Petite question par curiosité :
êtes-vous infirmier ?

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IDEL

Anerick et ses souvenirs d’école...

Publié le 11/12/2012

Les chroniques sur le blog d’Anerick intitulé « Péripéties d’une infirmière » ont retenu toute notre attention. Elle partage aujourd’hui l’une d’entre elles « Souvenirs d’école » et le fera dorénavant régulièrement... Merci à elle !

- 4h45. C’est l’heure… Je traîne des pieds jusqu’à la salle de bain. J’observe ma mine bouffie du matin et mes cheveux ébouriffés. Après une douche, j’aurai retrouvé une apparence humaine. Pourquoi est-ce qu’on est si bouffie comme ça le matin ?

- 5H30. Après avoir gratté le pare-brise de ma voiture et l’avoir aspergé d’eau, je peux démarrer. J’ai le bout de doigts gelés. La gangrène me guette. J’étais si bien sous ma couette. Je suis seule dans la nuit. Dans la nuit noire et obscure... Je suis pas bien.

- 6H05. J’ouvre la porte grinçante de mon casier au milieu d’un vestiaire glacial. J’écoute d’une oreille distraite les échanges matinaux de mes consoeurs de la rangée voisine. En résumé, il fait très froid ce matin. Je confirme… J’enfile ma blouse. Une tenue difforme, un pantalon trop court à mon goût et bien trop bouffant. Un haut à manche courtes à rayures bleues. Pour faire court, je ressemble davantage à une apprentie boucher. Le reflet du miroir me le confirme… Mais je ne suis pas là pour faire la belle, je suis là pour apprendre.
Je mets mon stylos 4 couleurs dans ma poche (celle où on met le petit mouchoir, enfin à une époque) qui tombera bien a minima dix fois par terre dans la journée. Finalement, comme bien souvent, il terminera en vrac au fond de l’autre poche (celle dans laquelle on met les mains quand on ne sait pas quoi en faire) au milieu d’une paire de gants, d’un collant de patch antiangoreux, d’un sachet de biscuits et autres résidus.

- 6H10. J’entre dans le service. J’entends le bruit d’une sonnette et une mamie qui hurle. Direct je suis dans le bain. Je croise dans le couloir une femme en blanc qui s’empresse d’y répondre. Elle me salue d’un hochement de tête.

- 6H11. J’entre comme un intruse dans la tisanerie. La fameuse salle où les langues se délient. Je me présente aux collègues, assises en cercle autour d’une table à siroter une tisane à la camomille ou un café réchauffé. C’est l’équipe de nuit, la relève n’est pas encore là. Rien d’anormal à ça, je suis en avance, c’est maladif chez moi. Certaines me sourient, d’autres se contentent de me fixer.
- « Bonjour, je suis l’élève de première année, je m’appelle Anerick. »
Et je suis pas bien… Je me fatigue à donner mon identité mais en réalité c’est inutile puisqu’on m’appelle « La petite ». « Elle est où la petite ? » « Elle est au lave-bassin, les mains dans le cambouis et elle s’appelle Anerick !».  Ça m’énerve. Un brin. Bref.

- 6h35. Sandrine déboule en plein milieu des transmissions. 10 minutes de retard ! Sandrine c’est une collègue de promo. D’un côté je me sens moins seule c’est vrai, mais d’un autre côté elle a 12 ans de plus que moi donc forcément, on a beau dire, l’âge force le respect. Pour couronner le tout, elle a deux enfants. Donc là aussi, inévitablement elle est davantage considérée. Bah si, c’est une question de rang social. Tu peux aussi participer plus facilement aux discussions de la pause café. Mes années de débauche, elles, intéressent peu de monde, c’est certain. Ainsi, j’ai bien peu de crédit face à Sandrine. Je n’ai pas d’enfants, j’ai 21 ans. Trop peu d’arguments pour forcer le respect. Difficile de se fondre dans le paysage avec mes traits poupons, ma chemise rayée et mes poussées acnéiques rebelles. Je sens que ça va être dur, très dur. D’ailleurs Sandrine s’en sort très bien. Les infirmières ne bronchent pas quand elle leur explique que son bambin a fait des siennes ce matin, d’où le retard. « Ne t’excuses pas on comprend très bien ! » Ben voyons. Et moi alors, j’ai… j’ai mon chat qui… qui… s’est coincé la queue dans la porte… Ha ! À choisir j’aurai préféré me retrouver avec Prune (oui, Prune c’est son prénom). Elle a le même âge que moi mais est d’une totale transparence. Alors que moi, je suis insignifiante mais on me voit quand même, bien que Monique ait éteint la lumière de la tisanerie alors que j’étais encore dedans. Finalement, j’ai quelques doutes sur mon aura. Encore heureux que je ne sois pas en stage de psychiatrie, je me serais retrouvée enfermée. Bon passons. Ah oui, je ne vous ai pas dit, je suis en stage en maison de retraite.
Je dois prendre en charge 3 patients. C’est Monique, l’aide-soignante en chef, qui se charge de choisir mes patients. Un brin sadique elle me confie Monsieur G, un brave homme grabataire, atteint de la maladie de Parkinson. S’ajoute madame F, un peu « fofolle » sur les bords mais pas méchante. Ensuite madame T, en mode veille, toute la journée dans son lit et un peu au fauteuil, histoire de changer. Ça ne m’enchante guère je vous avoue.

