de faire émerger des émotions, les faits en eux-mêmes étant parfaitement secondaires. On posera donc préférence des questions ouvertes, répondre simplement par oui ou non ayant tendance à fermer la discussion. On peut également favoriser la parole en faisant écho à des mots-clefs ou des phrases que l’on perçoit comme importantes. Certains jours où le dialogue sera moins spontané, on utilisera des fils conducteurs divers et variés ; quels sont vos défauts et vos qualités (d’après vous-même et votre entourage) ? Vous rappelez-vous de vos rêves ? Comment serez-vous dans dix ans ?...
    • Le feed-back : c’est le fait de vérifier sa propre perception. Est-ce bien cela que vous ressentez ? Ai-je bien interprété vos paroles ? Dans un contexte traumatique, douloureux, ce retour est vital pour la personne concernée. Etre compris, tout simplement, suffit d’ailleurs à désamorcer nombre de situations potentiellement violentes dans les services d’urgence…
    • La formulation positive, ou reformulation : quel éclairage peut-on apporter ? Est-il possible de voir les choses autrement ? Il s’agit en fait de voir à moitié plein ce fameux verre d’eau que l’on a tendance à croire à moitié vide. Le vocabulaire employé sera précis afin d’être pertinent et utile :
    1. ce que vous ressentez est-il de l’ordre du désir ou du besoin ? ;
    2. êtes-vous sûr que votre « activité » ne tourne pas souvent à l’agitation ? ;
    3. non, vous n’êtes pas fatigué, paresseux… vous êtes déprimé…
    • Le rôle de l’infirmier est de donner du sens, de faire du lien entre le vécu de la personne et les enjeux dont elle n’a pas forcément conscience : les mécanismes de défense mis en place, un éventuel secret de famille, une aptitude refoulée car rejetée par l’entourage… Ce dernier cas de figure nous amenant à évoquer la théorie de l’ombre, cette partie de nous-même, abandonnée, qui frappe à la porte de notre inconscient et que nous fuyons (ou recherchons !) chez les autres…
    • L’élucidation : elle est de même nature que la reformulation, mais en plus aboutie. Elle vient « résumer » ce que nous retirons de l’entretien en soulignant l’essentiel :
    1. non, vous n’avez pas fait de mal à vos enfants suite à votre hospitalisation. S’ils ont souffert, c’est à cause de votre absence, de l’absence de vous. Votre présence, au contraire, est bénéfique ! ;
    2. le rejet que vous manifestez est peut-être la manifestation d’une attirance que vous ne pouvez assumer…
    • La conclusion de l’entretien : elle est logiquement tournée vers une ouverture, dans une dynamique que l’infirmier essaye d’encourager de son mieux. Le patient doit repartir avec une perspective plus ou moins formulée, un éclairage différent aussi minime soit-il. Au besoin, on lui propose de réfléchir à un point précis, il repart avec une question à creuser… Le risque est grand en effet de tourner en rond rapidement et de valider un mode de fonctionnement pathologique trop douloureux à modifier. Dans ce cas, l’infirmier dédouane le patient et entérine un travail contre-productif…

    Les obstacles à l’échange

    Ils sont bien sûr extrêmement divers et parfois très pernicieux… citons-en quelques-uns parmi les plus courants.

    • La toute-puissance : elle transforme le soignant en gourou. Un bon antidote est de se remettre en question soi-même, en permanence, sans craindre de le faire à voix haute. Ainsi, émettre des hypothèses audibles aide l’autre à rentrer lui-même dans un processus de remise cause. Un manque d’humilité peut également nous retenir d’arrêter un suivi. Pas question de s’avouer vaincu ! Cette attitude peut entraîner des effets pervers fusionnels à type de dépendance. On entretient le besoin de consulter, aux dépens de l’autonomie de la personne…
    • La formulation négative : même si on l’utilise au quotidien, il faut garder en tête que l’inconscient ignore la négation. Si vous dites à quelqu’un « n’aie pas peur, tu n’es pas en danger », il retiendra ce qu’il doit repousser : la peur et le danger ! Par contre, si vous dites « détends-toi, tu es en sécurité », les mots-clefs sont de nature bien plus rassurante… attention donc à notre manière de construire nos phrases !
    • Le mode d’expression préférentiel : c’est la « porte d’entrée » de l’interlocuteur qui engendre des dialogues de sourds incompréhensibles. Nous pouvons en effet nous dévoiler de différentes manières lors d’un premier contact : en partageant nos émotions (avez-vous aimé ce film ?), en mettant en avant notre intellect (que pensez-vous de la symbolique de cet événement ?), ou en nous cachant derrière une action purement matérielle (alors, ce match… ?) Si nous ne parlons pas le même langage, si nous n’employons pas le même code, nous risquons vite de flirter avec un drame majeur de la communication…
    • Des transferts et des contre-transferts mal identifiés : le soignant n’est pas un robot (heureusement…), il travaille avec ce qu’il est, mais encore faut-il avoir conscience de ce qui se vit lors d’un échange et savoir profiter de la symbolique des émotions que cela éveille en nous, en les identifiant de façon claire… ce qui nous ramène à cette fameuse juste distance. So l’on est touché par certains récits, réaction humaine somme toute rassurante, on ne doit cependant pas être atteint !
    • Un vécu difficile qui brouille la communication : une personne traversant une épreuve objective, un deuil, pourra ressentir de la colère, de la tristesse… de manière tout à fait naturelle. Etre informé d’un tel contexte peut ainsi nous éviter d’échafauder des hypothèses de fond parfaitement inutiles.
    • La pudeur, la crainte d’être jugé… C’est un phénomène plus ou moins conscient qui agit tel un écran de fumée en mettant en avant des « raisons » qui ne sont pas les bonnes. Tout comme la peur des araignées cache une angoisse plus profonde, le patient agite volontiers la cape afin de se protéger du taureau… La difficulté sera donc de lire entre les lignes en guettant le mot, la phrase en embuscade derrière toutes les autres ; phrase qui sera d’ailleurs prononcée volontiers au moment de partir, lorsque la main est déjà sur la poignée de la porte…
    • Une imprégnation alcoolique ou toxicologique, un état délirant… toute discussion demande bien sûr un minimum de lucidité. Cela dit, les entretiens infirmiers concernent également des personnes souffrant de troubles qui dépassent le cadre d’une « simple » névrose. En psychiatrie, notamment, lorsque des propos manifestement délirants sont tenus, il n’est bien sûr pas question de les valider, mais on ne doit pas nier frontalement le vécu de la personne. Le soignant est en droit (parfois en devoir) d’exprimer sa différence, il entend bien ce qui lui est dit, mais il ne ressent pas la même chose. Cette attitude nous ramène à la notion essentielle, déjà évoquée, de porte de sortie...

    Pour conclure

    Difficile de « conclure » un tel sujet… mais on peut toujours rappeler que la conduite d’un entretien est question d’équilibre. C’est un fil de rasoir, un fil d’Ariane où l’on navigue entre rigueur et souplesse en s’appuyant sur un cadre éprouvé enrichi de ses connaissances, de sa pratique et de sa personnalité que l’on ne doit pas mettre sous le boisseau. Mais la « spontanéité » a un prix et son expression n’est possible qu’en lien avec des mécanismes et des enjeux clairement identifiés. En se remettant, sans cesse, en question…

    Didier MORISOT
    Rédacteur Infirmiers.com
    didier.morisot@laposte.net
    (avec l’aimable supervision de Jean Fleuré, infirmier de secteur psychiatrique ; jean.fleure@orange.fr)


    Source : infirmiers.com