- 8H00. Je fais la connaissance de Danielle, l’infirmière, pilier du service depuis une dizaine d’années. Je crois qu’elle ne m’apprécie guère. Ça manque un peu de sourire tout ça tout ça. Je donne ma confiance assez difficilement il faut dire, j’ai déjà moi-même du mal à me faire confiance il est vrai. La matinée est un peu longue. Je suis gauche. Je ne sais pas où me mettre, quand je dois me lever, où je dois poser ça, si j’ai le droit de prendre cette tasse-là ? Toutes les questions existentielles de l’élève mal dans sa blouse. Ni plus, ni moins. Je ne sais pas grand chose, c’est inconfortable. Aucune plus-value à apporter, c’est comme ça, c’est le statut d’élève. Beurk !Certaines se font d’ailleurs un plaisir de vous le rappeler, de vous montrer que vous gênez, de vous mettre mal à l’aise. Le genre qui ne vous dit pas bonjour, le genre qui n’arrête pas de parler avec ses collègues puis qui ne te décroche pas un mot quand elle se retrouve en tête en tête avec toi.

"Ah oui, je ne vous ai pas dit, je suis en stage en maison de retraite.
Je dois prendre en charge 3 patients."

- 9H00. En errant dans les couloirs, je contemple un instant le plan de l’hôpital qui me rappelle sans ménagement que « Vous êtes ICI ». Il m’avait bien semblé en effet.


- 10H00. C’est la pause café. Je suis conviée, ainsi que Sandrine déjà quasi intégrée à l’équipe en train de parler avec Pierrette. Comment fait-elle ? La prochaine fois je dirai que j’ai un enfant, après tout pourquoi pas ! Nul doute c’est un plus. Je sirote un café corsé mal dosé puis picore une tranche de pain de mie sans saveur (mince c’est le sachet sans sel). Chacune parle de ses soucis, Françoise a des problèmes avec sa chaudière qui est tombée en panne. C’est vrai que c’est pas de bol, il fait moins 5°C dehors au meilleur de la journée. Ginette est au régime mais ça ne marche pas. Je confirme. Et moi je m’ennuie ferme, mais on s’en fout. Ah ! Ça sonne à la 114. J’y vais ? J’y vais pas ? J’y vais ? J’y vais p… mince Sandrine est déjà partie. Tssss… Encore un point pour elle et toujours zéro pour moi.


- 11H00. Je prépare les 10 gouttes de madame T. 1..2..3..4..5..7..8..9..10..11… Oups ! Tant pis ?


- 11H30. C’est l’heure des repas. Enfin un peu d’animation. Je me rends dans la chambre de madame F et l’invite à se rendre au réfectoire : «  À taaaaaaaable !!! » Puis je vais chercher monsieur G et l’amène en fauteuil roulant, direction l’ascenseur. Il y a déjà un petit groupe de seniors en attente. Je m’incruste. Me voilà cernée de toute part. Je les regarde. Je vais être comme ça un jour, toute fripée ? Hop, premier transfert d’une longue série…


- 11H40. « J’aide » à servir les plateaux. Sur chacun d’eux, un bordereau avec nom et type de régime (mixé, haché, écrasé, sans sucre, sans sel... miam beurk) Problème : je ne sais pas qui est qui. Elle est où madame R ? Et madame V c’est qui déjà ? Et monsieur B c’est le monsieur avec le gilet vert ? Non c’est le monsieur qui a glissé de son fauteuil là !

- 11h50. J’aide monsieur G à manger. Il est assis à côté de madame D qui n’arrête pas de me fixer, elle a pas l’air commode. Elle recrache le mixé que Monique tente désespérément de lui faire avaler. Tu m’étonnes…


- 12h30. C’est ma pause repas. Trente minutes prenant en compte : le temps d’aller aux vestiaires, le temps de déshabillage, le temps d’aller au self, le temps de faire la queue au self, le temps de manger, le temps de retourner aux vestiaires, le temps de se rhabiller…


- 13h30. La relève d’après-midi arrive. Danielle me donne la parole. Je dois parler de mes patients. Hein ? Euh… moi ? Bah… alors monsieur G… euh… il a bien mangé ce midi et euh… madame F a été au fauteuil 5 minutes et euh… madame T… ça va...


- 13h45. Je me casse !

Vous l’aurez compris, ce ne furent pas les meilleurs moments de ma vie…
Et vous c’était comment vos débuts ?

 





ANERICK est infirmière libérale
postmaster@péripéties-infirmière.com



 


Source : infirmiers.com